L’arrêt rendu le 19 décembre dernier par la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a provoqué une vive émotion conduisant à des appels tant au Président de la République qu’au Garde des Sceaux. Au-delà de la question de l’atteinte à la séparation des pouvoirs – et aussi à la laïcité – que ces réactions posent, il apparaît utile de faire connaître un fonctionnement aussi fréquent que non écrit de l’institution judiciaire.

Lorsqu’une affaire judiciaire connaît un important retentissement – et ce phénomène ne date pas de l’irruption des réseaux sociaux dans la vie quotidienne – elle fait l’objet d’un suivi particulier : elle devient ce que l’on appelle « une affaire signalée ».
Parfois, ce caractère se traduit même par un marquage matériel au moyen de l’apposition d’une pastille rouge sur le dos sur la chemise du dossier d’information.
Le meurtre de Lucie Attal dite Sarah Halimi, le 04 avril 2017 vers 5 h 30, par défenestration depuis le balcon de son appartement du troisième étage à Paris, après des coups d’une grande violence durant plus de 45 minutes, fit d’abord l’objet d’un assourdissant silence médiatique. Lorsque, la campagne présidentielle s’étant terminée, le Président fraîchement élu l’évoqua dans son discours lors de la commémoration de la Rafle du Vel’ d’Hiv, il réclama – au mépris, du reste, de l’indépendance de la Justice dont il est constitutionnellement le garant – que toute la lumière soit faite en ce dossier.
Quand le Chef de l’État s’exprime ainsi, le dossier – s’il ne l’était déjà – devient une « affaire signalée » c’est-à-dire suivie de très près au niveau de la Chancellerie – et aussi, en l’espèce, du « Conseiller Justice » du Président de la République – via des rapports adressés après chaque élément nouveau (interrogatoire, retour de commission rogatoire, dépôt de rapport d’expertise, etc.) par le Procureur de la République au Procureur Général qui, à son tour, fait rapport au Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces – le magistrat à la tête de la Direction de la Chancellerie en charge des affaires pénales.
Cette pratique est largement ignorée du public c’est-à-dire du « peuple français » au nom duquel la Justice est rendue, comme de la « société française » dont la parole est censée être portée par le Ministère Public c’est-à-dire le Parquet.
Elle ne peut être découverte que lorsque, mécontent que son dossier d’information soit l’objet de trop fréquentes demandes (téléphoniques) de transmission par le Parquet, au point que son travail en soit perturbé, le magistrat instructeur exige que la demande soit formulée par soit-transmis[1] lequel sera coté au dossier – ce qui est rarissime, et fort mal vécu par le Parquet.
Dans l’affaire qui nous intéresse, la Chancellerie ne découvre donc pas, au travers de « lettres ouvertes » et articles de presse, une décision qui est, en tous points, conforme au réquisitoire du Procureur Général – document qui avait été porté à sa connaissance, comme il est usuel dans une affaire sensible, avant même d’être officiellement déposé au greffe de la Chambre de l’instruction.
On voit mal, dans ces conditions, le Procureur Général[2] près la Cour d’appel de Paris former un pourvoi contre cet arrêt – non seulement pour un motif de recevabilité, mais sur le fond : quel grief pourrait-il invoquer contre une décision qui lui a donné satisfaction en toutes ses demandes ?
DK♦ Magistrat en retraite.
Source: MABATIM.INFO 31/12/2019
[1] Le soit-transmis est un document courant dans les services judiciaires. Il sert à la communication notamment avec les services de police, ou même entre magistrats.
[2] La féminisation des titres attachés à une fonction devrait conduire à écrire « la Procureure Générale », puisque le Parquet Général près la Cour d’appel de Paris est dirigée par une femme. Ce refus est assumé par l’auteur – attaché au respect de la langue française et indifférent à la mode de l’écriture dite « inclusive ».