Tribune Juive

Valérie Toranian. Meurtre de Lola. Le mal n’a pas de sexe 

Le crime barbare dont a été victime Lola, 12 ans, séquestrée, violée, torturée, mutilée par Dahbia B., 24 ans, hantera longtemps nos imaginaires. Parce que le degré de cruauté est inouï : on ne compte plus les experts psychiatres avouant ne « jamais avoir vu ça ». Parce que la meurtrière, Algérienne, était en situation irrégulière, sous le coup d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) et que ce drame a relancé le débat sur la non application des OQTF : seulement 6 % d’entre elles seraient suivies d’effet. Emmanuel Macron avait promis de les faire appliquer à 100 % en 2017, après l’assassinat de deux jeunes femmes à Marseille par un Tunisien, lui aussi visé par une OQTF. Parce que l’ensauvagement de la société, l’incivilité, le sentiment d’insécurité ne cessent de progresser. Dans ce moment particulièrement anxiogène (guerre en Ukraine, crise de l’énergie, chute du pouvoir d’achat), le meurtre de cette innocente au visage d’ange est venu cristalliser nos peurs, nos colères, nos angoisses.

La polémique sur les OQTF est celle qui accapare le plus les médias et les politiques. L’affaire a été instrumentalisée par l’extrême droite mais le propre d’un fait divers marquant est toujours d’être instrumentalisé. Ceux qui s’indignent qu’on parle de récupération politique pour Lola sont souvent ceux qui n’ont pas hésité à récupérer et instrumentaliser la mort d’Adama Traoré pour en faire un George Floyd à la française et lancer le mot d’ordre de lutte contre l’« État raciste systémique français ».

Un des aspects de l’assassinat de Lola a moins retenu l’attention et pourtant il interroge un des débats sociétaux les plus agités de ces dernières années : la question du genre. Le monstre est une femme. Pas un homme. Pas un prédateur, dans la toute-puissance de son sexe, usant de sa violence ontologique et congénitale pour mettre à mort une femme victime, forcément victime.

« Si la violence des femmes est un angle mort de nos réflexions, si elle gêne autant, c’est parce qu’elle s’oppose à l’essentialisation qui est au cœur du discours progressiste contemporain. »

La violence des femmes est un tabou pour nombre de féministes qui opposent toujours les statistiques des violences commises par les hommes, bien supérieures à celles commises par les femmes. C’est exact. Les prisons sont peuplées majoritairement d’hommes, tous crimes et délits confondus. Pourquoi s’étendre sur des faits marginaux, sur une « exception qui confirme la règle » ? Car la femme est, par essence, plus douce, plus empathique, plus bienveillante et son statut de mère en fait la protectrice de la vie par opposition à l’homme, éternel guerrier des cavernes… Pourtant la criminalité des femmes est une réalité multiforme : les gangs de filles sont en progression, les services psychiatriques voient arriver de plus en plus de jeunes femmes dont les comportements constituent un danger pour elles ou pour les autres et nul n’oserait dire que la psychopathie est l’apanage des hommes. L’irresponsabilité pénale est liée à l’altération ou à l’absence de discernement, et les critères psychiatriques qui fondent ce jugement sont médicaux et non sexués.

Nous n’en sommes pas à nos premiers épisodes médiatiques de cruauté avérée des femmes. On se souvient de la soldate américaine Lynndie England, devenue le symbole du scandale de la prison irakienne d’Abou Ghraib, en 2005, alors qu’elle était apparue sur une photo tenant en laisse un détenu irakien nu. Une égalité glaçante avec ses collègues masculins dans la perversion. Pire encore, le personnage de Pauline Nyiramasuhuko, ministre rwandaise « de la Famille et du Progrès des femmes », qui a incité les milices Interahamwe à « violer les femmes avant de les tuer » lors du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Elle a été condamnée pour génocide et crimes de guerre à la prison à vie par le Tribunal pénal international. Aucune bienveillance, aucune empathie ontologique chez cette femme qui limogea les préfets qui refusèrent d’organiser les massacres.

Si la violence des femmes est un angle mort de nos réflexions, si elle gêne autant, c’est parce qu’elle s’oppose à l’essentialisation qui est au cœur du discours progressiste contemporain. Une femme ne peut pas, par nature, être une prédatrice, sadique, perverse et toute puissante. Si elle l’est, c’est parce qu’elle a été victime de la violence des hommes ou de la société (ce qui revient au même dans la pensée victimaire). De même qu’un Noir ne peut pas, par nature, être raciste : le racisme anti-blanc n’existe pas puisque le blanc jouirait par nature de privilèges et la personne racisée de discrimination. Le Noir ne peut pas être raciste. La femme ne peut pas être bourreau.

« Dahbia B. s’exhibe sur TikTok ultra maquillée, yeux et sourcils redessinés, bouche pulpeuse, pose sexy : un empilement de clichés ultra féminins. La même a violé, torturé et égorgé une adolescente de 12 ans. Entre les deux, une réalité que beaucoup ont du mal à admettre. Le mal n’a pas de sexe. »

La femme est victime. Victime de la violence systémique des hommes, dit-on au XXIe siècle. Ce qui excuse tout ce qui pourrait relever de la violence dans son propre comportement. Il est troublant de voir à quel point ce discours rejoint la vision paternaliste et rétrograde des siècles précédents. La femme était victime de sa nature plus faible, des caprices de son sexe et de ses hormones, des pulsions qui la poussaient à commettre des crimes passionnels. Son essence psychique, plus tard on dira son hystérie, en faisait un cas mystérieux relevant de la démence, du continent sombre de sa sexualité qui n’a cessé d’effrayer les hommes. Combien de femmes accusées de sorcellerie brûlées en place publique ! Si la femme est déviante, c’est que le démon agit à travers elle. C’est que les hormones agissent à travers elle. C’est que la folie agit à travers elle. C’est que l’homme la force à agir comme dans le cas des femmes coupables d’incestes organisés avec leur mari… Aujourd’hui, si la femme tue, si elle viole, c’est que sa perversion est le résultat d’une violence subie par l’homme à un moment ou un autre de son parcours.

Au cours de ses déclarations confuses, Dahbia B., dont le cas relève probablement de la psychiatrie, a évoqué les fantômes, les voix qui lui parlent, la mort de sa mère, le viol qu’elle aurait subi dans sa jeunesse. Nul doute que ce dernier point sera un des éléments utilisés par son avocat et les experts pour expliquer, entre autres, le traumatisme, la décompensation, le passage à l’acte de la jeune Algérienne.

Dahbia B. s’exhibe sur TikTok ultra maquillée, yeux et sourcils redessinés, bouche pulpeuse, pose sexy : un empilement de clichés ultra féminins. La même a violé, torturé et égorgé une adolescente de 12 ans. Entre les deux, une réalité que beaucoup ont du mal à admettre. Le mal n’a pas de sexe.

© Valérie Toranian

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