Tribune Juive

Charles Meyer. Cette Tribune qui me fait honte

Priest celebrate mass at the church and empty place for text

La pandémie que nous subissons a nécessité des moyens inédits qui nous conduisent collectivement à des sacrifices considérables. L’économie globalisée a inévitablement accru ses effets sur l’offre et la demande, ce qui jettera des millions de Francais dans la précarité et le chômage. Mais cette pandémie convoque surtout la première des nécessités, la défense de nos vies et de nos anciens. Certes, le confinement sera peut-être redevenu dans la Grande histoire cette ligne maginot sanitaire, fort critiquée. Mais il est, en attendant mieux, la seule voie que nous ayons pu jusqu’alors emprunter et sans doute, le résultat prévisible d’un manque d’agilité, d’anticipation et d’une gestion à la petite semaine.

Pour autant, une solution, même mauvaise, vaut toujours mieux que l’anarchie qui résulterait d’une absence totale de décision. Or, quelle que soit dans quelques mois l’évolution des reponses que nous apporterons à cette épidémie, cette crise nous apprend jour après jour que la solidarité nationale est une nécessité vitale face à une épidémie au cours de laquelle nous interagissons. Du civisme des uns, dépend la survie des autres. De la solidarité de chacun dépendra la santé des plus fragiles et rien ne serait pire alors, que les dérogations insensées en cascade.

C’est pourtant à ce moment précis, alors que tous les doutes sur le deconfinement sont loin d’être levés, que des élus – de droite, disons le clairement- ont choisi de publier cette tribune qui me fait honte. Non pas que chacun puisse avoir son opinion et que le croyant ne soit pas légitime à se soucier de son culte. Mais parce qu’elle flatte plus qu’elle ne pense. En suggérant, par exemple, que le gouvernement prendrait de mauvaises décisions parce que ses membres ne pratiquent pas et ne peuvent donc comprendre leurs concitoyens croyants. Ces élus auraient souhaité afficher bannière au vent l’indécence d’un opportunisme politique qui crève les yeux, qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. A quelques encablures de la décision rendue par la Cour constitutionnelle allemande dans un contexte et un ordonnancement juridique déjà bien différents, des politiques prennent une fois de trop la parole au nom des croyants, au risque évident de donner raison aux intégristes et aux illuminés qui depuis des semaines se dérobent à leur devoir.

En l’absence de masques en nombre suffisants, de tests fiables et quasi systématiques, en l’absence même de respirateurs en quantité suffisante pour affronter une éventuelle seconde vague, nous n’oublions pas que l’un des premiers foyers en France provenait d’un rassemblement religieux. Non pas qu’il faille spécifiquement incriminer les croyants et entendons-nous bien: l’épidémie aurait pu, évidemment, venir de n’importe quel autre type d’événement. Mais bien parce que si les réouvertures d’écoles et de certains commerces non essentiels peuvent être légitimement contestées et débattues, alors ce sont toutes les activités non vitales qui doivent l’être. Pratiquer la messe et se substanter à l’eau bénite ou à l’hostie, ce n’est pas plus essentiel à certains concitoyens, que pour d’autres, d’aller dans une bibliothèque, un cinéma, un théâtre, un club de sport, un cours de yoga, un sauna ou un sex shop. Question ici encore, de choix individuels et de liberté. Celle de pratiquer un culte n’est pas une variable d’ajustement des autres libertés. En pleine crise sanitaire, elle n’a pas à moduler la liberté d’aller et venir ou la liberté de réunion, selon que vous croyez ou ne croyez pas et bien plus inacceptable encore, selon que votre culte est puissant aux yeux du Monarque ou ne l’est pas. Alors même que les deux poids et deux mesures se multiplient partout depuis des mois, nous n’avions vraiment pas besoin que Les Républicains nous embarquent dans cette aventure que le cul bénit illuminé qui officie en tant que président de la République, pourrait être tenté de suivre. Celui qui rêve de desinstitutionaliser les principes fondateurs de la République au premier titre desquels la laïcité, celui qui consulte en cascade les curés et autres mondanités lacrymogènes, en prenant le soin de piéger une association laïque parmi elles , pourrait bien accéder à ce type de revendication qui n’a pas plus de justification que toutes celles qui dérogent à la loi commune.

Parce que cela est susceptible de nous mettre tous en danger, parce que nous n’avons pas envie de passer notre mois d’août confinés à cause de bondieuseries et parce qu’enfin et surtout, on se demande bien ce que signifie un geste barrière pendant l’eucharistie ou à la prière du vendredi, je regrette que des personnalités, pour certaines aussi intéressantes par ailleurs, commettent cette tribune qui me semble aller à l’inverse de l’intérêt général et du bon sens dont nous regrettons amèrement l’absence depuis des semaines.

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-liberte-de-culte-serait-elle-moins-importante-que-la-liberte-de-consommer-20200501

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