Tribune Juive

Yves Mamou. Des juifs antisionistes ont largement contribué à faire du journal Le Monde un média anti-israélien.

C’est un aspect méconnu de l’histoire éditoriale du Monde, son antisionisme juif. Oui, certains juifs, en France, se sont servis du Monde – autant que Le Monde s’est servi d’eux – pour valider une forme ou une autre de détestation de l’État d’Israël. 

Comme le soulignait récemment Elie Barnavi, ex-ambassadeur d’Israël en France, « il y a eu, et il y a toujours eu, un antisionisme juif », lequel a, au XXème et au XXIème siècles, pris plusieurs formes. Dans le cas du Monde, trois mises en accusations se sont exprimées tour à tour et parfois concomitamment : colonialisme, immoralité, racisme. Toutes ont abouti au même résultat : victimisation des Arabes (puis des Palestiniens), dissimulation de l’antisémitisme prégnant au Moyen Orient, diabolisation de l’État hébreu. 

Antisionisme colonisateur. Le premier antisionisme juif du Monde a été créé de toutes pièces par le journaliste Éric Rouleau. Né Elie Raffoul, ce communiste juif chassé d’Égypte, déchu de sa nationalité et interdit de séjour en Égypte et dans les pays arabes, est entré au Monde en 1955. Il a développé un journalisme original qui consistait à écouter depuis Paris les radios arabes en ondes courtes et à analyser leur contenu. « Pour ma génération, la lecture des chroniques d’Éric Rouleau dans Le Monde constituait un phare éclairant le tiers-monde », se rappelle Nathan Weinstock[1], historien juif antisioniste issu du trotskysme. 

Le journaliste Eric Rouleau avec le raïs égyptien Gamal Abdel Nasser. Photo non datée

Cette position d’expert va recevoir un coup de pouce inattendu : Gamal Abdel Nasser, président de l’Égypte, perçoit le parti qu’il peut tirer de ce juif arabisant et l’invite au Caire. L’interview que Nasser accorde à Eric Rouleau « vaut passeport dans tout le monde arabe et au-delà. Toutes les portes s’ouvrent, on reçoit « Rouleau » comme un chef d’État » écrit Le Monde au décès d’Éric Rouleau. 

Devenu passeur entre le monde arabe et les élites françaises, Eric Rouleau a occupé un statut de quasi diplomate. Cette chance professionnelle exceptionnelle imposait en contrepartie des obligations : ne pas se laisser instrumentaliser par des chefs d’État étrangers et décrypter leurs intentions pour respecter l’obligation d’honnêteté que tout journaliste doit à son lecteur… Las, Éric Rouleau a refusé de courir le risque de déplaire à ceux qui le faisaient roi. Ses articles, nourris « aux meilleures sources, étaient de ceux qui semblent vous rendre plus intelligents alors qu’ils vous instillent sournoisement le message des despotes orientaux susnommés », explique Luc Rosenzweig, lui-même ancien journaliste du Monde.

Ce que confirme Nathan Weinstock qui explique qu’« instrumentalisé de la sorte, il (Eric Rouleau) faisait effectivement fonction – comme l’indique le titre de son livre – de « journaliste diplomate ». 

Entre 1956 et 1979, Eric Rouleau et Le Monde n’ont pas seulement désinformé les élites françaises au profit des despotes arabes. Ils ont aussi – toujours dans l’intérêt de ces mêmes despotes arabes – falsifié l’histoire d’Israël en présentant ce pays comme un « avant-poste occidental en Proche-Orient », voire un « courtier » des Européens. Dès 1958, dans une série d’articles intitulée « Israël, État occidental ? », Eric Rouleau a popularisé l’accusation arabe « Israël= État colonial ». Accusation d’autant plus fausse que les vraies puissances coloniales – l’Angleterre, la France, les États-Unis – étaient hostiles au surgissement d’Israël qu’elles considéraient comme un pion de l’Union Soviétique.

L’antisionisme moralisateur. A peu près à la même époque qu’Éric Rouleau, un autre type de Juif, Pierre Vidal Naquet, a occupé une fonction de chroniqueur au Monde. Vidal Naquet est tout le contraire d’un aventurier. Cet historien brillant, laïc et républicain, appartenait à une famille de Français juifs – l’ordre des mots a son importance, Français d’abord et juifs ensuite – marquée par l’affaire Dreyfus et le nazisme. De gauche, Vidal Naquet découvre l’existence d’Israël en 1967 à l’occasion de la Guerre des Six Jours. Il s’insurge à l’idée que le pays des Juifs disparaisse. Mais voir Israël se construire par la guerre et dans le sang le déchire. 

Pierre Vidal Naquet a été l’expression la plus fine du dilemme juif en diaspora : si défendre le droit à l’existence d’Israël vous ostracise dans vos relations sociales ou professionnelles, alors il faut se taire et vivre en marrane. Mais si, comme Vidal Naquet, vous choisissez de continuer à parler et à écrire, alors progressivement, vous devenez anti-israélien. Déplorant qu’acharnés à survivre, les Juifs d’Israël aient répondu à la guerre par la guerre, Vidal Naquet a entrepris de dénoncer l’« immoralité » de l’État d’Israël et a imputé aux seuls Juifs – victimisation des musulmans oblige – la responsabilité des violences arabes et palestiniennes. Prenant la conséquence pour la cause, il a écrit : « Ceux qui étaient par excellence les exclus sont devenus ceux qui excluent».

Ce moralisme pétri de bonne conscience a conduit inévitablement à tous les reniements.  A Témoignage Chrétien, journal de la gauche catholique antisioniste, Vidal Naquet écrira : « Je suis moi-même, le fait est je crois notoire, un Juif antisioniste. Si au moment de la guerre des Six Jours, j’ai pris position pour le droit d’Israël à l’existence, je n’ai cessé depuis et dans des termes de plus en plus énergiques de m’élever non seulement contre l’annexionnisme israélien, mais aussi contre son idéologie, le sionisme, que je tiens pour dangereux dans la mesure même où il entend débarrasser le judaïsme de ce qui a fait son originalité et sa grandeur. Cette position antisioniste, je l’affirme publiquement »[2].

L’antisionisme éradicateur. Avec Sylvain Cypel, Juif trotskyste correspondant en Israël entre 2007 et 2013, Le Monde amorce son tournant « sionisme = racisme ». Sylvain Cypel a vécu et étudié en Israël, a été membre du Matzpen, parti israélien d’extrême-gauche, révolutionnaire, internationaliste et antisioniste. Ayant compris qu’il ne changerait pas Israël de l’intérieur, Sylvain Cypel a quitté le pays et a entrepris de le calomnier de l’extérieur. 

Cypel n’aura jamais un mot pour évoquer l’antisémitisme largement répandu en terre d’islam. En revanche, il dénoncera Israël comme « islamophobe », c’est-à-dire raciste.  « L’islamophobie est devenue le ciment qui relie cette extrême-droite coloniale sioniste, devenue très puissante en Israël, avec les suprémacistes blancs aux États-Unis comme avec les mouvances identitaires, en Inde, en Hongrie et ailleurs », expliquera Cypel à Pascal Boniface, fondateur du centre de recherche IRIS et antisioniste notoire. 

En 2020, Sylvain Cypel résume sa « pensée » dans un livre intitulé « L’État d’Israël contre les Juifs [3]». Cet ouvrage de dénigrement moral est truffé des mensonges fabriqués par les ONG israéliennes antisionistes – B’Tselem, Breaking the silence… -.  Pour Cypel, comme pour ces ONG peuplées de trotskystes, la nation c’est le mal et le nationalisme israélien incarne l’hyper-mal. 

Cette criminalisation progressive d’Israël par Eric Rouleau et Pierre Vidal Naquet d’abord, puis par Sylvain Cypel ensuite, aura maché le travail de Piotr Smolar, correspondant du Monde en Israël entre 2014 et 2019. 

Israël=nazi. Piotr Smolar, fils d’Alexandre Smolar, qui fut une figure importante du mouvement démocratique polonais, est ce journaliste qui le 3 mars 2006, au lendemain du kidnapping, du meurtre et des tortures infligées à Ilan Halimi par le Gang des Barbares, a publié une tribune[4] dans Le Monde qui disait en substance ceci : arrêtons de stigmatiser les banlieues pour un crime antisémite qui n’en est pas un.  

En Israël où les Arabes demandent systématiquement à l’autre d’où il parle, Piotr Smolar mentira sur son appartenance à la communauté juive. Refusant d’être assigné à un judaïsme dont il ignore tout, persuadé qu’être juif l’empêche d’être antisémite, Piotr Smolar en sera rendu à se victimiser lui-même. Il écrira un livre à sa propre gloire en se traitant de « Mauvais juif » (Éditions des Équateurs) qui démontre seulement qu’on ne peut pas traiter du Moyen Orient si on ne sait pas qui on est.  Trop préoccupé par son image et ses questionnements internes, Piotr Smolar n’a rien compris aux enjeux de la région. A l’instar des autres journalistes, il trouvera plus simple de nazifier l’État de sept millions de juifs et de victimiser les Palestiniens. Apropos de Gaza, il écrira: « Depuis douze ans est menée (par Israël) une expérience cruelle. On y teste la résilience de 2 millions d’hommes-rats qui deviennent fous d’enfermement et de pauvreté, de privation de rêve aussi ». En d’autres termes, les Juifs rescapés des camps sont devenus des Dr Mengele qui multiplient les expériences sadiques sur les Gazaouis. 

Piotr Smolar, mauvais juif ? Piètre journaliste également.

Que dire de cet antisionisme juif mis en avant par Le Monde ? Que pour ce journal, c’était une habileté non dénuée d’hypocrisie que d’utiliser des Juifs pour exprimer son hostilité à l’État hébreu. 

Mais cette habileté n’a pas que des avantages. Le Monde et les Juifs honteux du Monde ont failli à leur mission : ils ont désinformé leurs lecteurs. Le Moyen Orient qu’ils ont décrit n’a jamais existé. Au lieu de débroussailler un univers complexe, travaillé par le djihad et pétri de conflits internes, ils ont bâti un imaginaire orientaliste sans ombres dans lequel 500 millions de gentils pénitents musulmans subissaient le joug de six millions de Juifs. 

Ce n’est pas que les journalistes du Monde se sont trompés. Cela arrive de commettre des erreurs. Non, délibérément, ils ont construit un théâtre et écrit une pièce qui a travesti et continue de travestir la réalité. Ils n’étaient pas les seuls, dira-t-on. Mais ils ont donné le ton !

D’Éric Rouleau à Piotr Smolar, les Juifs du Monde ont promu une réalité morale (la leur) en lieu et place d’une réalité politique.  En victimisant à outrance les pays arabes, puis les Palestiniens, puis les islamistes de Gaza et de Cisjordanie, ces mauvais journalistes ont une responsabilité historique : ils ont fermé les yeux sur l’antisémitisme musulman et ont contribué à désarmer la France et les Français contre la barbarie islamiste. 

© Yves Mamou

Yves Mamou, journaliste et essayiste, a travaillé pendant 23 ans au journal Le Monde


 

[1] Éric Rouleau : Dans les coulisses du Proche-Orient. Mémoires d’un journaliste diplomate (1952-2012). (Fayard, 2012, 440 pages.) Mémoires d’un journaliste et diplomate « progressiste », Nathan WeinstockCommentaire 2013/1 (Numéro 141), pages 219 à 220

[2] Cité in « La gauche, Israël et les juifs » de Jacques Hermone, La Table Ronde

[3]  « L’État d’Israël contre les Juifs » e Sylvain Cypel, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2020.

[4] L’affaire Halimi ou l’adieu à la nation, par Piotr Smolar, Le Monde, 3 mars 2006

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