Chère madame, je vais d’un site à l’autre pour comprendre, pour faire trait d’union, pour penser en termes processuels selon ce que en tant que psychanalyste j’ai hérité de Freud.
Je connais mal ce M Belattar que je découvre sur quelques vidéos. Je découvre aussi ces shows débats TV dont je suis très éloigné, ne possédant pas de poste depuis longtemps.
Je ne partage pas votre ton ni celui de M Belattar. Ce sont des cris et des invectives jetés de part et d’autre d’un mur construit à force de méconnaissance.
En revanche, je partage avec vous l’idée qu’il y a un islam politique dangereux contre lequel il faut lutter sans relâche et dont nous sommes tous victimes. Mes parents et ma famille l’ont combattu en Algérie. En faire l’histoire ici serait long. On pourrait se mettre d’accord à partir des travaux de G. Kepel, des écrits de A.Meddeb. C’est une maladie d’abord interne à l’Islam, c’est un fait. Le wahhabisme. Hélas exporté avec la complicité de nombre de nos politiques ici et aux US.
N’oublions pas cette phrase de K Daoud qui dit « l’Arabie est un Daech qui a réussi ». Et ce pays serait de nos amis.
Les Juifs, plus que tout autre, ont souffert la pire ignominie et les lâchetés d’intellectuels agitateurs de haine comme Maurras. Loin de moi l’idée de redupliquer terme à terme la situation présente avec celle des années 30. Mais vous pouvez, j’en suis sûr, être attentive à ce qu’il peut advenir d’une communauté prise en permanence, dans une grande confusion, pour cible. C’est une longue histoire impossible à résumer ici.
Comprenez-moi bien : la laïcité permet de contester toute religion dès lors qu’on ne met pas en cause des personnes. Et je ne vois donc pas pourquoi l’Islam ne serait pas questionné au même titre que d’autres religions ou croyances. Et bien des musulmans le font.
Si le terme islamophobie est piégé, laissons-le. Au passage, moi qui n’en étais plus qu’à des liens laïques avec la culture musulmane, je trouve pénible qu’on ramène mon parcours (à la fois médicale, analytique, bref autre) à la seule dimension religieuse. En revanche, je pourrais témoigner sans me victimiser de ratés de l’intégration (mais aussi de belles avancées) qui SONT NOTRE RESPONSABILITÉ COLLECTIVE.
J’ai grandi dans ces quartiers et je peux du dedans, sans complaisance, en parler. Vous dire que « nous » (et croyez bien que ce nous pour moi est ouvert et ne s’oppose pas à notre Nous commun) n’avons pas voulu du ghetto. Et qu’on aurait tort de ne pas prendre la mesure de ce qui se passe et qui exige fermeté et désir de République. C’est difficile de le dire en quelques mots. Mais je pense qu’il faut allier présence éducative, mixité, bien des choses que vous pourrez lire chez Naima M’Faddel. Elle a la République chevillée au corps et sait faire la part entre le réel et l’imaginaire.
Oui il y a terrorisme. Oui il y a à traquer ceux qui en sont responsables. Il faut neutraliser les imams distillant des discours de haine et on aurait dû le faire plus tôt.
Oui il y a une attitude exigeante à adopter entre nous faite de pédagogie, documentée, capables de produire des mises en perspective pour de vraies décisions.
Sur les autres sites, et sans me victimiser, croyez-le si vous voulez, je peux vous dire les torrents de haine que je reçois, cette phrase récurrente qui me dit de rentrer chez moi (je suis né en France il y a 57 ans)…et bien des menaces de mort en dépit de mes propos que je crois mesurés. Et cela bien avant les attentats.
Votre ressenti ressemble au mien. Et si la réalité était complexe ? Et que nous avions tous les deux raison ? Et si notre République valait mieux que ces anathèmes jetés de tous bord, et pas seulement par M Belattar. Je peux vous assurer que les réseaux sociaux déversent une haine incroyable après chaque propos de M Zemmour (qui a le droit de parler dans les clous de la loi, et il est très présent sur les médias). Idem dans les sites salafistes où règnent la haine et l’antisémitisme. A se demander pourquoi dans ces sites il y a peu ou pas de modération.
Le plus difficile est comme le disait A.Camus de bien nommer les choses faute de quoi on ajoute au malheur du monde. Et de traiter chaque problème sans le mettre en concurrence avec un autre. Traiter aussi bien de racisme qd il existe (sans en faire une simple affaire imaginaire mais en débusquant aussi son éventuel instrumentalisation imaginaire), témoigner de quartiers où règne 30 à 40 % de chômage sans céder sur la loi et en se demandant comment cela joue sur le lien. Combattre obstinément l’antisémitisme qui règne dans la société et plus encore dans ces quartiers précisément par l’attitude que je préconise.
Dialogue sans contorsion, pari du lien. Il s’agit de porter le travail de pensée que vous semblez souhaiter et qui demande beaucoup d’efforts, nous obligeant à penser contre nous-mêmes, à examiner nos parties positives et négatives. C’est cette culture d’une pensée attentive à ne pas laisser le réel se dissoudre dans l’idéologie qui manque le plus au débat en France, sauf quelques exceptions heureuses. Il y a bien des choses concrètes qu’on peut rendre possibles si on le veut. Dans le domaine qui est le mien (psychiatrie) de belles expériences ciblées sur les parents, les enfants, les travailleurs sociaux (ceux-ci ont besoin de soutien et surtout d’une formation approfondie) sont réalisables.
Bref, j’arrête là et j’ose espérer que vous sentez comme nous pourrions poursuivre le dialogue, convier d’autres avec nous. Vous aurez compris qu’une pensée systémique (articulée à un regard psychanalytique) peut nous rapprocher de l’idéal d’une République commune, et sans tomber dans des approches relativistes. Force, présence, amour, fermeté vont ensemble.
Merci de votre billet qui m’aura incité à formuler ma pensée
Nourredine Ben Bachir, psychiatre psychanalyste.