Tribune Juive

La Nouvelle de Jean-Claude Lonka 1/7. « L’Arche de Noé et la naissance du chat »

Bonjour à toutes et à tous. Heureux sont celles et ceux qui ont eu un père ou une mère qui racontent des histoires. Pour moi c’était mon « tatègnou/tatèlou » qui venait s’assoir auprès de moi quand j’allais faire mon « shlouf ». Il racontait avec son accent et mélangeait le français avec le yiddish. Quand parfois un mot ne venait pas en français, qu’il butait, il cherchait comment l’expliquer et moi je devais trouver ce que c’était. Vous connaissez peut-être la pub avec le gamin qui demande en pleine nuit à son père : Comment fait un hippopotame pour se gratter ? Le père répond : Il demande à un autre hippopotame ! Je me reconnais dans ce petit garçon.


Mon père m’avait raconté « L’Arche de Noé » et  la naissance du chat. Aussi je vous propose en épisode pour la semaine cette histoire et n’oubliez pas de lire en pensant à l’accent de mon père.



L’ARCHE OU LA LÉGENDE DU CHAT

OU

LE PREMIER CONFINEMENT EN COMITÉ RÉDUIT

Lundi : Part 1

PROLOGUE

Noé faisait les 100 pas sur le plancher de l’arche en se remémorant tout ce qu’il avait entrepris et enduré depuis le rabotage de la première planche et il plongea dans ses pensées avec une pointe de fierté :

Puis Noé humecta ses lèvres, leva les yeux vers le ciel et parla à voix haute comme pour une conversation avec un partenaire ou un ami invisible.

On n’est pas chez les bourges ici, de la nourriture pour toutes les bêtes, de quoi les abreuver, et pour quoi faire… Il va pleuvoir, j’ai juste installé des gouttières qui descendent du toit vers chaque chambre. J’ai disposé de la litière, de la paille, des tapis, sans compter que j’ai aussi la famille, enfin ma femme, mes gamins et mes belles-filles, hein parce que les cousins, de toute manière on est tous cousins alors… Huit personnes c’est déjà suffisant…Comment Seigneur ? Vous n’en vouliez pas plus, oui je sais, je sais…

Je connais votre genèse. Ah, ils ont bien rigolé les voisins et je les entends encore dire à mon fils Sem : Sem tu veux faire un inventaire, tu veux faire un zoo ? Ou alors : Sem tes connaissances sont si imparfaites que tu veux apprendre le nom de toutes les espèces vivantes, c’est pourtant ton aïeul qui a donné un nom aux animaux. Sem t’es bête, t’aimes les bêtes, mais est-ce que ta famille les bêtes les aime ? Sem, mais tu ne récolteras pas grand-chose ! Sem à force de compter et de recompter t’as les yeux bridés.

Oy, et pour Japhet : Japhet, avec tes longs cheveux blonds et tes yeux bleus ont dirait un travelo ! Et toi Japhet, toi qui n’es bon à rien, tu cravaches dur depuis quelque temps ! Hé, Japhet, t’as fait le « sarment » de suivre ton père, t’es dépourvu de… raisin… Pourquoi Noé est-il noueux comme un cep ? C’est parce qu’il grappe tout ce qu’il trouve ! Japhet fais gaffe à ton cerveau pour ne pas qu’il s’élargisse, tu vas attraper la grosse tête !

Pour Cham, ils l’ont nargué en lui disant : Cham, ne va pas avec ton père ce vieux fou, il va te rendre noir de colère ! Reste Cham, ton père est un malade du boulot et du ciboulot, c’est un esclavagiste. Cham, à force de construire ce navire sous le soleil et vu que tu es le plus costaud à l’ouvrage, ta peau est devenue si noire que tu es l’ombre de toi-même, regarde tes cheveux ils sont brûlés comme de mauvaises crêpes et tes lèvres se sont si épaissies à force de te les bouffer pendant ton boulot qu’aucun onguent ne pourra les rendre à nouveau fines. Cham, avec ta musculature, tu pourras inscrire ton nom dans la bible des records et t’es devenu tellement grand que tu n’as pas besoin de faire la manche en de basses quêtes !

Oui mes fils n’ont pas été épargnés en quolibets, ah… mes chers enfants. Lors de l’embarquement, Sem, mon aîné, se tenait en bas de la passerelle, il a annoncé chaque entrée d’un animal, l’a pointé avec un stylet sur une plaque d’argile et en haut Cham d’un côté de la porte d’entrée pour les mâles et Japhet de l’autre pour les femelles, comme à la shoul, la synagogue quoi, réinscrivaient les noms à l’aide d’un calame sur du papyrus et il n’y a pas eu de débordement, ni des bêtes ni des écrits. Au moins mes fils, eux, ils savent lire, écrire et compter. Nous avons beau avoir fait rentrer les bêtes mâles et femelles séparément, elles sont en couple dans leur case et D… seul sait ce qu’il peut se passer en attendant le déluge. Pendant et après, les animaux seront en liberté et ils feront ce qu’ils voudront, enfin ma femme leur a expliqué ce qu’il fallait faire ou plutôt ne pas faire pour ne pas nous retrouver avec des ribambelles de petits. Heureusement qu’avec Naamah, ma chère et tendre, je suis assez loin à l’avant du bateau, euh de l’Arche, pour ne pas entendre les hurlements, les piétinements, les ruades, les gloussements et autres signes d’excitations…

(Soupir) Le désert est si calme. Quand même, pendant que ses deux frères ont procédé à la vérification des animaux pré-embarquement, Cham a travaillé vaillamment à la construction du nav… de l’arche, je suis fier de lui, n’a-t-il pas fait des chambres pour que chaque bête ait un logement qui lui soit propre, chaque volatile son propre nid, chaque mammifère soit sa soue, son écurie, son étable, sa bergerie, les lièvres leur gite, les lapins leur clapier, les loups leur tanière, les ours leur grotte, les sangliers leur bauge, tous ont un chacun chez soi, il a même pensé à mettre des rondins de bois suffisamment longs pour que ceux qui veulent se gratter puissent le faire et que les castors continuent leur travail de bucheron. J’espère que cela ne va pas durer trop longtemps, parce que pendant la période des amours il va falloir assurer. Non Cham n’est pas un intellectuel mais il a une bonne perception de la nature, je trouve que cela lui sied bien ce teint plus que hâlé et il a maintenant de ces muscles, il attrape un guépard à la course et il peut rester marcher à côté d’un éléphant pendant des heures et des kilomètres, jusqu’à un point d’eau, un vrai sportif.

Noé s’adressa alors à ses fils :

Puis à toute sa famille :

Shoyn ! Tout est terminé, tout est prêt, tout le monde est là, Naamah, mon épouse, Sem et Dési, Cham et Barista, Japhet et… comment s’appelle-t-elle déjà celle-là, Eve… non c’est l’arrière-grand-mère de mon arrière-grand-mère, Lilith…Dvora… Rhana… Icha, Oui c’est ça Icha, Tiens je viens de recevoir une goutte d’eau, c’est parti… Bon Allez, c’est terminé, on ferme la porte. Les enfants…ants, remontez l’embarcadère, larguez les amarres, il pleut… on y va, (en hurlant) Naamah, t’as pas oublié les parapluiiiiies…

Réponse de Naamah :

Noé encore plus fort :

Japhet, Sem, Cham en Chœur :

Oui ils ont de l’humour, pense Noé, quoiqu’on en dise, mais plus personne ne va pouvoir le leur dire avant longtemps.


La suite demain si vous l’voulez bien.

© Jean-Claude Lonka

Jean-Claude Lonka intervient souvent dans Yiddish Pour Tous, Le blog de l’Association des Amis de Yiddish pour Tous.

Jean-Claude Lonka

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