Procès d’Alain Soral : J’ai vu le visage de la haine, par Sacha Ghozlan

Nous attaquons régulièrement des antisémites ou des racistes devant la 17ème chambre du Palais de Justice de Paris. Souvent, les prévenus évitent les salles d’audience et se contentent d’une représentation par un de leurs avocats. Ces audiences sont longues, difficiles parfois, mais je crois n’avoir jamais vécu d’audience aussi éprouvante que celle d’hier.

Nous attaquions Soral, aux côtés de SOS Racisme, la LICRA, J’Accuse, le MRAP et le BNVCA pour des caricatures antisémites publiées pendant et après la campagne présidentielle.


Dans la salle d’audience, une soixantaine de militants du site Égalité et Réconciliation étaient venus supporter leur gourou de l’antisémitisme. Une ambiance lourde pesait : les caméras d’Egalité et Réconciliation nous filment à la sortie de la salle d’audience, les avocats sont désignés comme des « avocats juifs » par Soral, le président du Tribunal et le ministère public sont accusés d’être « à la solde de la communauté juive organisée » et à chaque saillie de Soral un ricanement lugubre traverse la salle. Ce rire, je le connais bien. C’est celui d’activistes du GUD que j’ai combattus il y a quelques années lorsque j’étudiais à Assas.

Alain Soral fait témoigner à la barre Jacob Cohen, Hervé Ryssen, Pierre Hillard et Youssouf Hindi qui se livrent chacun à des monologues délirants sur le complot juif, accusant tantôt les juifs de contrôler le monde, tantôt « la communauté juive organisée » d’être responsable de l’antisémitisme en France. Ces tristes témoins, experts autoproclamés qui vivent leur obsession sans contradiction ni démarche scientifique, ont l’assurance des fanatiques. Alain Soral enchaîne et qualifie le judaïsme de religion incitant à la haine, tente d’expliquer un complot « Talmudo-sioniste » visant à gouverner le monde et se déclare « national socialiste ».

L’avocat de Soral, est certainement le meilleur de ses accusateurs tant il épouse les thèses de son client avec médiocrité. Il est d’ailleurs poursuivi pour contestation de crime contre l’humanité devant cette même chambre et menace de publier une exposition des dessins censurés publiés sur Égalité et Réconciliation, qualifiant d’artistes ceux qui s’amusent à nier la Shoah, à dessiner des personnalités juives en cafards. Inhabituel pour un avocat.

J’ai l’habitude d’assister à ces audiences violentes mais la dangerosité de Soral réside dans le fait qu’il se sert de ce procès comme d’une tribune politique pour exposer sa vision creuse, obsessionnelle, mono maniaque, délirante, étouffante, antisémite, complotiste, négationniste du monde.

Hier j’ai vu le visage de la haine.

Heureusement, le visage de l’humanité s’est lui aussi manifesté, sans fard et avec détermination.

Les avocats des parties civiles, notamment Stephane Lilti, Ilana Sk et Jean-Louis Lagarde ont rappelé que les dessins d’Alain Soral étaient pré-génocidaires, que les Tutsi étaient qualifiés de cafards ou de cancrelats par la Radion des Mille collines et que les juifs étaient qualifiés de rats dans la presse d’avant-guerre.

Mon ami Marc Knobel a livré à la barre un vibrant témoignage dont lui seul a le secret pour dénoncer les innombrables caricatures antisémites qui figuraient sur le site d’Egalité et Réconciliation dont Alain Soral est le directeur de publication. Joel Kotek a rappelé ce qu’est une caricature antisémite : la volonté de représenter frauduleusement le réel.

La procureur de la République a requis six mois de prison et 5000€ d’amende pour chacune de ces caricatures.

Si je comprends quelque chose de cet après-midi kafkaïen, c’est qu’il faut regarder ce visage rempli de haine et lui tenir tête. Au mieux, Soral est le Céline du pauvre.
Celui qui accuse les juifs d’être obsédés par l’argent est un boutiquier de haine, qui affiche sa feuille d’impôt en début d’audience, qui engrange plusieurs centaines de milliers d’euros de chiffre d’affaires avec sa société. Alain Soral qui accuse les juifs de contrôler le monde de façon occulte est le président à vie d’une secte dont il entend bien étendre l’influence, alors même qu’il engrange plusieurs millions de visites chaque mois sur son site internet. Celui qui conteste l’existence de la Shoah, des chambres à gaz, fait dans le même temps l’apologie de la collaboration, de crime contre l’humanité.

Alain Soral est un sinistre personnage, perdu dans ses propres contradictions, dont la vacuité politique est telle qu’il tente de la masquer par une fausse assurance de petit garçon rebelle.

A cet antisémitisme, ce nationalisme d’extrême-droite, cette haine viscérale, nous opposons notre Humanité avec détermination.

L’Humanité émane de nos avocats, de nos amis qui témoignent. Et en fermant les yeux hier, je me rappelle que l’Humanité prend aussi des visages que l’Histoire a voulu déformer et anéantir.

Je pense au visage doux, aux yeux pétillants d’intelligence et remplis d’humanité d’Elie Buzyn, 89 ans, rescapé de la Shoah et militant de la Mémoire qui a témoigné il y a deux jours devant des centaines d’étudiants à La Sorbonne. Ce visage est aussi celui de l’Humanité, face à l’inhumain. Celui de l’Histoire face au négationnisme.

Ce visage d’un grand homme qui témoigne est une de nos réponse à ces petits personnages.

C’est pour le visage d’Elie, celui des siens, des nôtres et de tous ceux qui combattent cette haine que nous agissons, avec détermination.

Hier j’ai vu le visage de la haine, et nous lui tiendrons toujours tête.

Sacha Ghozlan
Président de l’UEJF

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