Tribune Juive

Sarah Cattan : Candidats, au tableau !

Quoi qu’on en veuille, si l’élection américaine gardera pour toujours quelque chose d’inédit, pour les raisons politiques dont nous avons tous parlé, ici et ailleurs, et aussi parce que la part du nouveau traitement du politique par les media n’aura pas été anodine, la nôtre, d’élection présidentielle, eh bien, comment dire… Nous n’en sommes pas fiers.

Loin d’attribuer, comme un Benoît Hamon, l’élection de Donald Trump au seul Facebook, loin d’évoquer les cons descendance dont Gilles-William Goldnadel ici même parla, loin de vous parler encore de la campagne elle-même, des affaires comme ils disent pudiquement, je vous propose de regarder de plus près ce qui se fait aujourd’hui, en France, pour nous vendre un homme et son programme.

Non je ne vous parlerai pas de la ridicule lettre des dits VIP qui exhortèrent le Président Hollande à rester. Mais comme je prétends réfléchir avec vous du rôle des media, je citerai d’abord Alain Finkielkraut, qui nous expliqua à raison que les amuseurs de Canal+ incarnaient le pouvoir social et que si nous étions aujourd’hui dans la société du gloussement, nous étions d’abord dans une société où le bouffon du roi est devenu roi. Michel Rocard se demandait où était passé le respect qu’on avait jadis pour la classe politique, vous savez, du temps où elle passait pour efficace, c’est-à-dire du temps du plein-emploi et il se désole ainsi : Aujourd’hui, on nous insulte, on nous veut pauvres et on nous moque. Nos rois avaient leurs bouffons. Mais le bouffon du roi n’entrait pas dans la cathédrale. Aujourd’hui, les bouffons occupent la cathédrale et les hommes politiques doivent leur demander pardon. Ce qui fait que ne viendront plus à la politique que les ratés de leur profession.

Et ils sont bien là, les ratés de leur profession. Les prétendants qui veulent gouverner la France. Issus d’une offre qui au départ s’avérait diversifiée et prometteuse en termes de débats, et qui fit splash, peu à peu, pour les raisons que vous savez. Mais aussi pour avoir tous prêté allégeance aux média, ne se respectant plus guère eux-mêmes, puisque se prêtant aux crapuleuses exigences de ceux qui ne les respectaient pas. Rappelez-vous : Trump nous avait donné une leçon magistrale sur l’utilisation et les limites des réseaux sociaux. Comparés à lui, nos politiques n’étaient que des débutants mais ils n’en eurent cure : c’est qu’ils avaient, tous, des dir’com, qu’on dit aujourd’hui.

Alors, nous qui tétâmes du Cinq colonnes à la une, nous fûmes en 2017 réduits aujourd’hui à découvrir nos politiques dans un lieu cosy choisi à leur image. Ceux-là avaient accepté de se prêter à l’interview de Karine Le Marchand, et nous les avions vus arriver, un petit cœur sur la porte leur souhaitant la bienvenue. Why not. Sauf que un de ceux-là sera le mec qui dirigera la France en mai.

Certes nous ne sommes pas arrivés là ex nihilo et déjà Les guignols de l’info tentèrent longtemps de nous dire pour qui voter. Puis le trublion Cyril Eldin s’en mêla, Charline Vanhoenacker fit couple avec Patrick Cohen, et même elle prit du galon puisque l’invité de L’émission politique de France 2, aujourd’hui, voit sa prestation se clore par un portrait fait par celle qu’on nous vendit comme humoriste. A un moment il a même été dit que Cyril Hannouna voulait s’y coller à son tour. Au point où nous en étions. Rendez-moi qu’avec Anne Roumanof et son boucher, c’était autre chose.

Ambition intime ça s’appelait l’émission de Karine Le Marchand. Et nous, déjà, on n’en pouvait plus. De savoir ce qu’on aurait aimé ignorer de la sphère intime de celui qui demain nous gouvernerait. Le RSA de la décence était dépassé, et de la même façon qu’on n’en voulait plus, des détails sur Morandini comme on n’en avait plus voulu sur DSK, eh bien là, on ne voulait pas savoir si ses sourcils étaient un problème pour François Fillon, les larmes des hommes on trouvait ça noble mais étalées à la télé, celles de Bruno Le Maire évoquant son épouse, on n’avait pas envie de les voir.

Mais des spécialistes en tout nous expliquèrent que c’était de notre faute, à nous qui voulions du spectacle et du facile à comprendre. Et eux, nos politiques, ben ils furent confrontés à un dilemme : certes, ce n’étaient pas les stances de Rodrigue, il s’agissait juste de savoir ce qui était le mieux : prendre le risque de passer pour un clown de la télé face à ses électeurs, ou refuser la règle du jeu inégale dictée par un Cyril Eldin et risquer alors de passer pour un mauvais coucheur. Rappelez-vous, François Fillon himself, lui qui disait ne pas aimer quand les politiques faisaient du spectacle à la télévision, eh bien lui aussi il y céda. Lui qui prétendait ne jamais aller dans des émissions people style Ruquier : Ce n’est pas la place des hommes politiques, qu’il affirmait, au Figaro et confirmait au Point. Ambition intime, il expliqua qu’il l’avait fait parce que tout le monde l’avait fait. Macron ? Il a BFM qui lui est dédié. C’est pas son problème, M6.

Alors. Il y a ceux qui dirent non et au début nous les louâmes. Pourquoi j’ai dit non à Karine Le Marchand, crut devoir poster sur sa page Facebook Benoît Hamon, symbole du Parangon de vertu, prétextant ce petit plus d’honnêteté intellectuelle et une certaine idée de la grandeur de la politique que donc les autres n’auraient pas partagées. Karine Le Marchand, elle, évoqua une bien autre raison.

En tout cas, nos media, ils décidèrent de concert de se livrer à un gigantesque binge watching, nous balançant un visionnage compulsif d’émissions électorales auxquelles nous ne saurions échapper, et eux, les candidats, toujours épaulés par leurs fameux dir’com, ils allaient et venaient, passant au Quotidien de Yann Barthès pour l’ avoir, la branchée attitude, et trinquant avec la Candide de M6 : à croire qu’ils avaient tous été convaincus par le conseiller … d’Hervé Mariton : Avec M6, il s’agit de sortir de l’excellence cartésienne et toucher les gens.

Alors, vous me direz qu’il nous reste bien quelques interviews acérées, notamment dans les Matinales. Et quelques émissions politiques, même si l’insolence de mise à l’égard de l’invité m’est, à moi, insupportable.

Et vous savez quoi ? Nous découvrirons dès dimanche d’autres formules. D’abord, Melissa Theuriau va les envoyer au tableau, les politiques, dans sa nouvelle émission sur C8 : Présidentielle : candidats au tableau ! L’idée ? C’est que nos candidats expliquent la politique à une quinzaine d’enfants, répondent à leurs questions d’actualité, et reviennent aussi sur leur propre vie d’écolier et leur rapport à l’école. Envoyés au tableau donc, face à une classe de jeunes enfants âgés de 8 à 12 ans, ils devront répondre à des questions cash et naïves, vous savez, celles qui rendent impossible la langue de bois, celles que seul un enfant sait poser et auxquelles tous, nous avons déjà été confrontés. Emmanuel Macron, Benoît Hamon, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon, ils se sont prêté au jeu, alors que la candidate FN n’a pas daigné répondre. L’exercice, pour le moins inédit, durera 90 minutes, pendant lesquelles il sera difficile de tricher, face à ce public d’une intransigeante innocence et d’une saine logique. Emmanuel Macron, craie en main, tentera d’expliquer le bipartisme politique à son jeune auditoire alors que Benoit Hamon sera soumis à une interrogation surprise sur le tri des déchets et que Jean-Luc Mélenchon devra réciter une fable de La Fontaine. François Fillon ? Eh bien figurez-vous qu’un enfant lui demandera, cash : Pourquoi tout le monde vous a abandonné ? La réponse, vous l’aurez ce dimanche, à 21h00.

Dès le lendemain, 5 des candidats à l’élection présidentielle, les bancables, se feront face lors d’un débat télévisé proposé par TF1 et LCI. Ce sera une première puisque jamais les candidats à l’élection présidentielle n’avaient débattu avant le premier tour. Il se tiendra de 21 heures à minuit, sur un plateau de la Plaine Saint-Denis, ce débat où, en guise d’introduction, chaque candidat devra répondre en une minute trente à la question Quel président voulez-vous être ?

Les cinq candidats débattront ensuite sur trois thèmes : quel modèle de société pour la France, quel modèle économique pour la France, et quelle place pour la France dans le monde, cette dernière partie reposant sur les questions géopolitiques, domaine réservé du président de la République, chaque candidat disposant de deux minutes pour répondre et pouvant être interpellé par ses adversaires à partir d’une minute trente. Pour choisir la couleur de leur cravate et de leur veste, les participants savent que le plateau n’aura pas de teinte bleue ou rouge : l’objectif ? Rester à bonne distance des couleurs des partis politiques. Alors nous aurons du beige et du gris.

Marianne et le Huffington nous annoncent une émission historique, animée par Anne-Claire Coudray et Gilles Bouleau. Pour info, les candidats ne seront pas côte à côte comme lors des primaires LR et PS : le plateau aura des allures d’agora, nous promet-on : Nous avons voulu nous différencier des débats des primaires, qui ressemblaient plutôt à un face-à-face entre candidats et journalistes. Cette fois, les candidats se regarderont, ce qui favorisera au maximum l’interpellation et le débat, justifie Philippe Morand, le chef adjoint du service politique de TF1. Derrière eux, chacun pourra faire venir une grosse trentaine d’invités et de soutiens, et, pour compléter le public d’environ 400 personnes, TF1 fera appel à ses propres salariés.

Vous savez que le Petit Nicolas, allant jusqu’à parler sur Twitter de viol démocratique, a bien tenté un recours auprès du juge des référés. Mais le recours de Nicolas Dupont-Aignan a été rejeté, la chaîne ayant promis de recevoir les autres candidats dans un module de 10 minutes au sein du JT de 20 heures.

C’était sans compter sur Explicite : les petits candidats, Nathalie Arthaud, Jacques Cheminade et Philippe Poutou, sous réserve que ce dernier réussisse à réunir ses 500 parrainages, eh bien ils pourront débattre sur Explicite, le média 100% vidéo et 100% web fondé par les anciens d’iTélé, et ça, ce sera lundi à 19h30, donc avant le big débat de TF1. On nous promet une formule interactive, et on nous jure que le débat sera diffusé via Facebook live quelques minutes avant le début du débat sur TF1. Il en manque deux, je sais. C’est que Asselineau et Dupont Aignan, ils n’ont pas encore confirmé.

France 2 ? La chaîne a annoncé la tenue d’une émission le jeudi 20 avril, soit trois jours avant le premier tour, avec tous les candidats officiels, et laisse envisager la tenue d’un autre débat d’ici fin mars, entre les candidats ayant recueilli le nombre de parrainages requis.

Vous réalisez, vous ? 23 avril. C’est demain ! Le 7 mai prochain nous saurons à quelle sauce nous seront mangés. Et vous avez vu ? Je ne vous ai pas parlé des affaires. Si vous me demandez pourquoi, moi aussi je pourrais vous répondre : Et alors ?

Quitter la version mobile