Tribune Juive

La Plaidoirie de Richard Malka. « Ils pourraient tous nous tuer, ça ne servirait plus à rien: Charlie est devenu une idée »

Ce droit si merveilleux d’emmerder Dieu

Au cinquième et dernier jour des plaidoiries interrompues parfois par les contestations, crachats et autre toux du principal accusé Ali Riza Polat, après que Marie-Laure Barré, Raphaëlle Hennemann et Nathalie Senyk prirent la parole au nom des familles et victimes de Charlie Hebdo, le silence se fit lors du plaidoyer de Me Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, qui, évoquant un procès épique, tragique, mouvementé, parfois romanesque, déclenchant la fureur du monde, de la Turquie au Pakistan en passant par l’Afghanistan, allait appeler à ne pas renoncer à ce droit si merveilleux d’emmerder Dieu !

« Le temps qui passe, les défauts d’une ordonnance, les insuffisances aussi. Tout cela ne peut rien changer à la profondeur de notre chagrin.  Les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ont un sens qui dépasse les actes commis : ils ont un sens politique, idéologique, métaphysique. Ils convergent vers le même objectif. Quand Coulibaly tue des juifs, il ne tue pas que des juifs, il tue l’Autre. Charlie Hebdo c’est l’Autre. L’Autre libre, libertaire, qui s’exprime librement et qui se rit des fanatiques. Comment faire dans une cour d’assises quand je sais bien que l’objet c’est d’analyser des faits et pas forcément de protéger la liberté et la diversité. Je crois qu’il faut accepter qu’il y ait deux procès en un. Ces crimes ne sont pas que des crimes comme d’autres et ce procès ne peut pas être qu’un procès comme un autre. Il doit assumer sa dimension symbolique. Et rien dans le code de procédure pénale n’empêche une cour d’assises de prendre en compte cette dimension symbolique. Vous avez un espace de liberté dans la motivation de votre avis. Je veux plaider pour aujourd’hui, pas pour demain. Pas pour les historiens ou le futur. Parce que le futur c’est virtuel. C’est à nous de crier, de chanter, de parler pour couvrir de nos voix le son hideux des kalachnikovs. C’est à nous et à personne d’autre de nous battre pour rester libre. Mais encore faut-il pouvoir le faire sans être abattu par des kalachnikov. Pendant ce procès un enseignant a été coupé en deux, pardon pour ces mots si horribles. Ces terroristes nous disent : vos cours d’assises, vos lois, on n’en a rien à faire. Ils nous disent avec un hachoir et un couteau, on fera plier 60 millions d’habitants. Et la question c’est de savoir ce que nous leur répondons. Alors certains disent et je le lis tous les jours : il faut arrêter les caricatures. Comment peut-on penser cela avec une once d’honnêteté intellectuelle ? On pourra abandonner tout ce que l’on veut. Ils continueront à nous tuer jusqu’à ce qu’ils nous transforment en poisson rouge tournant en rond dans un bocal. Ils continueront à nous tuer parce qu’ils détestent nos libertés. Pendant ce procès, nous avons reçu des milliers de menaces à Charlie Hebdo. Et pire encore, mais je ne peux pas vous en parler. Et nos vies sont devenues bien difficiles. Et elles le deviendront encore plus après. Alors qu’au moins ça serve à quelque chose. Ils veulent nous terroriser et nous faire peur. Et il faut leur répondre. Alors comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui se joue dans cette drôle de guerre qui oppose des dessinateurs à des fanatiques avec des armes de guerre ? »

« L’histoire que je vais vous raconter c’est notre histoire. Et c’est aussi l’histoire, messieurs, qui vous a amenés dans ces boxes. […] Le monde a cédé devant l’obscurantisme et ceux qui détestent les libertés ont gagné. Ils ont senti le sang de nos démocraties et ça leur a donné de l’appétit. L’histoire du blasphème en France commence en 1740 et Cabu en est l’héritier. Il aurait adoré être là parce qu’il aimait tellement dessiner les procès. Cabu qui caricaturait toutes les institutions, en particulier l’armée. Nous sommes en 1740. Une dizaine d’hommes ont changé le monde. On les a appelés les encyclopédistes. Ils ont changé le monde parce qu’ils ont décidé de le regarder sans Dieu.

“On n’a pas le choix. On ne peut pas renoncer à la libre critique des religions. On ne peut pas renoncer aux caricatures de Mahomet. Ce serait renoncer à notre histoire, à l’esprit critique, à l’égalité des hommes et des femmes, à l’égalité pour les homosexuels. Ce serait renoncer à la liberté humaine pour vivre enchaînés. Ce serait renoncer à la liberté d’emmerder Dieu, monsieur le président. Et ça Cabu, tout gentil qu’il était, n’y aurait jamais renoncé. Et nous n’y renoncerons jamais. Jamais ! Jamais ! Le combat de Charlie Hebdo c’est aussi un combat pour la banalisation de l’islam. Un combat pour qu’on regarde cette religion comme une autre. Et en faire une exception serait le pire service qu’on pourrait lui rendre. Ceux qui souillent l’humanité ce sont ceux qui tuent les innocents. Ceux qui enferment de pauvres blasphémateurs. Ce qui souille l’humanité c’est cette absence de doute. C’est ce puissant venin de l’idéologie victimaire qui transforme des êtres humains en machines à tuer. Ce dont on veut nous priver c’est de critiquer le fanatisme religieux. Et ça ce n’est pas possible. L’ancêtre de Charlie Hebdo c’était Hara Kiri. Le slogan de ce journal c’était : « Si tu ne peux pas l’acheter, vole-le« . Voilà ce qu’était l’ancêtre de Charlie Hebdo. Le premier numéro de Charlie Hebdo va être consacré à la censure. C’est l’ADN de ce journal. Nous ne pouvons pas abandonner ce combat-là. La libre critique des religions. Pas des hommes croyants. Ça c’est du racisme ou de l’antisémitisme. Mais la libre critique des idées, des croyances. C’est essentiel sinon on sombre dans l’obscurantisme. Ce journal continue à vivre monsieur le président. Il vit dans un bunker, mais il vit. Il vit entouré de policiers, mais il vit. Il vit sous les menaces. Il vit après une année 2015 dont je ne peux même pas vous parler tant elle a été douloureuse. On ne peut pas tuer une idée. Ils pourraient tous nous tuer, ça ne servirait plus à rien. Parce que Charlie est devenu une idée. Ça ne sert à rien de continuer à essayer. Parce qu’ils en ont fait un symbole. C’est le combat éternel de la barbarie contre la civilisation. La civilisation n’est pas coupable. Les caricatures ne sont pas coupables. Ce qui est coupable, c’est la barbarie et rien d’autre.

Je ne me prononcerai pas sur la culpabilité des hommes qui sont dans ces boxes. Mais pour moi, ceux qui ont connu Coulibaly ont tous commis un crime : un crime d’indifférence. Ils savaient qu’il avait été poursuivi pour terrorisme. Ils savaient qu’il était violent. Monsieur Coulibaly parlait à qui voulait l’entendre de la persécution des musulmans dans le monde. Il était obsessionnellement antisémite. Et ça se voyait forcément. Et vous avez forcément dû le voir. Vous n’avez pas pu ne pas voir que cet individu dangereux qu’il était aussi obsessionnellement antisémite. Et pourtant chacun à votre tour vous l’avez aidé. Avec un tout petit peu de morale, de prudence et d’intelligence, tous les voyants étaient au rouge. Or, de la morale, de la prudence, de l’intelligence ils en ont. Je trouve qu’ils en ont. Monsieur Polat qui connait son dossier par cœur, qui voit les failles. C’est monsieur Prévost qui nous livre un bout de vérité. Il nous dit : « on ne se pose pas de questions« . C’est ça. Mais à un moment, ne pas se poser de questions, ça pose un problème. Et peut-être que ceux qui sont morts ne le seraient pas. »

Les religions sont le pire et le meilleur, elles ont structuré l’humanité et lui ont donné un million de morts. Et ne pas vouloir voir ça c’est ne pas vouloir voir notre part sombre à chacun.

La haine a été nourrie à plusieurs étapes. Ces personnes savent-elles que depuis 1992, Charlie Hebdo est de tous les combats antiracistes ? Ces personnes savent-elles que renoncer à cette liberté d’expression reviendrait à plonger dans le désespoir des millions de musulmans de par le monde. Alors ces trois mois ont été tragiques, difficiles. Autant que ça serve pour que nous ne perdions pas nos rêves, nos idéaux, que nous ne tournions pas le dos à notre histoire. Que nous ne soyons pas la génération qui aurait abandonné notre histoire. Mes derniers mots seront pour Charb. Et j’ai tenu à ce que Denise et Michel soient présents parce que je tenais à leur dire que leur fils était magique. Et que quand on en a marre, quand on a envie d’abandonner le combat, c’est à Charb que nous pensons. Charlie vivra ! »

Richard Malka plaida vendredi 4 décembre devant la Cour d’Assises

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