Tribune Juive

Si Sarah Halimi n’avait pas été juive. Par Sarah Cattan

Au cœur de l’été, le vendredi 12 juillet, là où chacun est moins attentif aux infos du monde et où Paris ne s’occupe que du prix du homard et autres fadaises, l’info tomba, à l’orée d’un grand week-end, à l’heure du retour des plages. 

Voilà que Anne Ihuellou, Vice-Président chargé de l’instruction depuis le début de l’Affaire Sarah Halimi, suivie par Laurence Lazerges, nommée en cours de route au vu de la gravité de la chose, rendent  publique l’ordonnance de transmission de la procédure aux fins de saisine de la chambre de l’instruction.

32 pages, un non lieu

Une dépêche de l’AFP dont se saisissent illico les media, évoquant qui le meurtre de la retraitée, qui celui de la sexagénaire.  Et annonçant le scooooop.

32 pages. Hallucinantes au vu des faits. 32 pages dont on regarde d’abord, comme sur le compte-rendu d’un pet scan attendu avec anxiété, les conclusions, et plus précisément, les grands points de la discutio :

Traoré est bien l’auteur des faits de séquestration au préjudice de la famille Diarra et d’homicide volontaire commis sur Mme Lucie Attal.

Mais Les éléments sont insuffisants pour caractériser la circonstance aggravante d’homicide commis à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée.

Elles ont, nos 2 Juges, conclu à un non-lieu et à l’inexistence du caractère antisémite du forfait de Traoré. Je ne suis nullement étonné, dira Gilles-William Goldnadel, puisque c’est la procédure d’instruction la plus chaotique et erratique qu’il m’ait été donnée de connaître.

32 pages qu’on lit. Qu’on relit. Pour comprendre par quel raisonnement digne de ce nom deux Magistrates ont pu en arriver là, après quelque 830 jours … d’instruction : A l’examen des 3 expertises psychiatriques desquelles a bénéficié Traoré, il y a des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal : N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Pour info, l’abolition de ce discernement suppose sa suppression totale, de sorte que la personne ne peut comprendre ses actes puisqu’elle a perdu la raison.

Gilles-William Goldnadel

32 pages remises aux Parties civiles et qui disent, avant de rappeler les faits, avoir tenu compte du Réquisitoire définitif du Procureur de la République qui demandait en date du 17 juin   le renvoi devant une Cour d’Assises de Traoré pour homicide volontaire à caractère antisémite, mais encore des observations de l’avocat de Traoré, Maître Bidnic le bienheureux qui plaidera l’irresponsabilité pénale de son client pour cause de trouble mental, ou, à tout le moins, la saisine de la Chambre de l’Instruction, et des observations de Maître Oudy Bloch, avocat du frère de Sarah Halimi, adressées le 28 juin par lettre recommandée à Anne Ihuellou.

Dans l’Ordonnance, on nous rappelle une date, ce 4 avril 2017, et l’heure, 05h37, où les effectifs de la BAC et de la BRI interpellaient, après avoir forcé la porte, Traoré au domicile de la famille Diarra.

Où concomitamment, est découvert par des effectifs de police le corps sans vie d’une femme, tombée sur la terrasse dans le jardin de la résidence, le visage tuméfié. C’est la retraitée. C’est Sarah Halimi.

Dans l’Ordonnance, sont cités des témoins réveillés par de forts gémissements qui ont vu depuis leur appartement une femme se faire rouer de coups par un homme lui criant : Tu vas fermer ta gueule, grosse pute, salope, tu vas payer, avant de continuer tout en frappant sa proie : Allah Akbar, Que Dieu m’en soit témoin, Tu vas payer, C’est pour venger mon frère.

Après un acharnement qu’un témoin qualifiera de bestial, l’homme, conscient de l’arrivée de la police sur les lieux de son crime et anticipant cyniquement sa défense, saisit par les poignets sa victime encore vivante, crie qu’une femme est en train de se suicider, et balance tout ça, le pauvre corps de Sarah Halimi, par-dessus la rambarde du balcon, avant de s’en retourner sur le balcon voisin, celui de la famille Diarra. Ledit témoin remet aux services de police un enregistrement audio, lequel sera exploité et expertisé.

C’est seulement là, nous dit l’Ordonnance, que la porte de l’appartement de Sarah Halimi sera enfoncée.

De nombreuses traces de sang jonchent les lieux et mènent au balcon duquel la victime sera jetée, vivante.

Traoré, en raison de son état de santé mental, est transféré à l’Institut Psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris, puis vers un hôpital psychiatrique, et enfin en Unité pour Malades Difficiles.

Pendant ce temps, voisins et policiers, auditionnés, attestent avoir entendu des mots incompréhensibles Et des sourates du Coran, ainsi que moult références au Sheitan.

Kobili Traoré, Bébé de son petit nom, petit voyou du quartier avec un casier judiciaire long comme un jour sans pain, après avoir passé la nuit chez son ami et voisin Kader et fumé avec lui comme à l’accoutumée quelque dix joints, Bébé dont sa famille dit qu’il aurait eu un comportement étrange dès le 2 avril, lui qui la veille de son forfait se rendit à la tristement célèbre Mosquée Omar, connue pour ses accointances salafistes, pour calmer ses angoisses, – sic -,  se rendit vers 3heures 30 du matin chez la famille Diarra, qui, nonobstant l’heure, lui ouvrit la porte, au vu des liens nés du fait d’être tous du même village malien.

L’excitation de Traoré effraya cependant les Diarra, devaient-ils dire, au point qu’ils se barricadèrent dans une pièce et appelèrent la police. La police à laquelle la fille de la famille lança, de la fenêtre, le badge d’accès à l’immeuble, mais hélas, 3 fois hélas, en voilà une qui ne fait pas comme vous ou moi et qui ne lie pas dans un même porte-clé le badge … et la clé de l’appartement. C’est ballot : Sarah Halimi aurait pu être encore en vie.

Revenons à notre homme, lequel, sans toucher un cheveu un seul de ses hôtes que d’ailleurs jamais il ne menaça, savait – apparemment – son projet : en enjambant le balcon, il était derechef sur celui de Sarah Halimi. Ce qu’il fit. Sans savoir, dira-t-il, chez qui il allait se retrouver. Oh surprise : c’était chez la Sheitan du quartier. La Juive du quartier.

Le rapport d’autopsie est accablant, listant les traumatismes crânio-faciaux, les lésions d’hémorragies massives diverses, les diverses fractures subies par la malheureuse, laquelle est, par le même rapport, décrétée vivante au moment de la précipitation dans le vide.   

L’auteur des faits, lui, arrêté avant qu’il n’eût pu fuir, n’avait pas consommé d’alcool et était sous l’influence de l’effet psychotrope du cannabis, qu’il avait consommé volontairement. – Il convient, tristement, de le préciser. Son état, au 14 juin 2017, le rendant incompatible avec une audition judiciaire, il ne sera interrogé que le 10 juillet. Pour rappel, lors de commémoration de la rafle du Vél d’Hiv le 16 juillet, le Président de la République surprit la France en demandant à la Justice de faire toute la clarté sur ce crime malgré les dénégations du meurtrier présumé.

Le 20 septembre 2017, le Parquet requérait la mise en examen supplétive de Traoré avec cette circonstance aggravante que les faits auraient été commis à raison de la judéité de la victime.

Le caractère antisémite du meurtre ne sera retenu par Anne Ihuellou comme circonstance aggravante que le 27 février 2018. Onze longs mois après les faits. Au terme d’un long bras de fer avec le Parquet.

Voilà Traoré mis en examen pour homicide volontaire.

Il racontera sa fable selon laquelle la vue d’une Torah et d’un chandelier à sept branches l’oppressèrent. Il se souvient bien avoir fracassé Sarah avant de la défenestrer, mais, comme c’est ballot, il ne saurait expliquer son geste. Pourquoi a-t-il dit à la police qu’elle allait se suicider ? Il ne sait pas. Sans doute le cannabis.

Daniel Zagury et 6 autres experts

Daniel Zagury

Le feuilleton des expertises psychiatriques commence. 7 experts. 3 expertises. Du 21 avril 2017 au 18 mars 2019. Daniel Zagury conclut à un discernement en rien aboli, mais altéré au moment des faits, ce qui donne un Traoré accessible à une sanction pénale. Son crime commis sous BLD, comprenez bouffée délirante aiguë, n’est pas incompatible avec une dimension antisémite : un crime peut être délirant et antisémite, dit l’expert, s’efforçant de relever la part du délire diabolique et celle de la haine antisémite dans l’inspiration décisive du crime, et ajoutant qu’une reconstitution comporterait un risque de rechute délirante, et devrait être encadrée par des soignants.

Bensussan, Meyer-Buisan et Rouillon, les 3 experts missionnés par la seule et zélée Anne Ihuellou pour le grand bonheur de Maître Bidnic qui ne demandait rien, trancheront, eux, pour l’abolition du discernement du voyou, lequel serait donc de facto inaccessible à une sanction pénale.

Coutanceau, Pascal, et Guelfi, les 3 derniers experts, d’accord avec les précédents sur l’existence d’une … bouffée délirante aigue d’origine exotoxique, balanceront, eux, de manière alambiquée, entre une abolition du discernement compte tenu qu’au moment des faits son libre arbitre était nul, et une altération.  Ce qui donne lieu à des passages impressionnants, voire ahurissants :  Si Traoré a crié qu’une femme allait se suicider, il ne convient pas d’y voir un élément stratégique : la bouffée délirante aiguë traduit un sujet habité, et non raisonnant.

Dans le même ordre, à la question de savoir si Traoré simule lorsqu’il dit ne pas savoir Pourquoi il a agressé Sarah Halimi et pas un membre de la famille Diarra, nos 3 experts n’ont pas d’arguments en faveur de cette hypothèse.  Mais n’en ont pas davantage en faveur de l’hypothèse inverse.  

Et encore ça : Pourquoi une reconstitution? La reconstitution ne dira pas s’il y a abolition ou altération.

Car plus personne ne se souvient que la reconstitution nous dira-dirait Quid de l’inaction de la police…

En synthèse, tous nos experts s’accordent sur la bouffée délirante aiguë au moment des faits. Sur le fait qu’il convient de garder notre homme au chaud et le soigner, sans toutefois risquer de psychiatriser à outrance un sujet dont l’analyse clinique exclut une maladie mentale.

Ainsi, la discussion conclut au fait que Traoré est l’auteur des faits, – ce que jamais il ne nia -, mais il n’a pas sélectionné sa victime. Il est donc impossible au vu de ces éléments insuffisants de conclure à une circonstance aggravante d’homicide commis parce que Sarah était juive.

En conclusion, Si Zagury conclut à une altération du discernement du criminel, lequel a consommé volontairement du cannabis, les 3 experts suivants considèrent, eux, que la conscience du danger des troubles induits par une consommation volontaire est, elle, absente. Ce qui fait du bonhomme un gus inaccessible à une sanction pénale. Et les 3 derniers ne se mouilleront pas : seule une fenêtre thérapeutique, concluent-ils, permettra de trancher.

Francis Szpiner

Abracadabra

Quoi ?

Abracadabra.

Exit de la discussion la question de la reconstitution pour savoir pourquoi la police n’a pu agir.

Exit la question de requalification de l’homicide volontaire en assassinat, alors que la préméditation ne pouvait être écartée d’une simple pichenette.

Exit la circonstance aggravante pour antisémitisme, laquelle se retrouve écartée après avoir été comme concédée du bout du stylo, comme arrachée au forceps après un combat qui ne fut pas sans rappeler … la résistance de la Chèvre de Monsieur Seguin, laquelle se rendit, ce qui n’est pas le cas de Anne Ihuellou et de sa consœur. Ça a disparu, ironise Maître Goldnadel.

Comme elle traîna des pieds, la Juge.

Comme elle fit la quasi-unanimité contre elle.

Elle qui en voulait aux media.

Elle qui procéda par ordonnances.

Elle qui contraint les avocats de la partie civile à multiplier les demandes d’actes, seul moyen d’être tenus informés de l’avancée de l’instruction.

Elle qui fit dire à Gilles-William Goldnadel qu’elle n’avait pas même le respect dû à la robe.

Elle qui convoqua la famille venue d’Israël sans chercher à faciliter le nombre de déplacements.

Elle qui sembla seule dans son bureau, dans un débat cornélien entre Elle et Elle.

Comme occupée qu’elle semblait … à retenir toute investigation… Puisqu’il était question de décharger Traoré sous prétexte qu’il avait pris, volontairement, une dose massive de cannabis. Et qu’il ne niait rien.

Elle qui refusa encore la qualification de torture et de barbarie, laquelle, au vu du rapport d’autopsie, semble indéniable.

Elle qui, par cette Ordonnance à la logique pour le moins discutable qu’elles se sont mises à 2 à nous sortir, conclut … à un non-lieu.

Elle qui fut, est et sera demain contredite par un Parquet que l’on a envie de trouver admirable de courage, alors qu’il n’est que … rationnel. Un Parquet libre. Qui fait le job : défendre l’intérêt public. Et donc qui annonce avoir interjeté appel de ladite Ordonnance. Et donc entériné le renvoi du meurtrier aux Assises.

Elle dont nombreux espéraient le dessaisissement, et la voient somme toute s’être comme dessaisie toute seule, de facto.

Elle dont le nom restera dans nos mémoires : Quelles furent donc ses motivations secrètes pour ne pas dire troubles. L’affaire est d’une limpidité édifiante, m’avait dit à raison un avocat du dossier. Mais il s’était trompé.  J’ai l’impression que l’on cherche un angle droit à l’intérieur d’un cercle, me disait un ténor, alors que Maître Szpiner, avocat des enfants de Sarah Halimi, affirmait : Nous irons devant la Chambre de l’instruction pour que Justice lui soit rendue, évoquant avec sérénité un débat contradictoire devant la Chambre de l’instruction qui devrait infirmer la décision des Juges.

Muriel Ouaknine-Melki

Redisons combien il est stupéfiant de voir l’indifférence qui aujourd’hui accompagne la chose. Que la France et le monde voient comment, comme par un coup de baguette magique, une circonstance aggravante se transforme en cause d’irresponsabilité pénale.

C’est ici juste l’expression d’une indignation indicible. Qui en rien ne remet en question l’assurance que le seul espace où doit impérativement se dérouler une procédure pénale est celui du Prétoire. L’indignation d’une française qui se trouve être juive et qui assure que son implication eût été la même ici, aurait-elle été athée, musulmane ou chrétienne. Une citoyenne qui croit en des règles qui devront faire émerger une vérité judiciaire, support d’une décision qui sera rendue au nom du peuple français.

Frédérique Ries

Le feuilleton judiciaire de la mort tragique de Sarah Halimi n’est pas encore fini. Kobili Traoré voulait tuer une femme juive, a soutenu Maître Ouaknine-Melki, avocate du frère de la victime : En France, l’antisémitisme tue et on ne peut pas se permettre de ne pas apporter une réponse judiciaire forte à de tels actes. Il faut absolument qu’il y ait un procès. Une indignation partagée par Maître Loïc Henri, qui, s’interrogeant lui aussi sur la place du Juif dans la société française, demanda des comptes au CSM, lui rappelant qu’un magistrat avait obligation de restituer aux faits leur exacte qualification juridique. Rejoignant en somme Shimon Samuels, Directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal, qui avait écrit[1] le 10 septembre 2017 à Gérard Collomb, Ministre de l’Intérieur de l’époque, pour souligner la réticence des tribunaux à reconnaître la nature antisémite des actes commis contre les Juifs. Et conduisant un Francis Kalifat sidéré qui demande au nom du CRIF : De qui se moque-t-on ? Il reviendra à la chambre de l’instruction, de trancher cette incohérence en renvoyant l’assassin devant une cour d’assises, laissant ainsi le soin à un jury populaire d’arbitrer ce débat.

Si Sarah Halimi n’avait pas été juive, Traoré l’aurait-il massacrée avant de la jeter vivante par la fenêtre.

Shimon Samuels

[1] Shimon Samuels avait protesté contre l’agression d’une jeune étudiante par trois Nord-Africains devant son école juive, constatant le retrait de la présence militaire devant les synagogues, les écoles juives et autres institutions.

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