
Vacances.
Je n’ai pas la télé, donc, et donc, je ne regarde jamais les informations à la télé, mais là, il s’est trouvé que je me suis trouvé devant mon ordinateur à 20h, et que, sur l’ordinateur, j’ai regardé en direct le journal de France2 (service encore public).
Quelles étaient les actualités de ce 9 juillet ? D’abord, il y a eu un long sujet sur le fait de savoir si nous étions prêts aux incendies de forêts, et, si il y a eu trois reportages consacrés à ça.
Ensuite, il y a eu un long sujet sur les nitrites dans le jambon, et je me souviens que je me suis dit que je ne savais pas la différence entre les nitrites et les nitrates (merci de ne pas me l’expliquer).
Ensuite, il y a eu un sujet sur le parti animaliste dont une élue a préféré qualifier les rats qui pullulent dans nos villes de « ragondins ».
Ensuite, il y a eu un reportage sur une montagne qui s’éboule en Suisse à cause du réchauffement climatique (un reportage tout à fait, j’allais dire, glaçant, sans jeu de mot) ; ensuite, pendant vingt secondes, on a parlé du Sri-Lanka, puis, très vite, du Japon ;
Ensuite, il y a eu un reportage sur les soldes, victimes de la crise économique, et j’ai compris que les gens n’achetaient plus pour jeter (« tu mets deux fois tu jettes », disait une commerçante, — tu achètes ce dont tu as besoin (et, visiblement, ce n’est pas bien de faire ça, d’un point de vue économique) ;
Ensuite, un reportage sur la façon dont l’hôpital de Cahors gère l’absence d’urgentistes (ce sont les autres médecins qui se dévouent) :
Ensuite, il y a eu un reportage sur l’interdiction de fumer sur les plages du Touquet, bon, et là, j’ai arrêté.20 secondes sur le Sri-Lanka, un peu sur le Japon, et pas un mot sur l’Ukraine.
Parce que, sans doute, c’est les vacances, et que voulez-vous dire quand il n’y a rien de nouveau à dire ?
Pendant les vacances, c’est naturel, on les prend, les vacances. Et Dieu me garde de dire qu’elles ne sont pas méritées.
Bref, l’Ukraine, désormais, pour la majeure partie des gens, c’est loin.Je n’ai pas besoin de dire que c’est tout près.
Que nous sommes entrés dans une crise économique, avec inflation de — combien, 6 % ? en France, et dégringolade de la bourse de 20%, et avec le danger d’une crise encore bien plus profonde liée aux matières premières, — et que, ça aussi, nous le devons à Poutine, et que, d’une façon ou d’une autre, l’arme décisive de Poutine est là, — et pas dans la bombe atomique. Et je ne parle pas du danger de famine dans le monde.
Mais comme ça ne se voit pas au jour le jour, le week-end, il faut penser que ce n’est pas la peine d’y penser.
J’ai parlé de la guerre comme d’un miroir pour la société russe. D’un miroir dans lequel il faudra bien qu’elle finisse par se regarder — même si c’est rare qu’une société (entité abstraite) s’incarne pour faire quoi que ce soit. Il faudra bien que les gens, peu à peu, se regardent, et que, se regardent, ils voient autour de soi, et de plus en plus loin.
La guerre est un miroir pour tous. Mais quoi, c’est les vacances. Et il fait tellement chaud. Et après les années Covid, on a tellement besoin, ne serait-ce qu’un week-end, de souffler un peu, de bronzer, n’est-ce pas, un peu (avec crème bronzante).
Et c’est vrai que les mégots sur la plage, c’est abject. Et c’est vrai, ô combien, que les incendies de forêts sont un fléau — qui ne peut que grandir, devenir de plus en plus épouvantable.*
Les actualités ont deux pôles : les nouveautés, et puis les marronniers. Moins il y a de nouveautés, plus il y a de marronniers (ici, les soldes, les incendies de forêts, etc.)
L’Ukraine, aujourd’hui, n’entre dans rien. Ça continue, tout simplement. Ça brûle. Les maisons. Les récoltes. Les gens — physiquement, et intérieurement. D’un feu noir. D’un feu noir qui, aujourd’hui, en l’espace d’un peu moins de cinq mois, est devenu banal. Pour nous, qui n’y sommes pas.
Mais il y a cette banalité, et il y a en une autre, — la banalité de la guerre, au jour le jour, et pour encore des jours et des jours. Plutôt des mois et des mois.
Pour la Douma, en Russie, maintenant aussi, c’est les vacances. Avant d’aller se dorer la pilule — non plus sur la Riviera, mais, dans cette Russie qu’ils proclament adorer et qu’ils quittent dès que possible pour bronzer ailleurs, — les députés ont adopté une série de lois.
La première implique la transformation, rampante, là encore quasiment invisible, de toute l’économie en économie de guerre. Toute entreprise est aujourd’hui obligée d’accepter des commandes de l’Etat, et les conditions des marchés passés avec ces entreprises peuvent être changées « selon les circonstances ». Pour ces commandes, les limitations du temps de travail ne s’appliquent pas : on peut travailler, sans compensation supplémentaire, la nuit, douze heures par jour, comme on veut. Un refus de ces commandes équivaut à du sabotage.
Et puis, il y a désormais une interdiction de manifester, en général, dans tout le pays, devant tous les bâtiments publics, quels qu’ils soient (y compris les hôpitaux et les écoles).
Et les arrestations se multiplient.
Et les menaces d’extension du conflit.
Poutine ne cédera jamais. Simplement parce qu’il joue sa vie. Ça, maintenant, c’est clair.
Les Russes, sur le terrain, ont fait « une pause ». Pas dans les bombardements de civils. Mais ils vont attaquer encore, et encore. Jusqu’à l’effondrement.
La dernière année de Deuxième guerre mondiale (juin 44-mai 45) a été, on le sait, la plus sanglante. Mais bon, là, aujourd’hui, c’est les vacances. Et cette chaleur — insupportable.
À l’image de la guerre : tu veux t’en abriter, tu ne peux pas.