Jean Taranto. Les sufganiyot de Hanoukka au Jardin de Noël

Les beignets de Hanoukka sont la douceur qu’accompagnent les petites flammes qui montent silencieusement de la hanoukkia.

Les premiers rappellent le Jardin originel où Adam fut mis. Mais aussi la suavité de la Tradition et de la Parole (qui ensemble constituent la Sagesse), la saveur de la Loi, le bonheur de la Rédemption.

La souganiya ouvre irrésistiblement la bouche, comme Noé ouvrit irrésistiblement l’arche aux trois charpentes, obscure et calfatée, à la lumière avant le « Maboul », le Déluge. « Ouvre une ouverture! » « Allume! ».

C’est l’ordre de Hanoukka. C’est le commandement de Noël. Dans la bouche entre une plénitude savoureuse, maternelle. De la bouche sort une Parole féconde, paternelle, qui est lumière éclairant le dedans vers le dehors. Un autre « double-effet » de la friandise?

Les secondes, les flammes de la Hanoukkia, éclairent le monde, une à une, dans la patience de l’Eternité de ces 8 jours de célébration, gagnant peu à peu sur la ténèbre qui noie tout et que l’Eternel sépare de la Lueur jusqu’au Matin fixé.

Noël aussi est une fête qui relie la nuit à la nuit par un Jour nouveau. Un Jour nouveau dont le matin de Pâques est le Zénith. C’est un jour en 8 jours au cours duquel on ne bûche pas.

C’est pour cela qu’il est de tradition, dans toutes les confessions chrétiennes, d’y cuisiner et d’y servir des gâteaux sucrés, et sur les tables familiales, à la fin du matin de Noël, une bûche qui est dans le monde catholique, généralement glacée, vu le solstice d’hiver (jour le plus court, nuit la plus longue), mais que l’on préférera servir meringuée (sucre, œuf et air), confiturée (sucre et fruit), pâtissée d’une génoise moelleuse qui évoque à la fois le pain, le lait et le miel et souvent surmontée de crème qui signifie la prodigalité et l’abondance. Les petits nains en plastique sont en option : ils sont déjà à table! Ils tournent autour du « pot » !

A Hanoukka, l’inaccompli peu à peu s’accomplit. En tout cas, il se réalise par les mains de pâtissiers attentionnés à refigurer pour le peuple éprouvé le goût du Jardin Premier ; et même si elles sont servies en Israël, en diaspora et sur les boulevards et dans les centres commerciaux européens et chrétiens en quantités industrielles, le peuple se rue sur les douceurs comme les abeilles sur la lavande fraîchement éclose après le rude hiver.

Le monde est brut? L’Eden est doux. Oui, mais voilà, l’Eternel a créé le monde pour qu’il ne fut pas oublié comme une tache innommable, mais pour qu’il fut nommé par notre intelligence, transformé par nos mains et élevé à Lui par nos prières et le constant pétrissage de nos actions.

Voici donc, en résumé, une recette simple pour de bonnes pâtisseries de Hanoukka. On pourra aussi s’en inspirer pour faire sa bûche et ses biscuits de la Nativité :

Dans le Jardin de son âme qu’on aura pris soin de sortir du placard on placera quelques pincées de levure d’espérance émiettée dans le miel (ou sucre) de la méditation avec le lait (entier, si l’organisme le supporte) de la Tradition qu’on aura pris soin de faire tiédir sans chauffer. On mélange le tout suavement.

On séparera les ingrédients liquides des ingrédients solides les réservant pour una adjonction ultérieure au bon moment.

Dans son intelligence, on aura prélablement moulu quelques bonnes pensées d’une farine consistante et fluide mélangée au beurre issu de la même crème et saupoudrée de cannelle parfumée que les contrariétés auront râpé pour en extraire un peu de la joie parfaite.

C’est ainsi que la joie, en poudre, peut faire d’un jardin devenu désert tant on s’y habitue, un dessert fertile et savoureux en rebondissements.

On rajoutera la farine moulue de l’épreuve, puis on reprendra le tout placé en réserve et on l’incorporera au mélange des oeufs, du lait et du miel (ou du sucre).

On pétrira le tout jusqu’à obtenir une pâte malléable à laquelle on rejoutera du beurre. Le pétrissage est essentiel. Il prend du temps. C’est lui qui rappelle que l’Eternité demande du temps. Le temps sera en premier récompensé.

Dès la pâte dégagée des doigts, élastique, docile, tendre et savoureuse, on la laissera lever pendant une nuit au frigo.

C’est là le plus délicat. On comprendra difficilement pourquoi on ne peut servir la pâte crue.Pourquoi une nuit d’abandon sous un torchon et dans l’obscurité thanato-clinique du frigo. C’est que pour être crues, la douceur de Hanuka et la joie de Noël doivent être cuites! Et pour être cuites, elles doivent être levées. Paradoxe.

Une nuit au frigo, donc. La nuit de Noël. La nuit où dort le monde. Où Jésus naît sans bruit. Où s’acharnent les ténèbres. Où la lumière n’est pas encore à éteindre les  luminaire du firmament glacé. La nuit jusqu’à l’oubli. Mais vous, vous n’oublierez pas…

Au matin, vous étalerez à l’aide d’un Rouleau la pâte levée et sortie du frigo. Les bords de la pâte iront jusqu’aux extrémités du monde. Elle recouvrira le monde. Pas un morceau ne tombera hors du monde.

C’est à la lueur de la Torah vagissante étalant la pâte de la Lumière que votre joie touchera, aux premiers jets de l’aube, les extrémités du monde. C’est dans la Crèche où ici, ce petit bout de pâte crue pétrie par nos mains illumine peu à peu le massacre des Innocents, la fuite en Egypte, la furie d’Hérode, de Hérodiade et de Tibère. C’est donc ce matin-là que nous vérifierons que le pétrissage a bien donné.

Puis, après avoir découpé la feuille de pâte tendre et levée en ronds égaux, de manière à ce que tout le monde soit abondament et convenablement réjoui, on laissera lever de nouveau…

Le jour se lève. La friture est prête. Il faut alors quitter le pétrissage et jeter les beignets levés et crus dans l’huile bouillante pour leur donner leur saveur, leur rondeur, leur texture.

Ils seront parés de l’or qui appelle les yeux. On les retirera de la grasse brûlure un à un, puis, avec l’acuité du regard et la pointe de la sagesse, on y percera jusqu’au cœur le tout petit trou nécessaire à l’introduction de la douce marmelade des fruits ou du miel récoltés, séparés du monde et préparés de toute l’année.

On remplira chaque pièce de la même quantité. Puis on la roulera non dans la farine, mais dans le sucre impalpable de la foi, qu’on aura agrémenté de grains de sucre colorés et argentés, ou d’un tout petit peu de girofle et de muscade.

On servira sur un large plateau. Large comme les bords du monde, large comme l’esprit de Paix.

On fera de même avec la bûche que l’on ne consomme qu’à table et qu’ensemble, et que l’on ne tranchera qu’au dernier moment quand tous les convives sont là.

Joyeux Hanoukka! Joyeux Noël à tous les pâtissiers de la Paix et aux jardiniers de l’Espérance…. Dans la douce lumière de Noël, et la lumineuse douceur de Hanoukka!

Jean Taranto, français, est né près de Paris d’un père juif né en Bulgarie, et d’une mère juive née en Egypte, tous deux baptisés après un parcours très différent. Il est lui-même d’éducation et de formation catholiques. Passionné par la recherche du “religieux qui sommeille en l’Homme et se réveille souvent en s’étirant brutalement” et par le dialogue entre les croyances au-delà des seuls croyants et des “chapelles”, il vit en pleine campagne entouré de vignes dans le Sud-Ouest de la France dans l’insondable mystère de la France viticole, bigarrée, laïque et profonde

Jean Taranto

Cet article est paru sur Ops & Blogs, in TOI, le 18 décembre 2014

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