La Russie a attaqué l’Ukraine en février dernier, au mépris du droit international, et vient d’annexer, à l’issue de simulacres de référendums, les régions de Donetsk, Kherson, Zaporijia et Louhansk. Le discours prononcé par Vladimir Poutine à l’issue de la publication des résultats des référendums est un mélange délirant de haine anti-occidentale et d’hubris impériale. Le maître du Kremlin y célèbre la « grande Russie historique » et justifie son agression.
La Russie est condamnée en bloc par le camp occidental qui multiplie les sanctions tout en soutenant militairement l’Ukraine. La défense de l’Ukraine est aussi celle de la démocratie et de nos valeurs.
À deux mille kilomètres de Kiev, en septembre dernier, l’Azerbaïdjan a attaqué l’Arménie dans ses frontières, en totale violation du droit international. Trois cents morts et des centaines de blessés en seulement deux jours. L’offensive militaire a été provisoirement stoppée. L’Arménie, petit pays héritier d’une civilisation chrétienne millénaire, est enclavée entre l’Azerbaïdjan d’Ilham Aliev à l’est et la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan à l’ouest.
Les deux dictateurs se considèrent, selon l’expression d’Erdoğan, comme « deux États, une seule nation » et caressent un même rêve : faire « sauter » le verrou arménien et créer un grand espace panturc et musulman qui irait du Bosphore à l’Asie centrale.
Tout comme Poutine considère l’Ukraine comme un prolongement naturel de la Russie, sans tenir compte de l’histoire et de la volonté des Ukrainiens, le sultan turc et son allié azéri considèrent l’Arménie comme « leur » territoire. En dépit de l’histoire, puisque l’antériorité des Arméniens sur ces terres est incontestable, et en dépit du droit, puisque l’Arménie est une République indépendante. Sans parler du fait que les Arméniens chrétiens sont encore plus éloignés culturellement des Turcs musulmans sunnites que les Ukrainiens ne le sont des Russes.
Les deux dictateurs Aliev et Erdoğan veulent conquérir le sud de l’Arménie, comme ils ont reconquis le Haut-Karabakh à l’issue de la guerre menée en 2020.
C’est une épuration ethnique à bas bruit
C’est une épuration ethnique à bas bruit. Lors de l’agression des 13 et 14 septembre, toutes les cibles étaient civiles. L’objectif est de tuer ou de terroriser les populations afin qu’elles fuient définitivement.
Finir le travail. Parachever le génocide de 1915.
L’Europe et l’Occident se sont-ils levés d’un seul bloc pour condamner cette violation du droit international doublée d’une menace existentielle sur tout un peuple ? Non.
Au mieux, quelques belles déclarations de principes. Au pire, le silence total. Entre les deux, une majorité d’États qui renvoient dos à dos agresseurs et agressés.
Non seulement l’Azerbaïdjan n’est ni condamné unanimement ni sanctionné pour son agression mais la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a acheté du gaz au dictateur Aliev.
La vie des Arméniens compte moins dans la balance qu’un peu de chauffage supplémentaire. Cette démarche déshonorante était de plus parfaitement inutile : l’Azerbaïdjan n’a pas d’autre marché possible que l’Europe pour exporter son gaz, alors que l’Union européenne importe du gaz de plus de trente sources différentes. Aliev aurait de toute façon vendu son gaz à l’Europe car il est demandeur. Au lieu de cela, il s’affiche triomphalement comme un « sauveur ».
L’Europe aurait dû bien au contraire profiter de ce contrat pour exiger de l’Azerbaïdjan qu’il mette fin à son agression.
Ursula von der Leyen ne cesse de marteler que l’Europe ne veut que des partenaires fiables. En quoi l’Azerbaïdjan, dirigé depuis trente ans par le clan Aliev qui a détourné des milliards à son profit, qui saigne et muselle son peuple et attaque son voisin, est-il un partenaire fiable ?
Stopper Poutine est un impératif politique, stratégique et moral. Mais stopper Aliev et Erdoğan l’est tout autant. L’expansionnisme turc menace aussi la Grèce. Et n’oublions pas qu’Erdoğan appartient à la confrérie des Frères musulmans et qu’il ne cesse d’intervenir auprès de la communauté turque en France pour faire progresser l’islamisme. Il a dit à propos de la loi sur le séparatisme que le président Macron devait aller « se faire soigner ». Il ne cesse de critiquer la France pour son « islamophobie » et sa loi de 2004 contre le port des signes religieux à l’école. Son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, est venu à Strasbourg le 9 octobre et a appelé la communauté turque à « s’opposer aux Arméniens ».
De quelle manière ? Par la force ?
Si l’Europe et l’Occident défendent l’Ukraine au nom de la souveraineté nationale et de la démocratie, alors l’Arménie doit être défendue au même titre. À l’instar de Poutine, Erdoğan et Aliev sont des champions du non-respect des droits de l’homme. Ils partagent le même mépris pour l’Occident et ses « mœurs dégénérées ». Tandis que l’Arménie, depuis sa « révolution de velours » en 2018, est une démocratie, qui a élu son Premier ministre sur un programme anti- corruption et chassé du pouvoir les oligarques.
La Russie, qui était censée défendre militairement l’Arménie en cas d’agression sur son sol, n’a pas bougé lors de l’offensive militaire azérie. Elle est affaiblie militairement et surtout ne veut pas contrarier son partenaire turc dont elle aura certainement besoin à l’avenir.
L’Arménie est absolument livrée à elle-même.
Le président Emmanuel Macron pourrait incarner l’honneur de la France et de l’Europe s’il prenait l’initiative de mobiliser la communauté internationale. Pas seulement en envoyant une « mission civile » pour tenter de « normaliser » la situation. Mais en refusant de rester neutre dans ce combat entre une démocratie agressée et des dictatures ivres de leur toute-puissance, pratiquant des crimes de guerre et rêvant de restaurer les empires.
Au nom des valeurs qui sont les nôtres et pour lesquelles nous défendons l’Ukraine, il faut sauver la petite Arménie.
© Valérie Toranian
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