Tribune Juive

Joëlle Galimidi. Guett et Divorce civil. Le scoop de l’année: une loi caduque depuis 1905!!!!

Ce film traite du douloureux problème des femmes juives que leur mari ne veut pas libérer des chaines d’un mariage terminé

Cet article s’inscrit dans un petit coin du cadre du douloureux problème des femmes juives que leur mari ne veut pas libérer des chaines d’un mariage terminé, et qui sont souvent condamnées à la solitude sous peine de donner naissance à des enfants ayant le statut très particulier de mamzer (bâtard).

Dans le judaïsme, il revient au mari et à lui seul de remettre à sa femme le document de divorce (Torah, Deutéronome 24-1) appelé Guett.

Cette démarche se fait devant le Beth Din (en France, tribunal rabbinique placé sous la responsabilité du Consistoire).

La mesure la plus contraignante du Beth Din contre le mari récalcitrant est l’envoi de lettres recommandées, une fois le divorce civil prononcé.

La mesure la plus contraignante des tribunaux civils contre le mari récalcitrant est sa condamnation à payer des dommages et intérêts à sa femme pour refus persistant de donner le Guett.

Pour obtenir ces dommages et intérêts, la femme doit communiquer aux tribunaux civils

Ce qui veut dire qu’actuellement le mari peut légitimement refuser toute démarche liée au Guett jusqu’au prononcé du divorce civil. 

Un divorce civil non amiable peut durer plus de 10 ans

Et c’est là où je veux en venir, car UN DIVORCE CIVIL NON AMIABLE PEUT DURER PLUS DE 10 ANS :

-Pourquoi le Tribunal civil demande-t-il un divorce civil préalable avant de condamner le mari récalcitrant à des dommages et intérêts ? 

     -Parce que le Consistoire écrit dans son Guide du divorce religieux : « En France le divorce religieux s’effectue après le divorce civil ». https://consistoire.org/pdf/wizo_guide_du_divorce.pdf  

    – Pourquoi le Consistoire écrit-il : « En France le divorce religieux s’effectue après le divorce civil » ?

Disons tout de suite que ce n’est par respect du principe talmudique « Dina démalkhouta dina » (La loi du pays est la loi) car il ne s’applique pas aux règles religieuses. (http://ghansel.free.fr/dina.html#tthFtNtAAE)

La plupart des gens répondront : parce que c’est pénalement interdit de procéder au mariage religieux avant le mariage civil.

C’est vrai (1) mais la loi pénale étant heureusement d’interprétation stricte, ça ne répond pas à la question : quelle loi française interdit de procéder au divorce religieux avant le divorce civil ?

En cherchant bien, on trouve un Décret napoléonien du 17 mars 1808 mentionnant que :

 « Les fonctions de rabbins sont … 6° de célébrer les mariages et de déclarer les divorces, sans qu’ils puissent, dans aucun cas, y procéder que les parties requérantes ne leur aient bien et dûment justifié de l’acte civil de mariage ou de divorce. »  (2)

Le scoop de l’année: une loi caduque depuis la Loi de 1905!

Et là est le scoop de l’année, cette loi est caduque depuis… 115 ans, depuis la fameuse Loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.

Les Consistoires israélites ne sont plus des établissements publics mais des associations (sauf en Alsace-Moselle) (3), mais ils sont toujours considérés comme l’interlocuteur des pouvoirs publics et comme la référence en matière de loi juive.

De plus, si à l’époque, Napoléon a pu être rassuré par l’engagement des rabbins d’attendre que le mariage ait été civilement dissous, aujourd’hui la société civile est au contraire scandalisée qu’on impose aux femmes juives d’attendre aussi longtemps le Guett.

Le Beth Din respecterait ainsi:

Enfin, la simple suppression du Guide du divorce religieux de la phrase « « le divorce religieux s’effectue après le divorce civil » enverrait un signal fort aux maris récalcitrants et abrégerait probablement le calvaire de certaines femmes de plusieurs années.

Cette modification pourrait se faire à l’occasion de la réforme du divorce prévue pour 2021. (4)

Notes

(1)        Article 433-21 du code pénalactuellement en vigueur : « Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »


(2) Décret impérial n° 3 237 du 17 mars 1808, qui prescrit des mesures pour l’exécution du règlement du 10 décembre 1806 concernant les Juifs. Auteur(s) : Napoléon 1er

DÉCRET

Au Palais des Tuileries, le 17 mars 1808.

NAPOLÉON, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D’ITALIE, et PROTECTEUR DE LA CONFÉDÉRATION DU RHIN ;
Sur notre rapport du ministre de l’Intérieur ;

Notre Conseil d’État entendu,
Nous AVONS DÉCRÉTÉ et DÉCRÉTONS ce qui suit :

REGLEMENT

Les députés composant l’assemblée des Israélites, convoqués par décret impérial du 30 mai 1806, après avoir entendu le rapport de la commission des neuf, nommée pour préparer les travaux de l’assemblée, délibérant sur l’organisation qu’il conviendrait de donner à leurs coreligionnaires de l’Empire français et du royaume d’Italie, relativement à l’exercice de leur culte et à sa police intérieure, ont adopté unanimement le projet suivant :

XXI. Les fonctions de rabbins sont

1° D’enseigner la religion,

2° La doctrine renfermée dans les décisions du grand sanhédrin ;

3° De rappeler en toute circonstance l’obéissance aux lois, notamment et en particulier à celles relatives à la défense de la patrie, mais d’y exhorter plus spécialement encore tous les ans, à l’époque de la conscription, depuis le premier de l’autorité jusqu’à la complète exécution de la loi, 4° de faire considérer aux Israélites le service militaire comme un devoir sacré, et de leur déclarer que, pendant le temps où ils se consacreront à ce service, la loi les dispense des observances qui ne pourraient point se concilier avec lui,

5° De prêcher dans les synagogues, et réciter les prières qui s’y font en commun pour l’Empereur et la famille impériale,

6° De célébrer les mariages et de déclarer les divorces, sans qu’ils puissent, dans aucun cas, y procéder que les parties requérantes ne leur aient bien et dûment justifié de l’acte civil de mariage ou de divorce.

 Bulletin des Lois, 1808, tome 8, 4e série, décret 3237 du 17 mars 1808, p. 217-220. https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/decret-imperial-du-17-mars-1808-qui-prescrit-des-mesures-pour-lexecution-du-reglement-du-10-decembre-1806-concernant-les-juifs/

En passant, les motivations de Napoléon étaient : « [Il faut] atténuer, sinon détruire, la tendance du peuple juif à un si grand nombre de pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société dans tous les pays du monde. Il faut arrêter le mal en l’empêchant ; il faut l’empêcher en changeant les Juifs. » http://www.napoleon.org/fr/salle_lecture/articles/files/DocJuifs_decret_mars1808.asp


(3) Wikipedia : Consistoire central israélite de France

Le Consistoire central israélite de France est l’institution créée en 1808 par Napoléon Ier pour administrer le culte israélite en France,   …

Troisième République

À la suite de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, les institutions publiques officielles de l’Église de France et des Consistoires protestants et israélites cessent d’exister, sauf en Alsace-Lorraine annexée.

Les différentes communautés juives de France se sont alors constituées en associations cultuelles israélites et se sont regroupées au sein de l’Union des communautés juives de France, en gardant cependant la dénomination de Consistoire central.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Consistoire_central_isra%C3%A9lite_de_France


(4) LOI no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice


© Maître Joëlle Galimidi

Maître Joëlle Galimidi, avocate depuis 32 ans, est Associée du Cabinet d’avocats HM Galimidi, Avocats à la Cour d’Appel de Paris.  

Impliquée dans des associations juives (le kibboutz de Paris, Hilel Campus), sensibilisée par la professeure Liliane Vana au problème des femmes en attente de Guett , Joëlle Galimidi participe à des ateliers et conférences sur le Guett (l’ECUJE, Adath Chalom, Graines de Psaumes, Assises du judaïsme du Consistoire de Bordeaux de novembre 2019) 

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