Tribune Juive

Michel Dray. Onfray, l’empêcheur de mentir en rond  

Qu’est-ce qui différencie le romancier du philosophe ? 

            Le premier navigue dans l’imaginaire, le second dans les idées. Parfois l’un et l’autre se rejoignent, chacun proposant sa vision et du monde et des choses. Ce qui est sûr c’est que tous deux sont porteurs de mots, comme j’aime à dire. Car, si le romancier élabore un univers bien à lui avec des personnages qu’il fait vivre au gré de ses désirs, le philosophe, (à ne pas confondre avec les accros des salons branchés)  observe le vivant. Il n’a rien d’un médicastre moliéresque qui se cache derrière un latin de circonstance, histoire de masquer son impéritie ; au contraire il entre dans l’arène au risque d’un lynchage médiatique si par aventure ses idées sont jugées « hérétiques ». Voilà pourquoi le philosophe et le romancier n’auront jamais la même fonction sociale si on peut m’autoriser cette image. Pour faire simple et court, de Rabelais à Orwell en passant par Voltaire, Diderot, Zamiatine ou Agnon,(1) tous sont des enfants de Socrate et de Platon. J’ignore si le célèbre  « ce que je sais c’est que je ne sais rien » a été vraiment dit mais le mot est si juste, si universel. Or donc, tous les auteurs que je viens de citer, même si parfois, ils se cachent, très maladroitement d’ailleurs, derrière le style romancé (2), nous ne cessons de les entendre crier, vociférer, se révolter, dénoncer, fustiger, fouiller les entrailles de l’âme. Leur point commun est simple : ils cherchent l’introuvable qui, tel Diogène, promène sa lanterne à travers les rues. Le philosophe cherche une vérité impossible. Il est cette sentinelle qui, dans le livre d’Isaï (verset 21) dit: « Veilleur où en est le monde? »  Le philosophe cherche et se cherche. (3) 

            Il me fallait ainsi montrer qu’un philosophe est rarement un bon romancier, — les cas d’Albert Camus ou d’André Malraux sont de véritables exceptions. C’est la raison pour laquelle j’aime Houellebecq (4)dont les mots incisifs, quasiment carnassiers, toujours obsédants, ouvrent des perspectives parfois cauchemardesques mais ne proposent rien pour nous-mêmes. Houellebecq est un romancier particulièrement tourmenté et si j’aime l’auteur, qui, pour des raisons strictement littéraires aurait mérité du Nobel, j’ai la liberté de me méfier de sa façon de provocateur à la Gainsbourg. 

            Un philosophe, presque par définition, est un gladiateur, et tant pis pour la dureté du mot. Il n’est pas de ces penseurs de salon qui errent où le vent les emmène (Voltaire n’était pas loin de ce genre-là) mais un homme révolté pour reprendre le titre du livre-clé d’Albert Camus, qui à lui seul résume la philosophie. 

            Michel Onfray fait partie de ces hommes qui n’attendent rien ; autrement dit de ces intelligences qui n’inventent pas le monde comme les woke voudraient qu’il soit mais comme il est vraiment. On dit qu’il est le plus lu et le plus traduit dans le monde (ce qui génère forcément de la jalousie) mais s’il est si lu et si traduit c’est sans doute parce que son discours s’adresse à tous ceux pour qui le mot liberté n’est pas une vaine idée ? C’est un homme libre. Sa lutte est universelle. Il se rend dans le Haut-Karabakh pour alerter le monde sur la situation des chrétiens en danger face à un islamisme débridé. Il a visité bon nombre de pays avec comme seul drapeau celui de la révolte contre l’insoutenable.

            Onfray gêne car c’est un fabuleux empêcheur de mentir en rond. J’ai l’immense chance de le connaître, d’avoir eu avec lui des discussions où nous n’étions pas toujours en accord l’un l’autre. Onfray est ce qu’au XVIIIème siècle on appelait un « honnête homme », un de ces esprits extraordinairement polymathe, c’est-à-dire d’une culture hors du commun. Ce qui m’a séduit chez lui c’est son intérêt à écouter l’autre surtout s’il n’est pas d’accord avec lui. Comme dit un personnage du film de Jean Renoir La Règle du Jeu: « ce monsieur a de la classe, et la classe c’est ce qui se fait rare aujourd’hui. » (5) 

            Et Onfray a de la classe. Il ne supporte pas l’injustice et surtout, déteste les mondanités. Certes on le voit beaucoup à la télévision, je sais, pour l’avoir examiné souvent du regard, que c’est un homme secret, qui va devant les caméras quand il ne peut pas faire autrement. 

            Son engagement pour le droit à Israël à vivre en paix ne date pas d’hier ; un engagement qui ne lui enlève nullement l’idée (lointaine hélas!) d’’une coexistence. Comme j’ai eu l’occasion de lui dire : « à Dieu le Ciel, aux Hommes, les hommes. »  Ce qui fait Onfray, c’est avant tout sa lucidité. Il sait à quel point comme dit Elie Barnavi les religions sont meurtrières. Onfray raciste ? Qu’on me cite une seule phrase qui le prouve(6) Son débat avec Eric Zemmour n’était pas comme certains ont voulu nous le faire croire une rencontre « entre potes » mais une écoute de tous les instants suite à quoi Onfray n’a pas hésité à dire (avec raison) que Zemmour avait deux bras droits.   Aussi, est-il à mes yeux l’un l’un des hommes les plus lucides de sa génération.  Dans sa tribune désormais célèbre « La Synagogue brûle et on regarde ailleurs » (7) j’aurais tant aimé qu’elle fût écrite par ces penseurs de salon qui devant les caméras vilipendent Israël mais en privé vouent une adoration pour ce pays.(8) 

            Aimer Israël ? Est-ce un crime ? ARTE vient de diffuser un excellent reportage sur le Hezbollah et pourtant, il suffit d’écouter ses journalistes au « 28 minutes » pour les entendre dire pis que pendre d’Israël. D’un côté on attaque les bourreaux islamistes, mais de l’autre on ne fait pas de cadeaux aux Israéliens sur lesquels tombent des roquettes par milliers. D’un côté on fait des émissions à tirer des larmes sur la Shoah et de l’autre on reproche à Israël de se défendre. Onfray a compris cette technique : on aime les Juifs et les Chrétiens quand ils vont à l’abattoir, pas quand ils « osent » se défendre. Je viens du monde socialiste, et j’y suis si attaché que je vomis la NUPES,  et tant pis pour les histrions si je préfère Blum à Staline. 

            Alors oui, je soutiens Onfray dans son combat et traitez-moi de ce qu’il vous plaira : l’intelligence y perdra au profit d’un obscurantisme qui, hélas ! a de beaux jours devant lui car des Onfray ça ne court pas les rues.     

            Les conversations que j’ai eues avec lui ont montré trois choses. D’abord cet homme est taraudé par tout ce qui a trait à la Shoah. Pour lui — et je le suis entièrement sur cette voie — la Shoah est extra-ordinaire au sens littéral du terme, non seulement parce qu’elle bouleverse de fond en comble les bases philosophiques jusque-là étudiées et analysées au sujet de ce XXème mais surtout parce que comme l’exprime Steven Nadler dans son magnifique ouvrage sur Spinoza: « Il faut s’intéresser à  la réforme et à la tolérance sans les contraintes de dogme ou de rite et sans être importuné par les autorités quelles qu’elles fussent ».(9) J’ignore si Onfray serait d’accord avec moi mais c’est ainsi que je perçois l’homme… depuis la Shoah fille naturelle de l’inquisition. Ensuite — et je le suis davantage encore dans cette voie—, cet homme qui n’hésite pas à dialoguer avec des rabbins (10), des jésuites, des moines et bien d’autres esprits éclairés, avoue sans ambages son athéisme en énonçant cette éclatante démonstration qu’il ne saurait y avoir d’athéisme sans spiritualité. Enfin, son combat sans merci contre ce nouveau totalitarisme que le professeur Jean-François Braunstein appelle la « religion woke » (11) répond clairement à la défense absolue du principe de Fraternité, car, comme l’écrit très justement écrit Chantal Delsol: « En affirmant une culpabilité sans pardon, les woke ne laissent d’espoir qu’à la violence ». (12) Onfray n’est ni homophobe, (loin de là!) ni contre une euthanasie médicalement contrôlée. Ne sont-ce pas là des ides de gôche ?  L’homme combattra sans merci l’islamisme politique car depuis des années il alerte le monde sur cette décadence de l’Occident dont il a été l’un des premiers à dire le danger.(13) Cependant je ne l’ai jamais entendu dire qu’il fallait pénaliser l’islam. Et il a raison.    

            Ce qu’il a à dire il le dit.

            Il faudrait des pages pour parler de Michel Onfray, mon ami. Puisse cet article vous faire comprendre que cet homme n’est ni de gauche ni de droite. C’est une âme qui veut tout simplement laisser les lumières allumées. 

            Le dernier numéro de « Front Populaire » est là pour témoigner. 

                                                                                              Michel Dray 

NOTES

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