Tribune Juive

L’émergence de l’antisémitisme scientifique chez les anthropologues français

Quel rôle la science a-t-elle joué dans l’apparition et l’installation de l’antisémitisme au sein de la société française?

La question n’est pas sans importance à une époque où la science incarne la modernité et exerce de plus en plus son autorité sur les sociétés occidentales.

Georges Montandon

Un premier constat s’impose :l’antisémitisme scientifique apparaît tardivement au sein de la communauté scientifique française.

L’anthropologie raciale qui s’institutionnalise dès les années 1860 s’inscrit dans une tradition républicaine progressiste et reste hermétique à l’antisémitisme jusque dans les années 1930.

C’est pourtant en son sein que l’antisémitisme scientifique trouve ensuite un de ses plus violents et ardents propagandistes, George Montandon.

Se pose alors la question des filiations et des ruptures entre l’anthropologie raciale anti-antisémite et la nouvelle version de la science des races dans le contexte des années 1930.

L’étude de la diffusion et de la réception de l’antisémitisme racial au sein de la communauté savante montre que si une partie des raciologues s’engage sans ambiguïté dans la lutte contre l’antisémitisme, on ne peut pas pour autant conclure à un rejet, pas plus qu’à une marginalisation de l’antisémitisme scientifique au sein du monde savant de la fin des années 1930.

Les années 1860-1920 : une anthropologie raciale dénuée d’antisémitisme

La science des races devient une science officielle, reconnue et bien établie dans les dernières décennies du XIXe siècle.

Sous l’égide de Paul Broca, une société, une école d’anthropologie ont été créées, des revues, des ouvrages ont été publiés et ont connu un assez large écho dans la société fin-de-siècle [1].

Sous la plume de ces raciologues bien insérés dans les réseaux républicains de la Troisième République une vision du monde hiérarchisée et inégalitaire se construit, opposant la race blanche, jugée supérieure tant par ses caractéristiques physiques qu’intellectuelles et morales, aux races noire et jaune.

Mais il n’y a pas de hiérarchisation au sein de la race blanche et les raciologues restent étrangers à l’antisémitisme fin de siècle.

Les principaux membres de l’École de Broca sont en effet dreyfusards et plusieurs Rothschild sont adhérents à la Société d’anthropologie.

L’anthropologie raciale mobilise un argumentaire scientifique pour récuser l’antisémitisme : la race juive n’est qu’un mythe et les Juifs ne constituent pas une race naturelle qui serait restée pure ; dès l’origine, ils présentaient des « types » différents et ils diffèrent toujours selon les pays.

Alors que la craniologie triomphe, aucun caractère propre aux populations juives n’a pu être identifié. L’identité juive est présentée comme culturelle, forgée par l’histoire et la religion, et les caractéristiques culturelles qui lui sont assignées sont plutôt positives. Les savants républicains se refusent à introduire une quelconque hiérarchisation à l’intérieur de la race blanche et rejettent dès les années 1890 les premières théories qui défendent la supériorité de la race nordique face aux autres principales composantes raciales des populations européennes, les races méditerranéenne et alpine.

C’est dans les années 1890 que George Vacher de Lapouge présente sa nouvelle science, l’anthroposociologie, qui, forte d’une démarche scientifique mobilisant les statistiques et l’anthropométrie, évalue la valeur compétitive des différentes races, explique ainsi la suprématie de certains États et alerte sur les dangers qu’ils encourent.

Bibliothécaire chargé de cours à l’université de Montpellier, il explique qu’au sein des populations contemporaines, formées au cours des siècles par des mélanges différents, c’est la quantité de sang de la race dolichocéphale blonde (aryenne) présent dans chaque peuple qui fixe le rang pris par le peuple en question dans la vie civilisée.

Issue du nord-ouest de l’Europe, la race aryenne a toujours dominé grâce à ses qualités psychiques, sa grande intelligence, son esprit d’invention, ses aptitudes guerrières, et elle assure encore la suprématie des pays anglo-saxons.

Lapouge définit la race juive non comme une race zoologique mais comme une race « ethnographique ».

Cette population bâtarde, issue d’un mélange de « dolicho-blonds » et d’indigènes de l’ancienne Palestine, possèderait néanmoins une très profonde unité psychologique.

Arrogants, serviles, filous, amasseurs d’argent, très intelligents tout en étant dénués de créativité, les Juifs sont ainsi présentés comme des concurrents dangereux pour l’Aryen.

Il est vrai que Lapouge prévoit plutôt un affaiblissement de la race juive et donc une diminution du risque de la concurrence.

Mais ces thèses sont fermement rejetées par les milieux anthropologiques officiels ainsi que par une très grande partie de la communauté intellectuelle française [2].

L’anthropologie raciale des années 1860-1900 est foncièrement républicaine, ses membres sont très liées aux réseaux républicains de l’époque et certains d’entre eux assument même des charges politiques [3]. Associée aux combats républicains, à la libre pensée, à l’opposition au Second Empire, à l’évolutionnisme et au darwinisme, l’anthropologie raciale se tient donc éloignée des milieux nationalistes qui portent l’antisémitisme sur le devant de la scène dans les dernières décennies du siècle.

Cette tradition républicaine progressiste s’efface peu à peu avec la disparition de la première génération des raciologues au tournant du XXe siècle.

Au début des années 1920, l’anthropologie raciale est moins homogène politiquement.

Une première tendance socialisante se dessine, dont le représentant le plus emblématique est Paul Rivet, directeur du Musée de l’Homme, où il est titulaire de la chaire d’anthropologie de 1928 à 1941, et député SFIO. Rivet est notamment à l’origine, avec deux autres hommes de gauche, Marcel Mauss et Lucien Lévy-Bruhl, de la création, en 1925, de l’Institut d’ethnologie de l’université de Paris.

Les institutions officielles mises en place par Broca et ses disciples dans les années 1860-1880, la Société et l’École d’anthropologie de Paris, prennent quant à elles une nette orientation conservatrice, que symbolise l’arrivée à leur tête d’un nouveau directeur, en 1923, Louis Marin, député de Nancy et membre de la très conservatrice et nationaliste Fédération républicaine. C’est au sein de ces dernières structures que s’impose celui qui personnifie l’antisémitisme scientifique le plus radical à la fin des années trente, George Montandon.

George Montandon et l’apparition d’un antisémitisme scientifique

Le parcours intellectuel de George Montandon est conforme à celui des anthropologues de sa génération. Issu d’une famille française installée en Suisse, fils d’un riche industriel, Montandon a, comme la plupart des anthropologues, suivi des études de médecine à Genève, Lausanne et Zurich, où il obtient son doctorat en 1908.

Dès les débuts de sa carrière, il associe pratiques médicales et intérêt pour l’anthropologie. Il séjourne en Éthiopie pendant deux ans puis s’installe comme médecin à Lausanne en 1912. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, après s’être engagé comme médecin à l’Hôtel-Dieu de Bourg-en-Bresse, il dirige la mission du Comité international de la Croix-Rouge en Sibérie et réalise une étude anthropométrique sur les Aïnou du Japon [4]».

En Sibérie, il rencontre sa future femme et se laisse conquérir par le régime bolchevique. Il s’engage alors au sein du Parti communiste suisse, collabore à la revue Clarté ainsi qu’à L’Humanité [5]. Poursuivi par la justice suisse, il cède son cabinet et s’installe à Paris en 1925 [6]..

Au début des années 1930, il est tout à fait intégré à la communauté anthropologique française et semble avoir cessé toute activité communiste [7]. Attaché au laboratoire d’anthropologie du Muséum dès 1925, il intègre en 1928 l’Institut français d’anthropologie. Cet institut créé en 1911 rassemble des anthropologues (René Verneau, Paul Rivet, Joseph Deniker), les sociologues de l’école durkheimienne (Émile Durkheim, Lucien Lévy-Bruhl, Marcel Mauss), les administrateurs-ethnologues comme Maurice Delafosse. Sa candidature, présentée par Rivet, est soutenue par Lévy-Bruhl et Mauss.

En 1930, selon son futur acolyte Gérard Mauger [8], il quitte le Muséum pour ne pas rester dans l’ombre de Rivet et rejoint l’École d’anthropologie où il est bien accueilli, comme chargé de cours d’ethnographie (1931) puis professeur hors cadre d’ethnologie de 1933 à 1936, date à laquelle il acquiert la nationalité française [9]. Dix jours après sa naturalisation, il est nommé professeur titulaire [10 et l’année suivante, on lui confie la réorganisation du Musée Broca.

Sa production scientifique est très vite reconnue par ses pairs. Des comptes rendus de ses ouvrages paraissent dans les revues anthropologiques et dans La Revue Scientifique. Il collabore à ces mêmes revues ainsi qu’au Mercure de France, à Globe, à L’Ethnographie, à La Géographie. Membre de la Société de géographie, de la Société d’anthropologie de Paris, de la Société d’ethnographie de Paris [11], de l’Institut français d’anthropologie, il préside la Société des océanistes et présente des communications à l’Académie des sciences [12].

Il s’intéresse aussi bien à l’anthropologie physique qu’à l’ethnologie ; ses voyages en Éthiopie, en Sibérie et au Japon donnent lieu à des publications.

En 1928, il publie L’Ologénèse humaine, ouvrage remarqué dans lequel il affirme que la vie a pris naissance en plusieurs points de la Terre, donnant lieu à l’apparition des différentes races humaines.

En 1930, il participe à la définition de la notion d’ethnie, une notion intégrant des éléments linguistiques et culturels qui est appelée à connaître une grande postérité.

En 1933, il publie chez Payot La Race, les racesMise au point d’ethnologie somatique, suivi, l’année suivante, d’un Traité d’ethnologie culturelle (toujours chez Payot), puis, en 1935, de L’Ethnie française. Selon La Revue anthropologique, il occupe alors une place de tout premier plan parmi les ethnologues de son époque [13]

Ses travaux ont acquis une audience européenne : il est l’auteur de plusieurs traductions et de préfaces d’ouvrages allemands et anglais, donne une série d’articles ethnologiques à L’Encyclopedia italiana dès 1928 et devient membre de plusieurs sociétés savantes italiennes. Il a déjà établi des contacts avec les anthropologues allemands, échangeant comptes rendus et ouvrages avec Egon Freiherr von Eickstedt, directeur de l’Institut d’anthropologie et d’ethnologie de l’université de Breslau, ou encore avec Erwin Baur, Eugen Fischer et Fritz Lenz.

En 1934, la Deutsche Literaturezeitung fait un compte rendu élogieux de La Race, les races.

Son antisémitisme se manifeste soudainement et violemment en 1938.

Trois ans plus tôt, dans L’Ethnie française, Montandon est encore fidèle à la tradition anthropologique française en affirmant qu’il n’y a pas de race pure, ni de race française. Il popularise le terme d’« ethnie française » dans laquelle il voit des éléments des trois races principales de la grand’race europoïde. Ses propos sont alors dénués d’antisémitisme ; il décrit l’ethnie juive comme composée de deux races : la sous-race arménoïde issue de la race alp-arménienne, et la sous-race arabaïde issue de la race méditerranéenne.

Si Montandon affirme qu’il n’existe pas de race juive, il distingue néanmoins un type racial juif.

Par cette affirmation, il ne se démarque guère de ses collègues qui reconnaissent eux aussi l’existence d’un type juif [14].

Selon Montandon, on peut reconnaître les Juifs à leur physique : leur nez est fortement convexe, leurs lèvres assez charnues, leurs yeux peu enfoncés dans les orbites, leurs cheveux plus ou moins frisés. Mais ce nez convexe, qui se retrouve en grande fréquence dans d’autres populations appartenant à la sous-race dinarique, notamment les populations du Levant, d’Amérique du Nord ou encore la sous-race papoua (Nouvelle Guinée), n’est pas perçu comme un stigmate.

Il affirme encore que les individus de l’ethnie juive ne sont pas complètement fondus physiquement dans les races européennes en raison de la grande vivacité de l’ethnie.

Certains complexes raciaux sont, en effet, « vivaces, progressifs », d’autres « torpides, régressifs », et les Juifs qui relèvent des premiers se sont bien maintenus.

L’ethnie juive, poursuit Montandon est, socialement parlant, remarquable par sa cohésion, et les réactions de rejet qu’elle a suscitées n’ont fait que renforcer le phénomène.

POUR REMÉDIER À CE « PROBLÈME SOCIAL », IL PROPOSE LA CRÉATION D’UN ÉTAT PALESTINIEN [15].

Mais en mai 1938, il donne une conférence à Bruxelles au Centre d’examen des tendances nouvelles, suivie d’un article dans la revue du Centre en septembre.

Il dénonce alors les « abus de l’ethnisme juif » et préconise la création d’un État israélite en Palestine afin d’y mettre un frein.

Ceux qui ne se plieraient pas à cette politique seraient passibles de la peine de mort ou de castration.

Les femmes juives se verraient défigurées par l’ablation de l’extrémité du nez [16][.

Cet article lui vaut une certaine notoriété auprès des milieux antisémites et des protestations de la part des milieux antiracistes [17].

En 1938-1939, la presse antisémite le sollicite pour des articles, il donne des conférences à la Sorbonne, au Club du Faubourg, et Louis Darquier de Pellepoix, conseiller municipal de Paris et président du Rassemblement antijuif de France, l’invite à donner une conférence en mars 1939 [18].

Cette même année, il publie dans La diffesa della Razza un article intitulé « L’ethnia putana » et, à partir de 1940, poursuit ses déclarations sur le type racial juif, notamment dans la revue fondée avec Gérard Mauger, L’Ethnie française.

Dès octobre 1938, ces écrits lui valent l’approbation des raciologues nazis et l’intérêt de Mussolini.

Il aurait par ailleurs manifesté ses sympathies pour l’Italie mussolinienne durant la guerre contre l’Éthiopie. Dès avant sa dérive antisémite, il avait affirmé l’infériorité de la race noire ; en 1942, il va plus loin en recommandant l’interdiction des mariages entre Françaises et hommes de couleur [19].

Son évolution vers l’extrême-droite date du début des années 1930.

Une note de police de 1942 le signale comme militant à l’Action française vers 1933, mais ce militantisme semble avoir été de courte durée puisque Montandon reproche ensuite violemment à la Ligue son ignorance de la question raciale [20]..

Lorsqu’en mars 1941 le Commissariat général aux questions juives (CGQJ) est créé par le gouvernement de Vichy à la demande des autorités d’occupation, le Commandement militaire allemand l’impose comme ethnologue dès le mois de décembre.

Le Commissariat avait comme attribution essentielle la gestion de l’aryanisation des biens et des commerces juifs.

Or l’article 1er de la loi du 3 octobre 1940 avait défini comme juive toute personne issue de trois grands-parents de race juive et de deux grands-parents si le conjoint était lui-même juif, mais le texte restait lacunaire à propos des critères utilisés pour définir la race juive des grands-parents.

L’expertise de l’anthropologue fut donc requise dans les cas litigieux. Montandon délivra ainsi des certificats d’appartenance ou de non-appartenance à la « race juive » après avoir effectué un examen anthropologique : il procédait à une description des caractères physiques ainsi qu’à des mensurations, notamment de l’indice céphalique qui permettait de caractériser la personne comme « dolichocéphale » ou « brachycéphale ».

Ces examens, d’une importance capitale pour les intéressés, étaient très lucratifs pour l’anthropologue qui rendait des verdicts favorables en échange de fortes sommes. Laurent Joly estime que, le nombre de personnes examinées par l’expert se montant à près de 3 800, les surfacturations et la corruption auraient permis au commerce de l’expertise ethno-raciale de rapporter plusieurs millions de francs à son inventeur [21].

Mais Montandon avait d’autres ambitions, il tenta en effet d’obtenir le poste de directeur du Musée de l’Homme, vacant après le départ de Rivet. Dès septembre 1941, il écrivit au ministre Carcopino pour proposer ses services mais le ministre lui préféra Henri Vallois [22].

À cette occasion, Montandon rechercha le soutien des autorités allemandes. Il entra en contact avec les fonctionnaires du « Gruppe 4, Schule und Kultur » du Commandement militaire allemand, installés à l’hôtel Majestic. Lorsqu’en vertu de la loi du gouvernement de Vichy du 22 juillet 1940 [23], il perdit la nationalité française, il la recouvra grâce à l’intervention des autorités allemandes et put reprendre son enseignement à l’École d’anthropologie.

En échange, Montandon fournit des renseignements sur les milieux anthropologiques français [24].

En 1942, il revint enthousiaste d’un voyage effectué à Berlin à l’invitation de ses collègues allemands [25] et, en février de l’année suivante, on lui confia la direction de l’Institut d’étude des questions juives et ethno-raciales tout nouvellement créé, où il assura un cours traitant « d’ethnoraciologie judaïque » de génétique et d’eugénique [26].

Réactions de la communauté anthropologique

Si peu d’anthropologues suivirent la voie de Montandon, force est de constater que la communauté anthropologique resta bien silencieuse face à la dérive antisémite d’un de ses membres [27].

L’École d’anthropologie ne manifesta aucune désapprobation à la suite de ses violents propos antisémites.

En novembre 1940, lorsque Montandon perdit momentanément la nationalité française, le sous-directeur, Raoul Anthony, exprima ses regrets de devoir suspendre son cours en attendant la décision définitive. Quant au conseil de l’École, il lui garantit qu’il retrouverait son poste si la nationalité française lui était à nouveau accordée.

Si, à l’automne 1941, le conseil hésita à le réintégrer, ce ne fut pas en raison de ses propos antisémites mais parce qu’il avait proféré des menaces contre le sous-directeur Anthony dans un article de l’Ethnie française [28]..

Dès août 1940, Montandon avait proposé d’assurer un cours sur « l’Ethnie juive »,sujet qu’il avait qualifié « d’une actualité aiguë », tout en se déclarant prêt, si « le conseil en était par trop effarouché », à le remplacer par un cours sur les « Éléments raciaux et ethniques de la France préhistorique actuelle ».

Le conseil n’en fut pas ému et accepta son cours sur l’ethnie juive tandis que le sous-directeur, Théodore Simon, passait l’éponge sur ses écarts de langage à l’encontre du professeur Anthony – décédé entre temps – puisqu’il abandonna l’idée de soumettre sa radiation au conseil [29].

L’antisémitisme de Montandon se manifesta donc avec l’aval de ses collègues de l’École d’anthropologie de Paris.

Avec Henri Briand, qui en avait la direction officielle depuis 1936, Montandon prit en main la Revue d’anthropologie. Briand, président de la Société d’eugénique, professeur à l’École d’anthropologie depuis 1934, chargé d’un cours sur l’hérédité, participa également à L’Ethnie française.

Dans son cours à l’École d’anthropologie, il présenta les lois eugéniques du IIIe Reich et vanta les résultats obtenus dans le domaine de l’hygiène raciale.

Mais la revue n’eut plus guère le loisir de faire de la propagande pour les régimes de Pétain et d’Hitler puisqu’elle cessa de paraître en 1942 [30].

L’ensemble de la communauté anthropologique fut pourtant loin de partager les analyses de Montandon. Paul Rivet, Eugène Pittard, René Verneau, Étienne Patte, Jacques Millot perpétuèrent la tradition de l’École de Broca. Selon eux, la race juive n’avait aucune réalité scientifique et les nouvelles découvertes dans le domaine des groupes sanguins le confirmaient [31].

Ces anthropologues ne se contentèrent pas de réfuter l’antisémitisme dans les publications scientifiques et certains d’entre eux, tels Rivet et Millot, s’engagèrent dans une action plus militante en participant activement à la revue Races et Racisme qui parut de 1937 à 1939. La revue, dont le comité directeur comprenait notamment Célestin Bouglé, Maurice Leenhardt, René Maunier, s’étaient donné pour objectif de vulgariser les études raciales élaborées par les scientifiques et de lutter contre les thèses « racistes » des Allemands, qui professaient l’antisémitisme et la supériorité de la race nordique.

Résolument anti-antisémites, certains de ses membres restaient néanmoins convaincus de l’infériorité de la race noire [32].

Avec George Montandon, l’anthropologie raciale fut directement mise au service de la politique ouvertement raciste et antisémite de l’État français.

L’expertise raciale opérée grâce à la science fut pratiquée par un expert professionnel, bien intégré à la communauté anthropologique raciale.

Mais toute la communauté anthropologique ne le suivit pas et une partie d’entre elle demeura fidèle à sa tradition en refusant tant les thèses affirmant la supériorité de la race nordique que l’antisémitisme.

La science anthropologique apporta donc sa caution aux deux camps.

Si en France l’antisémitisme des années 1930 émana principalement de la droite nationaliste et catholique qui eut peu recours à l’anthropologie raciale pour légitimer un antisémitisme aux fondements essentiellement religieux [33], le racisme scientifique a néanmoins renforcé la légitimité de l’antisémitisme traditionnel, en lui conférant l’autorité de la science, vecteur essentiel de la modernité.

Car si en France, comme en Allemagne [34], c’était l’appartenance religieuse qui définissait la race juive, la dimension héréditaire de la transmission de la judaïté était essentielle : une personne était considérée comme juive si elle était issue d’au moins trois grands-parents de race juive, indépendamment du fait qu’elle appartenait à la confession juive [35].

L’expertise scientifique fut bien partie prenante du processus puisque les mensurations anthropométriques permettaient de trancher les cas litigieux.

Notes

Source terrepromise

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