Les 9, 10 et 11 juin s’est tenu au MAHJ un colloque sur le thème : « Les Juifs et les autres minorités dans l’Islam méditerranéen, XIXe-XXIe siècles »[1]. Nous y avons assisté. Certaines interventions passionnantes, d’autres un peu moins. Mais d’une manière générale, la tonalité était au conformisme et aux lieux communs qu’il nous est, hélas, donné d’entendre lorsque qu’il est question de la relation qu’entretient l’Islam aux autres religions.
Dès l’ouverture du colloque, Mme Lucette Valensi (co-organisatrice) a d’ailleurs cru utile de nous livrer une fort longue diatribe contre auteurs, essayistes, historiens, coupables visiblement de ne pas partager ses vues sur la question des « Juifs et autres minorités dans l’islam méditerranéen ».
Rien de bien original à l’horizon finalement. On connaît en effet le credo en vigueur dans la « bonne société » sur cette « épineuse » problématique : quiconque ne sacrifie pas au discours rituel sur l’Islam « tolérant et bienveillant » pour ses minorités est au choix un crétin incapable de nuances, un inculte ou pire encore un malfaisant obéissant à l’agenda politique de l’extrême-droite, qu’elle soit française ou israélienne.
Nous exagérons à peine tant nous eûmes le sentiment d’entendre une mise à mort public des « déviants » en ouverture d’un congrès du parti communiste au milieu des années 1950.
Sans compter l’usage d’un lexique qui ne sied guère à un colloque aspirant à être pris au sérieux. Parler de « pleurnicheries » (sic) au sujet de la description que vos « adversaires » font de la vie juive dans les pays musulmans relève certainement de la polémique, du jugement de valeur à l’évidence, mais sûrement pas d’une analyse scientifique.
Mais peut-être cet exorcisme était-il nécessaire à la « bonne tenue » du colloque ? Si c’était le cas nous toucherions alors au degré zéro de la vie intellectuelle : l’élimination (par délégitimation) des voix jugées discordantes. Entendons-nous : Lucette Valensi a parfaitement le droit de penser ce qu’elle veut et peut-être même a-t-elle raison sur le fond. Ce qui est problématique en revanche lorsque l’on prétend à la rigueur intellectuelle, et ce en quelque domaine que ce soit, est l’absence de tout débat contradictoire sur le fond.
En l’occurrence, il eût été pertinent de pouvoir entendre les positions critiquées, fût-ce par la voix d’autres que les intéressés.
Sauf à admettre la partialité comme ligne directrice, une telle présentation du savoir n’est guère soutenable. D’autant moins quand il nous a été donné d’entendre en fin de colloque un André Azoulay vantant le caractère « extraordinaire », exemplaire à tous égards, des relations judéo-marocaines. Ce dernier, rappelons-le, est membre fondateur du « Projet Aladin« , et dirigea il y a fort longtemps l’Association « Identité et Dialogue » qui entendait jeter des ponts entre Juifs et musulmans.
Mais avant tout Azoulay est un conseiller influent depuis une trentaine d’années maintenant de la monarchie marocaine. En d’autres termes un « homme politique marocain » comme cela figure textuellement sur sa fiche Wikipedia. Depuis sa nomination en 1991, André Azoulay a fait carrière au côté d’Hassan II, cet homme si bon, puis de son fils Mohammed VI. La confusion des genres est fâcheuse, toujours préjudiciable.
Le média Nessma.tv consacrait il y a deux ans de cela un article à l’ouverture d’un musée juif en Tunisie. On pouvait y lire ceci : L’initiative est à mettre à l’actif de l’Association internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel des juifs de Tunisie, créée le 22 mai 2018, à Paris. ‘’Nous travaillons depuis juillet 2017, mais n’avons pas encore tranché la question de la forme concrète que prendra le musée, explique l’historienne Lucette Valensi, présidente de l’association. Il pourrait s’agir d’un département dédié au patrimoine juif au sein d’un musée national, comme celui du Bardo’’, a-t-elle souligné. […] C’est d’ailleurs la ministre tunisienne du tourisme et de l’artisanat, Selma Elloumi Rekik, qui a encouragé l’initiative de ce projet de musée juif. Pour Lucette Valensi, la ministre entend ainsi véhiculer ‘’l’image d’un pays tolérant et ouvert’’. (sic) [2]
L’ouverture de ce musée est une excellente nouvelle. Mais est-ce bien le rôle d’une historienne d’abonder la « bonne volonté » de la ministre du tourisme de Tunisie ? Sans être d’une sagacité particulière, on peut concevoir qu’une ministre du tourisme ne peut pas promouvoir autre chose que « l’image d’un pays tolérant et ouvert’ » (sic).
Elle est dans son rôle. On doute que l’historienne eut été dans le sien.
Inutile de commenter plus avant. Que chacun, en conscience, prenne ses responsabilités.
[1] programme_-_les_juifs_et_les_autres_minorites_dans_lislam_mediterraneen_xixe-xxie_siecles.pdf (mahj.org)
[2] Un musée Juif, pour la mémoire, à Tunis (nessma.tv) 13 juin 2018
© Antoine Hillel