
D’un côté, pour une fois, je me dis que quelque chose avance. D’abord, notre président est allé à Kiev, et, en plus, il n’y est pas allé tout seul, mais avec l’Italie et l’Allemagne, et la Roumanie. Et ça, de fait, après les valses-hésitations de ces dernières semaines, en soit, c’est positif.
Ensuite, pour la première fois, je crois, je l’ai entendu parler de « victoire » de l’Ukraine, — du fait que la France, et l’Europe, la soutiendraient jusqu’à la victoire. Et c’est ensuite qu’il faudrait négocier, — une fois cette victoire acquise.
Je ne sais pas, mais ça va mieux en le disant, même s’il semblait dire que c’était une évidence.
De même, il a dit que ce serait à l’Ukraine de choisir le moment où il faudrait négocier, et à l’Ukraine seule. Et ça encore, ça va mieux en le disant, même si ça paraît évident.
Oui, ce sera à l’Ukraine seule. Et il n’est pas question de toucher à l’intégrité du territoire ukrainien.
Pour les armements, la France va fournir six canons César supplémentaires. J’ai appris que nous en avions, en tout, 78, et que, donc, là, avec les six que, dans les mois prochains, nous allions fournir, ça fera presque un quart de nos canons que nous livrions à l’Ukraine.
Ces six canons feront-ils une différence ? Ils seront d’une grande aide, certes (et, visiblement, ils sont très très bien, ces canons-là… — imaginer qu’un jour j’écrirais une phrase pareille !…), mais, et là encore, à l’évidence, ce ne sont pas six canons de plus qui feront la différence. Ils contribueront, un peu, d’abord à redresser la balance, puis à la faire basculer, avec toutes les armes que les alliés fournissent. Pour l’instant, même si les canons russes sont très vieux, je le redis, le rapport de forces est de quelque chose comme de 1 à 10 pour la Russie, du point de vue de l’artillerie.
Je n’ai pas entendu parler des munitions, qui sont, au moment où j’écris, la question névralgique, mais je suppose que cette question a été évoquée, et qu’on n’a pas eu besoin d’en faire état publiquement. L’essentiel pour les armes, et de très très loin, est le lend-lease américain qui est en train de se mettre en place.
Enfin, la France, l’Italie et l’Allemagne ont déclaré qu’elles soutenaient l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, — en tout cas son admission au statut de candidat à cette adhésion.
Il est clair que l’Ukraine, non seulement en guerre, mais avec sa structure d’ancienne économie soviétique, ne peut pas adhérer à l’UE du jour au lendemain.
Il est clair aussi que ça ne doit pas prendre dix ans, — ni pour elle, ni pour la Moldavie. Et il faudra voir la « feuille de route » qui lui sera donnée.
Bref, donc, d’un côté, c’est bien. De l’autre, je n’ai pas compris ce que les Alliés allaient faire pour forcer Poutine à lever le blocus alimentaire. J’ai entendu qu’il fallait « lui demander ».
Il est clair que ce blocus ne peut être levé que par la force, mais il est également clair que la force ne peut être utilisée que par tous les alliés en même temps (y compris, donc, la Turquie) et qu’il faut le faire de telle sorte qu’il n’y ait pas d’échanges de tirs entre les Alliés et la Russie. Qu’il faut donc donner à l’Ukraine les moyens militaires, techniques, de forcer ce blocus toute seule.
Là, pour l’instant, dans ce que je suis capable de comprendre, il y a un mystère. Hier, pendant la conférence de presse, — du moins publiquement, — on était dans l’ordre du vœu pieux.
De même n’ai-je pas entendu parler d’embargo sur le gaz. Et le gaz rapporte tous les mois à la Russie largement de quoi payer ses dépenses de guerre. Comme l’a dit, très brillamment (comme d’habitude, oui, c’est comme ça — je garde encore en mémoire son extraordinaire discours « à ses amis russes » au tout début de la guerre) Schwartzenegger, ce sont les dépenses de l’Occident pour le gaz russe qui financent la guerre russe en Ukraine.
Pour la suite… Si nous sommes pour la victoire de l’Ukraine (le mot a été prononcé plusieurs fois), il faut que la Russie soit battue. Battue militairement d’abord, mais, surtout, économiquement.
Autant cette défaite militaire, pour l’instant, est incertaine, autant la défaite économique est claire : les sanctions marchent, cela ne fait aucun doute. Il faut que la déconfiture de l’économie s’ajoute à la défaite militaire.
La seule façon de vaincre la Russie est de faire renverser Poutine, d’une façon ou d’une autre. Pas de le renverser — de le faire renverser. Je veux dire que, d’une façon ou d’une autre, ce soient les Russes eux-mêmes qui le renversent. Je ne sais pas quels Russes, je ne sais pas comment, mais c’est la seule façon.
Et ensuite, il faudra, évidemment, « ne pas perdre la paix », comme l’a dit Macron à propos de 1919.
La question n’est pas qu’il ne faut pas humilier la Russie (ne revenons pas sur le mot), mais il faudra sortir la Russie de la misère, — en même temps qu’il faudra qu’elle paie des compensations pour la ruine qu’elle a provoquée (des centaines de milliards de dollars, pour lesquels même la saisie des biens volés par tous les oligarques, Poutine compris, ne suffira jamais).
Et il faudra, en plus, payer pour la Russie, et investir, massivement, en Russie, faire une espèce de nouveau plan Marshall, en quelque sorte — un plan dont il serait souhaitable qu’il ne soit pas entièrement américain. En même temps, bien sûr, qu’il y aura un plan d’aide gigantesque pour l’Ukraine. Mais ça, aujourd’hui, on en est encore loin.
Cette guerre durera encore des mois et des mois, et il n’y aura pas de vie normale en Ukraine pendant des années.
La conférence de presse des cinq leaders s’est déroulée devant un massif de roses, encore toutes petites, et fermées. Allez, vous m’excuserez, j’y ai vu un symbole.
© André Markowicz