Nadine Richon. Cher Alain Finkielkraut…

Alain Finkielkraut

Cher Alain Finkielkraut,

Vous qui citez votre femme bien-aimée tel le lieutenant Columbo de la philosophie, qu’allez-vous faire dans la galère Matzneff ? « Un homme ça s’empêche », avez-vous rappelé sur CNews chez Pascal Praud, mais pourquoi ce service minimum quand il s’agit de dénoncer les comportements de ce pédophile notoire, comme si vous vouliez encore et toujours prêter le flanc aux malentendus, voire aux insultes de celles qui, parmi les féministes, ne s’embarrassent d’aucune subtilité ?

Gabriel Matzneff

Il devient impossible de raisonner celles qui vous traitent de « raclure », entre autres horreurs, et leur nombre ne cesse malheureusement d’augmenter. Vos insulteurs sont aussi masculins d’ailleurs. J’ai lu et apprécié votre dernier livre, surtout le passage sur l’interminable question juive, mais j’ai moi aussi de plus en plus de mal à vous apprécier lorsque vous parlez des relations entre les hommes et les femmes.

Votre façon de pinailler sur l’âge des jeunes filles, comme s’il y avait un saut quantique entre 13 et 14 ans, devient vraiment pénible. Votre manière de dire d’une telle qu’elle ressemble à ceci ou cela me fait penser à la façon dont on pouvait affirmer autrefois qu’une jeune fille de bonne famille est à protéger, alors qu’un tendron est consommable si elle se propose contre rémunération. Je songe, par exemple, à Mérimée se régalant des très jeunes prostituées londoniennes « blanches comme des cygnes, douces comme satin ».

Vous vous échinez à voir des « jeunes filles en fleur » autour de vos amis, mais aussi de Matzneff, et prenez des pincettes même dans son cas pourtant si clair ! Vous jouez sur le mot pédophilie parce que Vanessa Springora n’était plus à proprement parler une enfant à 13-14 ans mais une adolescente, alors que l’essentiel se joue dans l’abus dont elle a bel et bien été victime et dont les répercussions terribles ont entaché une bonne partie de sa vie adulte. Vous le sauriez si vous aviez pris la peine de lire son livre au lieu de venir en parler précipitamment, pour ne pas vous « dérober », mais alors, vraiment, avec tout le respect que je vous dois, moi qui suis une admiratrice de longue date, parfois il vaut mieux se taire.

Pascal Praud, heureusement, vous a aidé, lui qui avait lu le livre et ne pouvait plus se réfugier derrière le prétexte littéraire. A mon avis, il vous a empêché de vous enfoncer. Certes, Vanessa Springora s’interroge sur la notion de victime ; elle s’est laissée enfermer entre 13 et 15 ans dans la farce amoureuse et la folie sexuelle de Matzneff, avant de comprendre et d’assumer son statut de victime. Comme vous n’avez pas lu son livre, vous minimisez sa souffrance !

Faut-il donc que vous, l’intellectuel percutant et poignant, l’homme d’une grande douceur, veniez soutenir une soldatesque masculine qui ne le mérite pas ? Même à terre, un Matzneff ne mérite pas que vous vous fassiez insulter pour lui ! Polanski, encore, on peut discuter, il s’est pacifié depuis longtemps et n’a pas fondé son œuvre sur ses vices. Je sais qu’avec certaines féministes, on ne peut guère discuter ; les plus jeunes déchirent tout sur leur passage et se font les complices ignares de la haine envers la culture occidentale, au point de ne même pas défendre la sortie du religieux comme un acquis non négociable, intrinsèquement lié à l’émancipation des femmes.

Elles devraient savoir, pourtant, à quel point l’Église a empêché l’expression du désir féminin, pour ne parler que de ça. Les hommes, eux, ont pu déployer leur virilité dans tous les secteurs professionnels, sportifs, politiques, ont été priés de donner libre cours à une sexualité double déclinée dans le mariage et au bordel, avec la bourgeoise et la « gueuse », la « grisette », la « garce », le modèle du peintre, la muse de l’écrivain, divisant le monde entre l’épouse et la servante. Cette virile sexualité était double mais toujours dominatrice, même dans la douceur du foyer, où les femmes ont été sommées de dire merci et amen en contrepartie d’une certaine protection. Dans ce contexte, dont nous avons hérité et qui reste prégnant si l’on songe à la prostitution, au viol, à la pédophilie et aux violences envers d’innombrables femmes dans le monde entier, vous ne parlez que de la galanterie.

Mais la galanterie, les émotions tendres, les sentiments, nous ne sommes pas contre ! Flaubert était contre : « J’exècre la galanterie (…) cette perpétuelle confusion de la culotte et du cœur me fait vomir », écrivait-il à sa maîtresse. Vous faites comme si à côté de la galanterie il n’y avait jamais eu la goujaterie, la gauloiserie, la gaudriole qui vouaient les femmes à n’être qu’un réceptacle de foutre, désolée mais c’est ça. Là encore, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain : la sexualité est un terrain de jeu qui ne doit pas craindre l’obscénité, mais partagée entre les deux sexes, ce qui n’est pas encore le cas, même ici en Europe, pas encore, tant que des Matzneff seront protégés !

Je m’arrête là, cher Alain Finkielkraut, c’est long et court à la fois, pour vous dire que vous n’avez rien à voir avec toute cette goujaterie. Vous me donnez parfois l’impression d’être ce brave Louis XVI sommé de faire étalage d’une virilité de combat qui ne lui était pas propre. On peut laisser tomber ces injonctions mortifères pour toutes et tous sans nuire à la culture, au charme et au piment des relations amoureuses et sexuelles.

Nadine Richon

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5 Comments

  1. Le premier péché au monde ne serait-ce pas d’EXCLURE? Je comprends la hauteur de vue qui pousse à dire, être homme c’est être adulte, être adulte c’est être responsable de ce que l’on fait, pense, veut, désire. Donc un être humain est un être qui doit être capable de s’empêcher. C’est l’esprit de Montaigne. Rien d’humain ne me seraitbétranger jusqu’au plus profond d’un coeur mélancolique. Mais en ces temps d’ignorance, d’intolérance et d’acharnement, devant une parole mesurée qui explique, trop d’entre nous la pèse comme une excuse de ce qui reste simplement condamnable. Ce qui est condamnable, c’est toute forme d’asservisszement, du corps, par l’esprit même s’il y a par manipulation une forme de consentement passif ou implicite. Asservir par le pouvoir que l’on a est à condamner. Avant d’aimer il faut savoir marcher dans la neige sans laisser de traces….

    • Je ne trouve aucune excuse à Gabriel Matzneff. Mais je ne suis pas une philosophe de la trempe de Mr Finkelkraut …..je suis grand mère et arriére grand mère . J’ai toujours trouvé les propos de notre philosophe tarabiscotés, pourquoi n’a t-il pas dit qu’il réprouvait et condamnait les mauvais penchants de G. Matzneff?

      • Oui, je pense aussi qu’il n’a pas été assez clair, mais habituellement je le trouve plutôt éclairant. C’est dommage et cela entache son image sur une thématique cruciale aujourd’hui et pour l’avenir : les relations entre les sexes.

        • Condamner c’est exclure. Et exclure heurete toujours les êtres humains habités par une bienveillance qui se veut universelle. Et puis chercher à comprendre, à expliquer est compris ou associé parfois comme chercher à justifier.

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