Tribune Juive

Nathalie Bianco. « Tu n’es plus le gendre idéal. Je te connais. Je sais qui tu es. Je sais que tu n’aimes pas sincèrement ma fille »

Voilà. C’est reparti. Vous avez renouvelé vos vœux. Te voilà encore mon gendre pour 5 longues années. Ma fille, ma belle, ma douce et fière Marianne a accepté de te reprendre pour mari.

Quelles que soient les raisons de son choix, il n’est plus temps de les commenter. Il y a cinq ans, quand tu l’as épousée, j’étais plutôt contente. Tu étais jeune, beau, brillant et tu étais suffisamment habile pour séduire presque tout le monde dans la famille. Tu présentais bien, tu avais une bonne situation, tu avais l’air cool et décontracté. Même si tu n’étais pas celui que j’aurai choisi, je t’ai adopté, je t’ai serré dans mes bras sans arrières pensées.

Et puis je t’ai étudié. J’ai vu le regard que tu portais sur ma fille, je t’ai vu vouloir la changer, la transformer à ton image. Je t’ai entendu lui faire sans cesse des reproches, sous couvert de remarques « pour son bien ». Je t’ai observé, lors des fêtes de famille, aller de l’un à l’autre, et dire à chacun exactement ce qu’il avait envie d’entendre. Tour à tour enjôleur, chaleureux, drôle ou bien sévère, sobre et sérieux. J’ai commencé à douter.

Petit à petit, derrière l’homme charmeur, j’ai senti poindre de la condescendance et sous tes plaisanteries anodines, il m’a parfois semblé déceler du mépris.

Et puis un jour, ton masque de fermeté bienveillante s’est fissuré. Face à la contradiction, j’ai vu ton sourire se crisper, tes traits se durcir. J’ai vu tes poings se serrer, les jointures de tes doigts blanchir, une drôle de petite veine gonfler sur ton front. Je t’ai vu devenir autoritaire et brutal. Pas tout le temps, pas avec tout le monde, pourtant.

Je me souviens avoir pensé que tu étais accommodant et souple avec les forts, mais implacable avec les faibles.

Tu as réorganisé nos vies, tu as optimisé notre fonctionnement, tu as géré notre budget à ta façon. Tu as vendu nos meubles et notre patrimoine sans que nous n’ayons notre mot à dire. Le champagne ruisselait pour les plus favorisés d’entre nous, tandis que les plus modestes de notre famille, tenus à l’écart, étaient encore un peu plus appauvris. Au milieu des nouveaux amis que tu invitais à notre table, des contrôleurs de gestion, des experts de la finance, des entrepreneurs triomphants ou des Youtubeurs et autres stars de la télé-vulgarité, nous demeurions toujours un peu perdus. Après tout, nous n’étions « rien », ou pas grand-chose. `

Progressivement, j’ai vu notre famille douter, se rebeller, puis se fissurer de toute part et se désunir. Jamais nous ne nous étions autant affrontés, opposés, divisés.

Impuissante, j’ai regardé ma fille, ma fière Marianne changer et s’étioler petit à petit. Elle qui avait déjà été si déçue avec ses précédents maris perdait encore un peu plus de son aura et de sa superbe.

Pourtant, aujourd’hui, ma douce, ma belle Marianne blessée vient de te reconduire dans ton rôle de chef de famille. Mais cette fois-ci, il n’y aura pas de promesses et pas de lune de miel. C’est un mariage sans passion, sans joie, un mariage de raison et de résignation.

Alors moi, au moment de t’accueillir une nouvelle fois, je vais rester polie et digne, même si j’ai le cœur bien lourd de voir à chaque fois s’éloigner mes idéaux d’un vrai mariage d’amour. Ne t’inquiète pas. Je ne ferai pas de scandale. Je voulais juste que tu saches que les choses ont changé. Tu n’es plus le gendre idéal. Je te connais. Je sais qui tu es. Je sais que tu n’aimes pas sincèrement ma fille. Et surtout, je sais qu’elle n’est pas très heureuse. Alors, je vais rester à ses côtés. Sache que je t’ai à l’œil. Avec toi ou contre toi, je vais continuer de me battre pour les jours meilleurs qu’elle mérite, que nous méritons.

© Nathalie Bianco


Nathalie Bianco, Militante laïque, membre de l’association #réseau1905, est Auteure de romans: Les Courants d’air. 2019. Independently published. Les Petites. 2021. Sixiemes Editions. Les Printemps. 2022. Sixiemes Editions.

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