
Le 26 février au matin, un de mes amis, le moins communautariste qui fût, combattant inlassable pour la laïcité, posta cette photo sur les réseaux sociaux : « J’ai lu… Puis relu… En regardant attentivement cette photo-là… Je ne parviens même pas à me décider : est-ce conscient où est-ce de nouveau (ou encore) un fragment d’inconscient collectif ?
Que Le Monde, pas Minute, ni Présent, ni L’Œuvre française, ni Je suis partout, puisse laisser passer – ou assumer – un tel titre est un message clair pour nos concitoyens de confession juive. Partez !
Finalement, Jean-Paul Sartre a eu raison sur au moins un point, la création de la catégorie ontologique et politique du salaud[1].
L’auteur de ce titre, associé à cette photo, est un salaud. »
L’auteur du post poursuivit :
« Edit 26/02 : probablement devant les protestations, Le Monde a modifié le titre et la photo de son article. Bien entendu, ni excuses, ni explications de la part du quotidien infaillible. »
Comme mon ami, j’ai regardé et regarde encore, plusieurs jours après, cette Une. Cette photo. Ce titre. Détestables. Haïssables. Dérangeants au plus haut point. Ce choix. Ces mots. Ça n’était plus ce que Charles Rojzman aimait à nommer « l’antisémitisme ordinaire ». C’était certes banal. Du tout-venant. Et ça restait haïssable au plus haut point. Mais quelque chose avait changé : la chose était bien incurable. Et tous les jours nous pourrions trouver matière à en parler. #antisémitismeFranceEurope2020
Changeons la Une
Quelques heures plus tard, le titre et la photo avaient changé. Ronald Lauder, la nostalgie et le combat, titrait le quotidien qui jadis faisait référence.
Changé. Sans autre forme de procès. Je pris le temps d’aller lire « L’Espace Réactions« , où je trouvai évidemment la prose la plus antisémite qui fût, côtoyant des commentaires furibards : « Tout est dans votre titre milliardaire et président du congrès juif mondial. Les vieux clichés antisémites ont encore de beaux jours devant eux. »
« Je note — comme toujours — qu’on peut toujours compter sur l’équipe qui trouve les titres au Monde.fr. Il n’y a que moi qui suis choqué de voir les mots « milliardaire » et « juif » accolés dans le même titre ? C’est donc important de lourdement souligner que le Président du Congrès Juif Mondial est… milliardaire ?«
« Comme d’autres contributeurs je trouve ce titre plus que malheureux. Comment l’expliquer ? perte de repères ? banalisation des stéréotypes racistes ? Ou pure bêtise ?«
« Les attributs du titre : « milliardaire et président du Congrès juif mondial » me font froid dans le dos. L’antisémitisme s’est-il tellement banalisé au Monde que nul n’y a trouvé à redire ?«
« Pourquoi titrer dans l’accroche de Une « Ronald Lauder, milliardaire et président du Congrès juif mondial » ? Dirait-on « Bernard Arnaud, milliardaire et soutien catholique » de je ne sais quoi ? Cet article est ambigu, probablement comme son auteur. Etrange.«
« Il n’y a pas que le titre de malheureux, mais également une grande partie de l’article émaillé de connotations négatives vis à vis de la « cible » choisie. Il suffit de lire les réactions des lecteurs pour constater que le but est atteint. Affligeant…«
A quoi certains répondaient en félicitant leur quotidien chéri d’avoir changé le titre … afin de le soustraire à l’inévitable stigmatisation.
On était venu pour parler de Vienne, d’Art nouveau et d’Europe avec l’héritier d’Estée Lauder. C’est le défenseur infatigable de la cause juive qui nous reçoit, commence Arnaud Leparmentier, correspondant du Monde à New York.
Au lieu de le présenter comme un homme d’affaires, diplomate, collectionneur d’art américain élu en 2007 président du Congrès juif mondial, le journaliste l’appelle Le Milliardaire, lequel pour info, aime à se définir comme le mélange de trois choses, un juif, un collectionneur d’art et un philanthrope formé par la lecture de L’Homme sans qualités, roman inachevé de Robert Musil, et celle de Stefan Zweig, écrivains traqués par les nazis et qui interroge les organisations juives européennes : Qui s’élève en France pour les juifs ? Qui s’élève en Allemagne pour les juifs ? Qui s’élève en Europe pour les juifs ? Niemand, personne, Nobody.
Non-Juifs, pour beaucoup d’entre vous, vous avez … abdiqué. Comme l’écrit Joann Sfar, « Aujourd’hui, nos contemporains nous disent : « Désolé, on a fait ce qu’on a pu. » Et je reconnais que c’est … usant … de lutter contre cette peste. Usant, et in fine … vain.
[1] Lire L’Être et le néant. Introduction ; Jean-Paul Sartre. 1943.