Tribune Juive

Maxime Tandonnet. Journal intégral du Général Gourgaud

« Le seul et capital témoignage de la vie à Sainte-Hélène », affirme l’historien et homme politique anglais Lord Rosebery.

Après avoir présenté l’an dernier le Mémorial de Las Cases, je viens de terminer la lecture du Journal intégral de Gaspard Gourgaud (1783-1852), premier officier d’ordonnance de Napoléon, qui fait le choix de l’accompagner en exil avec une poignée de fidèles jusqu’au bout, Las Cases, le Grand Maréchal Bertrand et Montholon avec leurs épouses.  

Le Mémorial avait été écrit pour la légende napoléonienne. Le Journal intégral se présente bien différemment. Il est la retranscription crue, bien que dans un style soigné, des notes prises au jour le jour par le Général Gourgaud pendant son séjour à Sainte Hélène, un document d’une sidérante franchise.

Cette nouvelle édition a une particularité: elle livre pour la première fois le Journal dans son intégralité, sans la moindre coupure. Le monde qu’on y découvre est bien différent de celui que nous offrait las Cases.

Le récit quotidien ne cesse d’osciller entre la magnificence du passé, sous la dictée de Napoléon, un empire ayant dominé l’Europe, et les petites misères du quotidien dont rien n’est caché: l’ennui, la maladie, le mauvais temps, les frustrations de toutes sortes, les jalousies, les mouvements d’humeur, les haines et les amitiés…

Gourgaud, 34 ans, souffre profondément. Il reproche à « Sa Majesté » son manque de gratitude et de reconnaissance envers celui qui a tout abandonné pour le suivre dans l’exil. Les moments de tendresse et les colères entre les deux hommes s’enchaînent dans un climat de tension croissante au fil des pages. Gourgaud ne supporte pas Las Cases qu’il considère comme un intrigant.

Puis, après le départ de ce dernier, il s’en prend au couple Montholon qu’il accuse de manipuler l’Empereur notamment « la Montholon », maîtresse de Napoléon, dont il déplore l’obséquiosité.

L’Empereur ne tolère pas les tensions entre ses cinq ou six fidèles.

Le Journal de Gourgaud ensorcelle le lecteur qui ne peut plus s’en décrocher, comme hypnotisé, envoûté par l’étrange vertige que produit le survol d’un gouffre, un abîme  creusé par le contraste entre la grandeur du passé et les mesquineries de la vie en exil. Sainte Hélène est un vaisseau fantôme ballotté  par les grands courants de l’histoire de l’humanité, qui emporte vers le néant cette infime poignée de fidèles, unie par la fidélité intransigeante, fanatique, mais déchirée par les courtisanerie, comme dans un rêve où l’empire se poursuivrait…   Le récit est empreint d’un sulfureux mélange de loyauté absolue, envers le héros de l’histoire, et la rage de ne pas être suffisamment aimé de lui. Il est imbibé de tristesse et de désespoir, dégageant une émotion infinie. Comme de grands fantômes, les souvenirs d’Italie, d’Egypte, de Brumaire, d’Austerlitz, des cent Jours, de Waterloo, hantent la médiocrité du quotidien. Et s’ouvre un abîme de perplexité sur la destinée des empires, la malédiction de la gloire, le passage – inéluctable ? –  de la grandeur à la déchéance ou à la décadence. 

822 pages de dépaysement total, dans le temps comme dans l’espace, et de bonheur absolu…

Source: Mon Blog personnel. 26 février 2020.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est haut fonctionnaire, historien et essayiste. son dernier ouvrage: André Tardieu l’Incompris est paru chez Perrin en 2019.

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