L’attentat de la Ghriba n’est pas le fruit d’un tueur illuminé mais le résultat d’un idéologie antisioniste qui gangrène la Tunisie depuis des années. Il suffit de lire la Constitution Tunisienne pour comprendre que l’attentat d’hier à la Ghriba n’est pas le fruit du hasard.
Une Constitution qui inscrit dans ses tablettes… la libération de Jérusalem par les Palestiniens.
La Constitution de 2022 annulant celle de 2015 propose insidieusement le même discours antisioniste que celle de 2015 largement inspirée par le parti islamiste Ennahhda. Mais elle va beaucoup plus loin puisqu’elle déclare Jérusalem comme capitale de la Palestine. « Nous, le peuple tunisien, réaffirmons notre appartenance à la nation arabe et notre souci de s’attacher aux dimensions humaines de la religion islamique. (…) Nous sommes un peuple qui refuse que notre État conclue des alliances à l’étranger, tout comme il refuse toute ingérence dans ses affaires intérieures. Nous nous attachons à la légalité internationale et triomphons pour les droits légitimes des peuples qui, selon cette légitimité́, ont le droit de disposer d’eux-mêmes, en premier lieu le droit du peuple palestinien à sa terre spoliée et à l’établissement de son État, sur cette terre après libération, avec Al-Quds Al-Sharif pour capitale« . On ne peut plus être plus clair et dans le style et dans l’intention en inscrivant dans le marbre une volonté idéologique et politique ouvertement tournée vers la négation d’Israël. En Occident, la Constitution relève de l’organisation des pouvoirs, mais dans les pays musulmans elle répond à des impératifs idéologiques.
D’autres attentats peuvent toucher d’autres lieux juifs en diaspora.
Les Juifs du monde entier sont des cibles prioritaires, et plus encore à la suite des frappes israéliennes contre le Hamas et le Hezbollah. Car, compte tenu de la difficulté d’attaquer directement le territoire israélien, l’attentat de la Ghriba se décline comme le premier acte possible visant d’autres lieux juifs, notamment en Europe où les Frères Musulmans tiennent le haut du pavé.
L’attentat de la Ghriba porte un nom : l’islamisme rampant.
Au vu du drame de la Ghriba qui a arraché à l’affection de leur famille deux Juifs dans la fleur de l’âge, dont l’un fut, à Marseille, le camarade de classe de mon fils, force est de constater que cet acte s’inscrit dans ce que j’ai toujours appelé l’islamisme rampant (l’Algérie en est un symbole tristement vivant) et qui diffère de l’islamo-gauchisme, qui, en Occident, infiltre au plus haut niveau partis politiques, universités, médias et corps associatif. Le fait que le tueur soit un membre de la garde nationale est la preuve de cet islamisme rampant qui gangrène le régime. Mais encore faut-il que ce régime ne soit pas lui-même l’idiot utile de cet islamisme. Il n’empêche. Sur les chaînes d’information en continu ou dans les journaux, l’acte n’est toujours pas qualifié d’islamiste. A croire que le mot fait peur… Cependant on trouvera des spécialistes pour ergoter, décrypter, coder, analyser (ajoutez les verbes que vous voulez, on a l’embarras du choix) mais qui éviteront d’appeler cet attentat un acte islamiste.
Il y a fort à parier que les médias lieront cet attentat aux frappes israéliennes contre le Hamas et le Hezbollah, tel un moyen pernicieux de condamner Israël en lui faisant porter la responsabilité d’une situation générant elle-même une réponse de la part d’individus « incontrôlables », synonyme édulcoré pour nommer un islamiste. Pour preuve, le communiqué de Khélil Lajimi, un ancien ministre tunisien condamnant l’attentat (c’est la moindre des choses) rendant hommage aux victimes (toujours la moindre des choses) mais qui, commence son communiqué ainsi : « Je voudrais rendre hommage aux officiers de sécurité et saluer leurs sacrifices pour protéger le pays. (…) Le pèlerinage de la Ghriba est un événement annuel organisé par les Tunisiens de confession juive. Il a réuni cette année, selon les organisateurs, plus de 5000 pèlerins, tunisiens et étrangers. Il donne le signal du démarrage de la saison touristique qui s’annonce bonne. Espérons que cet incident ne vienne pas perturber la saison. Il y a une reprise de l’activité touristique après une période difficile impactée par le Covid« . Pour cet ancien ministre, l’attentat n’est donc pas un attentat mais un « incident ». Enfin, pour terminer dans l’étrange, cet ancien ministre n’hésite pas à parler de la reprise du tourisme, alors que des familles pleurent des êtres chers. Comprenne qui voudra.
Pour ma part, un vie juive vaut mieux qu’un pèlerinage fût-il dans la synagogue la plus ancienne d’Afrique.
Comment comprendre que bon nombre de Juifs d’origine tunisienne continuent de croire que la Tunisie s’est réconciliée avec « ses » Juifs ? A-t-on oublié la levée de boucliers des journalistes demandant le départ du « sioniste » Enrico Macias venu passer ses vacances en Tunisie ? Entre nous le choix du chanteur n’était pas de la première étincelle d’intelligence, mais comme on dit tous les goûts sont dans la nature. Je connais des Juifs qui, sans doute pour leurs affaires, persistent à vivre en Tunisie. Ont-ils oublié comment leurs coreligionnaires ont été obligés de partir en 1967 ? Que ces amnésiques se rassurent : eux aussi partiront … mais sans rien emporter de leur fortune.
J’ai la chance d’avoir eu comme professeur d’origine tunisienne Albert Memmi. Je l’ai même fréquenté jusqu’à sa mort. Memmi voulait une rue à son nom à Tunis. Petit problème : son nom était trop juif pour un tel hommage. Plus encore, j’ai eu le privilège de réaliser une exposition sur sa carrière. Elle a été vue à Marseille, Paris, Essaouira et Haïfa. Les autorités tunisiennes quant à elles ont refusé sa présentation à Tunis. CQFD.
Je préfère un Juif vivant que dix pèlerinages de la Ghriba.
Le peuple juif, dit-on, est celui de la Mémoire. Il m’arrive parfois d’en douter. Pour dire les choses, je n’arrive pas à comprendre ces familles entières qui résident encore en Tunisie, comme je comprends mal le discours selon lequel la Tunisie est un pays « qui aime les Juifs ». Les Juifs qui vivent en Tunisie sont-ils respectés des Tunisiens ? J’en doute. Je me souviens d’un jour où à Tunis, je me suis rendu dans l’ancien quartier juif de la Hara (aujourd’hui disparu). J’avisai un jeune de 16 ou 17 ans et lui demandai s’il savait qu’ici, dans ce quartier entièrement reconstruit, il y avait eu des Juifs qui vivaient misérablement. Il m’a répondu : « Des Juifs ? il n’y en a jamais eu dans ce quartier ».
La Ghriba appartient au passé. L’avenir, c’est loin de la Tunisie que mes coreligionnaires doivent le comprendre, car un jour viendra où il sera trop tard pour ces amnésiques de la mémoire.
© Michel Dray
Historien, Analyste en géopolitique méditerranéenne, Michel Dray travaille depuis de longues années avec des universités, des écrivains, des acteurs de la société civile et des chercheurs dans le cadre d’un Think Thank hors des Réseaux sociaux sur les analyses géopolitiques en Méditerranée.