Tribune Juive

Il y avait dans l’air cette fierté d’être juif, par Sarah Cattan

France tu es en état d’urgence mais comme l’a dit justement Ron Huldai, le Maire de Tel Aviv, Contre le terrorisme, menez une vie normale. Et ton peuple, France, sans même qu’il s’en rendît compte, le voilà en train de vivre à l’israélienne. Du coup, incognito ou presque, ne voilà-t-il pas que le Festival Israélien ce dimanche 25 juin s’est tenu Place de la République à Paris, à l’initiative d’Impact, ce mouvement qui avait fait parler de lui en 2015 en dénonçant courageusement le traitement journalistique de l’AFP sur le conflit israélo-palestinien. L’objectif des organisateurs ? Quand tout sépare, la culture rassemble. Le meilleur moyen de lutter contre tous les préjugés sur Israël est bien de montrer toutes ses richesses.

Nos amis de Israël Is Forever étaient là, la cuisine fusion était représentée, mêlant plats locaux et délices apportés par les Juifs de la Diaspora, du falafel au houmous en passant par la chakchouka et le za’atar, et puis les plats et les coutumes se référant aux fêtes, le rituel cacher, and so on.

And so on, c’était aussi, la veille, nos frères Juifs français et israéliens qui défilaient pour la quarantième Marche des fiertés parisienne, sur le char de Beit Haverim[1], drapeau israélien orné de ballons bleus et blancs, un Hassid-style Rabbi Jacob,  grand drapeau orné d’une Maguen David à la main, dansant au sein du groupe.

Et puis, alors que Beit Haverim s’était exposé dignement pour favoriser la prise en compte de l’homosexualité dans la communauté juive française, d’autres, ce dimanche, avaient décidé de Hurler 50 minutes pour Sarah Halimi, 50 minutes, soit le temps que dura son calvaire, 50 minutes, histoire de faire du bruit pour elle, de le rompre, ce silence honteux.

D’autres encore annoncèrent leur projet de Courir pour Sarah, au cours d’un événement intitulé Run 4 Sarah Halimi Z’al et autres victimes du terrorisme, et ça, c’était à l’initiative de Jonathan Behar et du groupe de bikers ROOTS 26 : toi, possesseur de Deux-roues, et aussi toi qui vas à pied, venez avec nous, Jeudi 29 Juin à partir de 19 h, depuis la place du Marché à Neuilly-sur-Seine jusque devant le Quai des Orfèvres. Aux côtés de ROOTS 26, les Crazy Runners et encore Beit Haverim, avec ce même objectif: ne pas se résigner face au meurtre de Sarah Halimi. Ne pas accepter plus longtemps ce silence oppressant. Exiger que la vérité sorte.

Tu l’auras compris, Lecteur : dimanche il y avait dans l’air cette fierté d’être Juifs, cette volonté annoncée dès janvier par Israël is forever de ne plus baisser la tête, affichée, réaffirmée à nouveau : face à la menace,  se prendre en mains, ne pas attendre que l’on agisse pour nous, qu’ils disaient, les bikers de ROOTS26, Israël is forever et tous les autres.

Mais au cours de ce même Festival israélien, inévitablement, car tu sais ce que veut dire être Juif, on en vint de tous côtés à parler de ce que David Isaac Haziza[2] avait nommé les abus anti-républicains du député Meyer Habib. Non, Lecteur, ne me dis pas que cela n’a rien à y voir. Selon la loi qui veut qu’être Juif c’est tout interroger, tous parlaient de Meyer Habib. Meyer Habib dont Tribune juive soutint avec enthousiasme la candidature, Meyer Habib dont je fis fièrement le portrait ici-même et auquel aujourd’hui je vais, parce qu’il m’est cher justement, dire ce que je pense de la façon dont il fêta sa victoire, remerciant le Tout Puissant au nom des us et coutumes qu’impose, argua-t-il, la religion juive, Meyer Habib oubliant le savoir-vivre républicain, Meyer Habib qui permit que des Juifs non honteux le qualifiassent de Tartuffe, et qui rendit impossible à un seul Juif de se poster en défenseur de ce moment où, face caméra, notre Député et ami ne parla qu’aux siens, à sa communauté, quoi, et réussit par là-même à tendre une arme à ceux-là, si prompts à dégainer, trop heureux qu’ils étaient de pouvoir jeter l’opprobre sur ce Député en somme Juif avant que d’être républicain, trop heureux qu’ils étaient d’allègrement oublier ce qu’un Mendès France ou une Simone Veil illustrèrent jadis, bref trop heureux de nous dire : Ben voilà. Regardez-le, ce Juif.

Je ne sais pas toi, Lecteur. Mais moi, moi qui ai du respect pour tout ce qu’a accompli ce député, pour sa présence indéfectible aux côtés des juifs et d’Israël, moi qui ai découvert, comme sous les sabots d’Hélène, un être délicat ( oui, oui ) sous le personnage fantasque, eh bien j’avais juste envie de lui dire : Mais taisez-vous, Meyer Habib !  

Et lorsque, par réseaux sociaux interposés ou lors du Festival, nous le dîmes, eh bien nous nous prîmes les foudres … de qui ? De cette droite juive, hâtive pour qualifier d’antisémites et de Juifs honteux ceux qui définitivement ne voulaient pas penser comme elle, ceux qui se réclamaient Juifs autant qu’elle, mais qui  le revendiquaient aussi, ce droit de poser la critique d’un des nôtres, dès lors que celui-là l’était, critiquable. Car Meyer Habib, qu’eussiez-vous dit si un des trente députés musulmans eût remercié Allah, si Christine Boutin eût remercié son Seigneur ?

Et puis, je ne m’étendrais même pas sur le fait que notre député, tout  à son bonheur, oublia, comme il le fit d’ailleurs durant sa campagne, que la huitième circonscription comptait les français de Turquie, de Grèce, de Malte, de Chypre, d’Italie notamment. Meyer Habib enfin qui devra bien réviser son sionisme et ne pas le cantonner au seul conservatisme religieux, aujourd’hui justement où de jeunes Israéliens la dénoncent[3], l’éducation ultra-orthodoxe qui leur est imposée, aujourd’hui où les mêmes demandent des comptes à l’État hébreu qui finance à 75% le système éducatif ultra-orthodoxe sans aucune supervision sur ses programmes dispensés à près de 400.000 élèves, mettant en lumière un système éducatif bien particulier où théorie de l’évolution et langues étrangères n’ont pas leur place, où aucune notion d’histoire, de géographie ou de sciences ne leur a été enseignée.

Bref… La faute à une constitution qui oblige à accorder des privilèges aux religieux, même quand la grande majorité ne le supporte plus.

Mais je m’égare. Je parlais de vous, Meyer Habib, vous dont il y en eut pour dire que se dire Juif et fier de l’être ne pouvait être considéré comme empiétant sur les valeurs de la République française, et patati, et patata, face aux autres qui eux répétaient qu’affirmer être Juif de manière ostensible créait de l’antisémitisme, et ces autres encore qui disaient qu’obéir aux précédents, qui demandaient aux Juifs de se faire invisibles et de disparaître, revenait à dire que l’antisémitisme avait gagné.

Le balagan où il nous mit, Meyer Habib. Y avait Laurent G., qui voulait bien comprendre que dans n’importe quelle autre circonstance, un mariage, la guérison d’un proche, un truc du domaine du privé, quoi, c’eût pu être acceptable mais que non, décidément, dans une déclaration s’adressant à ses électeurs, lorsque l’on endosse le costume d’un élu de la République, démocratique et laïque, eh bien on devait s’en tenir aux institutions républicaines, et la laisser de côté, sa religion. Laurent qui comme moi ne décolérait pas, qui voulait encore, même lorsque que nos élites, par lâcheté et clientélisme électoral pour les uns, posture idéologique pour les autres, avaient vendu ce bijou républicain contre une pseudo paix sociale et quelques voix, continuer à croire que la laïcité n’était pas un glaive mais un bouclier, pour reprendre les mots de Caroline Fourest, et qui concluait que  donc il avait tout faux, Meyer Habib. Et puis y avait cet autre encore qui confia n’avoir jamais supporté le comportement de ces français qui ponctuaient leur phrases d’expressions comme barukh achem,  et qui, dès lors, ne pouvait accepter qu’un député français tournât le dos à la laïcité, remerciant, de sa cocarde tricolore ceint, le Tout Puissant.  Et celle qui disait que parole de Juif n’était pas parole d’évangile et que la critiquer n’était pas blasphème.

Car nous étions en France, cette encore République laïque où les élus ne juraient pas sur le Coran. Pardon, sur la Bible. Et où ce qui nous faisait bondir chez les musulmans ne pouvait décidément pas être toléré pour les Juifs.

[1] Le Beit Haverim, maison des ami-e-s en hébreu, association loi 1901 à vocation socio-culturelle, fut fondé en 1977, avec l’aide du pasteur Joseph Doucé. C’est aujourd’hui l’une des plus anciennes associations LGBT françaises.

[2] La Règle du Jeu.

[3] Sortis pour changer, association qui dispense, entre autres, des cours à ces jeunes désireux de s’intégrer dans une société moderne à l’écart de laquelle ils ont grandi.

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