François Fillon a été mis en examen par ses trois juges, pour trois chefs d’accusation. Cette fois, il a su contrôler sa communication en se rendant avec un jour d’avance à la convocation qu’ils lui avaient adressée, ce qui lui a permis d’éviter la cohue médiatique.
M. FILLON mérite que tout commentateur consacre une analyse approfondie à son programme, le plus réformateur d’entre tous, le seul qui, à notre avis, permettrait le redressement économique, social et politique du pays. Si on est contraint de revenir sans cesse à ses démêlés avec la justice, c’est parce que son calvaire est semé de rebondissements imprévus. Il se trouve donc enfermé dans une contradiction lancinante, l’obligation qui lui est faite de minimiser ses fautes et leurs conséquences, et sa tentative permanente de recouvrir le fracas des affaires sous le bruit, beaucoup moins puissant, de ses propositions.
Deux vérités.
Chez les Républicains, à l’UDI qui, après avoir dit le contraire, s’est ralliée à lui, non sans perdre, dans l’exercice, un certain nombre des siens séduits par Emmanuel Macron, on continue à faire bloc autour de lui. Tous ceux qui, après un parcours en zigzags, fait d’appels à son retrait et d’appels à le soutenir, pour-que-la-droite-ne-soit-pas-privée-de-son-candidat, lui font encore confiance, n’ignorent pas deux vérités fortes : la première, c’est le temps désormais très court qui nous sépare du premier tour, mais un temps pendant lequel il devra rapidement montrer que sa popularité monte s’il veut figurer au second tour. La seconde, c’est sa capacité à triompher de Marine Le Pen après le premier tour. Pour ce triomphe, il faut un candidat qui rassemble 60 % de l’électorat.
Il y a deux sortes d’électeurs : ceux qui votent Le Pen sans états d’âme et sans se cacher. Et ceux qui, quelles que soient les circonstances, n’accorderont jamais leur suffrage au Front national. Or, à 39 jours du premier tour, soit moins de six semaines, M. Fillon est toujours scotché à 20 %. Tous ses amis disent que c’est un résultat brillant pour un homme harcelé par la justice. Mais tous oublient de dire que c’est insuffisant pour rassembler deux électeurs sur trois.
Bien entendu, le camp Fillon affirme que son homme-lige, libéré pour un moment des poursuites dont il fait l’objet, va progresser dans les enquêtes d’opinion, lesquelles sont d’ailleurs brocardées chaque fois qu’elles ne sont pas rassurantes. Mais comment ne pas se poser la question de l’effet que diverses révélations produisent sur la mentalité de l’électeur ? M. Fillon minimise les erreurs qu’il a pu commettre. Avoir des attachés parlementaires, fussent-ils ses proches, c’est légal. Se faire offrir des costumes de luxe à 7 000 euros, c’est légal. Obtenir un prêt de 50 000 euros sans intérêt, c’est légal. Payer ses enfants sur des fonds publics, puis obtenir le remboursement partiel des émoluments qu’ils ont touchés, c’est légal. Pour mieux nous convaincre de l’inexistence des charges qui pèsent contre lui, on nous rappelle le coiffeur à 9000 euros par mois de François Hollande. Comme si les manquements du président excusaient ceux du candidat.
Le malaise de l’électeur.
C’est nier le ressenti populaire, qui fut choqué par le salaire du coiffeur, comme il est choqué aujourd’hui par ce qui ressemble bien à un système inventé pour améliorer, et de beaucoup, les revenus de M. Fillon. Aucun d’entre nous ne paie si cher pour une coupe de cheveux, mais aucun d’entre nous n’aurait l’idée de demander à un riche ami de payer pour des costumes neufs d’un prix fabuleux. C’est peut-être légal, mais c’est culotté. Un abîme sépare M. Fillon d’un peuple qui n’est pas limité aux plus pauvres et s’indigne de pratiques dont l’ingéniosité le dispute au sordide.
En définitive, on se moque de savoir combien de temps va durer le feuilleton, si la justice est fondée ou non à poursuivre le candidat, si, en somme, c’est légal ou non, si c’est immoral ou non. Ce qui est palpable, sûr, gênant, c’est le malaise que ressent tout électeur, fût-il parfaitement en phase avec les idées et le programme de M. Fillon. Mais même ce malaise n’est pas important. Ce qui compte, c’est la capacité de François Fillon à augmenter le nombre de ses électeurs. S’il reste à 20 %, il offre un boulevard à Emmanuel Macron. Non seulement il a besoin de quelque deux ou trois millions de suffrages supplémentaires au premier tour, mais il doit les prendre à M. Macron, dont l’électorat est versatile, contrairement à celui de Mme Le Pen.
Richard Liscia