Hebib Khalil. “Doit-on s’aimer pour se marier ? Pas en Algérie”

Pas en Algérie. L’Amour étant un luxe que ne se permettent que les gens riches de leurs libertés. Les évidences n’ont pas toujours la même force pour s’imposer partout. Les coutumes religieuses s’allient à la pauvreté et aux intérêts immédiats et forment un front de croyances qui combat les plus grandes valeurs universelles. 

En Algérie, l’homme né roi, la femme servante. La femme veut épouser un roi pour qu’elle devienne reine, mais l’homme cherche une esclave pour rester éternellement roi. C’est là où commencent tous les malentendus. Et la guerre de conquête d’une couronne qui s’arrache au prix d’une lutte secrète, qui évolue en guerre in-vitro, et parfois, souvent, en émeutes extra-muros. 

En Algérie, ce n’est pas l’homme qui enseigne ce qu’est une femme à son garçon. Tout ce que l’enfant connaît des femmes, ou presque, lui vient des autres femmes de son cercle familial qui lui apprennent, en premier, à se méfier de celle qui deviendra une menace et pas sa moitié. 

Pour l’Algérien, la femme idéale, c’est sa mère-déesse qui a fait de lui un dieu vivant. C’est un éternel enfant-dieu assisté, sans direction, sans réelles prérogatives, avec l’autorité sporadique et bestiale faite de rugissements et de violences. Sa mère, sœur, épouse, puis sa fille ou sa belle-fille pérennisent le mythe tout le long de sa vie d’homme. 

Avant de devenir une mère respectée, la femme n’est d’abord rien. Un néant qui attend son bigbang. La femme ne naît qu’en devenant épouse, sa première naissance étant une fausse-couche dans une morgue ou un monde parallèle invisible. On lui expliquera que pour être, il faudra devenir une mère qui est aussi, une sorte de vendeuse de tickets pour le paradis. Alors, la femme ruse pour naître enfin. Elle veut son visa pour la béatitude : elle fait un enfant ! 

Les luttes secrètes de libération commencent presque toujours au mois de novembre. C’est apparemment une obsession algérienne. Trois mois après le mariage. Tout dépend de la couleur du test de grossesse. Neuf fois sur dix, il est le détonateur d’une poudrière sur laquelle sont assis, non seulement le couple de mariés, mais l’ensemble des belles-familles. Le mariage en Algérie étant une alliance impossible de tribus qui se jaugent et dont l’une convoite les privilèges de l’autre. Un mixeur social qui tente désespérément de mélanger l’eau et l’huile. 

Que le couple vive seul ou avec la belle-famille, cela importe peu. Si le test est positif, l’équilibre des forces penche du côté de la famille de la femme. S’il est négatif, le doute commencera à planer comme un moustique autour de pelures pourries d’une pastèque. Et parfois, un projet “Blair Wich” se déclenche : sorcellerie contre talismans, derviches contre marabouts, Djinns versus exorcisme, ignorance contre ignorance. 

Parfois (rarement), les deux belles-familles n’usent pas d’outils x-files. Mais l’absence ou l’existence d’une grossesse change définitivement la donne. C’est évidemment la femme qui paie les pots cassés si l’enfant tarde à arriver. Le mariage est vite avorté. Cendrillon est renvoyée et l’homme cherchera chaussure à son pied. 

Le trône est mis à l’enchère le jour où l’homme épouse cette inconnue qui veut, quant à elle, construire enfin son propre paradis. Et la guerre éclate, au grand jour, entre celui qui détient le titre et celle qui le convoite. Et ce sont les enfants qui vont aider cette femme, dont les larmes ne sèchent jamais, à déchoir un père qui ne sait asseoir sa volonté, que par les cris et la violence : ils lui prêteront ces bras forts qui lui manquaient. L’équilibre des forces s’inverse et les enfants deviennent, malgré eux, les complices d’un violent putsch familial. C’est game-over pour ce Game of trône. Le père, déchu, défait, banni, va alors s’exiler dans une chambre ou chez une autre servante pour qu’elle lui rende une gloire et une couronne, jusqu’à ce qu’elle fasse ses propres soldats ! 

© Khalil Hebib

Hebib Khalil est journaliste indépendant algérien et contributeur pour plusieurs journaux notamment “Le Quotidien d’Oran”, “Le Matin d’Algérie” et “Le Huffington Post Maghreb”.

Merci à notre auteur et ami Mohammed Guerroumi de m’avoir rappelé ce texte.

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