Tribune Juive

Sarah Cattan : Les enfants terribles du PS

C’était donc hier, dimanche, à 18 heures, un horaire qui, en ce jour glacial, eût pu réunir beaucoup plus que ce million sept cent mille spectateurs. Ils étaient là, les sept, déterminés à être moins pâles que lors du premier débat, et d’ailleurs Ruth Elkrief, Laurent Neumann et Laurence Ferrari les y exhortèrent.

Nous y étions, au rendez-vous, et avions une pensée pour Anne Hidalgo, forcément inquiète pour la performance de son poulain, Vincent Peillon, le candidat surprise de la primaire, le docteur en solferinologie, celui qu’elle soutient parce que, dit-elle, il élève le débat et incarne une social-démocratie qu’elle défend. Argument tellement énorme là où Bruno Roger-Petit et d’autres ne voient que stratégie : faire perdre la gauche pour être présidente en 2022. De plus en plus de gens jouent la politique du pire au PS, Anne Hidalgo en fait partie, juge le député de Paris Christophe Caresche, tant la Maire de Paris semble en effet préparer le coup d’après, la défaite de la gauche à la présidentielle entraînant une recomposition du Parti socialiste dans laquelle elle jouerait un rôle central. Mais connaissez-vous une seule personne qui s’intéresse au choix d’Anne Hidalgo, la lanceuse de tendances. La Anna Wintour de la politique.

Nous y étions, au rendez-vous, comme beaucoup. L’élection présidentielle, c’est une conversation quasi intime entre un candidat et les Français. Et nous sommes au début de cette conversation, nous avait dit Manuel Valls sur Radio Classique. Arnaud Montebourg, lui, s’était déclaré heureux de ces retrouvailles entre les quatre enfants terribles du Parti socialiste qui se disputent la succession de François Hollande et que nous a si précisément racontés l’excellent documentaire de Dominique Fargues et Laurent Delahousse : Des désaccords politiques, ça n’a jamais détruit une amitié, la cordialité d’une relation. D’ailleurs, des désaccords, on en a tous dans nos familles, dans nos cercles amicaux. Sauf que nous, nous avions bien vu que eux, le pouvoir les avait épuisés, divisés, abîmés, éteints.

LES BÉBÉS HOLLANDE REJETTENT L’HÉRITAGE

En face, vous en aviez, en pleine amnésie comme Eric Ciotti, qui dénonçait, lui, les bébés Hollande qui rejettent l’héritage – d’habitude, les bébés se disputent l’héritage. Là, ils le rejettent. C’était à celui qui s’éloignait le plus, finalement, de ce qu’ils ont fait au cours de ce quinquennat, qui restera un quinquennat d’échec, de quasi-faillite pour le pays.

Bien sûr qu’il avait été soporifique, ce premier débat, laborieux, trop technique, porté sur le passé plus que sur l’avenir, pas sexy : un piège diraient les pessimistes, et les lucides. C’est qu’il s’avérait impossible, l’exercice, tous contraints qu’ils étaient d’assumer tout ou partie d’un héritage dont ils ne savaient plus que faire : le renier, un peu, beaucoup, totalement. Dans Le Point une métaphore plaisante disait qu’à la manière de l’aviateur qui sait, lorsque surgissent des montagnes, qu’il lui faut prendre de l’altitude, au cours de ce premier débat, on avait évolué parfois au-dessus des nuages, dans la stratosphère : les milliards d’une relance industrielle pharaonique ou du salaire universel pleuvaient en cascade sous le regard effaré d’un Manuel Valls qui, mâchoires soudées et maxillaires proéminents, s’efforçait de conserver le calme olympien que lui ont recommandé ses communicants.

Ça n’avait pas boxé, quoi, jeudi soir, et donc pour ce deuxième rendez-vous, nous les attendions, les puncheurs, nous espérions le retrouver, le style flamboyant et agaçant qui caractérisait Arnaud le frondeur, bref nous étions à l’écoute. La fillette de dix ans d’un journaliste que vous connaissez tous avait même laissé en plan la quiche qu’elle préparait, car elle aussi, ça la passionne, cet exercice.

DANS DEUX MINUTES, ON EST AU PLUMARD

Je ne sais pas vous, mais moi je n’avais pas vu C’est Canteloup, juste avant le premier débat : reprenant les images du passage de Montebourg dans l’émission de Karine Le Marchand, Une ambition intime, l’humoriste fit dire au candidat socialiste, assis sur un canapé avec l’animatrice : C’est étrange, mais ce vin me donne envie de faire l’amour. Dans deux minutes, on est au plumard ! Ou même tout de suite sur cette table basse de chez Habitat ! Et de continuer que sa compagne, Aurélie Filippetti, était morte d’un cancer dans un accident de voiture. 5 minutes avant le direct hein.

Et il se dit de source sûre qu’à la fin du débat, alors que TF1 lançait son New York, section criminelle, sur le plateau ces vieux enfants terribles, cette génération enfulte[1], ces adultes qui ont les mêmes réflexes que des enfants, et pas seulement pour leur liste de cadeaux de Noël, cédèrent place à l’autosatisfaction, Peillon lançant un grotesque On s’en est à peu près sorti, De Rugy se félicitant que personne ne soit tombé dans le combat de coqs, Bennahmias plaisamment qualifié d’oncle gênant dans Marianne se désolant de s’être fait épingler à cause de propositions figurant sur son site internet et qu’il ne connaissait pas, et François Kalfon[2] ne décolérant pas de l’imitation de Montebourg par Canteloup : Il est où Gilles Pélisson[3]? Il est parti ? On va lui écrire une longue lettre. Il ne sait pas, François Kalfon, qu’autres temps, autres mœurs ?

Mais là, nous étions sur BFM et ITélé. Leur serait-elle à nouveau posée, la question, et allait-on savoir ce soir qui des participants affirmerait clairement qu’il soutiendrait le vainqueur de la primaire. Ils l’avaient bien fait, les Républicains, même si déjà, le vainqueur les a à son tour, ses frondeurs. Allaient-ils parler ce soir de ces deux absents trop présents. Macron, ce loup déguisé en grand-mère sympathique[4], et du poids des colères de Mélenchon. Les riches. Les journalistes. Bref tous ceux qui ne l’ont pas choisi.

Allaient-ils revenir sur ces sujets qui ne furent qu’esquissés. Sur la légitimité d’un CCIF et le silence de l’Etat, lorsque son directeur balance de façon addictive ses tweets au goût de menace, lançant ce 13 janvier un appel non déguisé aux fonctionnaires de police, exhortant des policiers à rejoindre ses troupes pour exécuter des missions de prévention et informer sur certaines pratiques policières, sur l’écologie, la laïcité, car l’infographie publiée quelques heures avant par Le Point avait le mérite de rappeler de manière claire les positions de chaque prétendant, montrant comment certains savaient adoucir leur position dès qu’il s’agissait du pouvoir, et montrant que seul Manuel Valls était intransigeant sur le sujet. Allaient-ils enfin la laisser tomber, cette insupportable arrogance à croire qu’ils ont le monopole de la morale.

La fillette nota que la salle était rouge comme la robe de Laurence Ferrari, que François de Rugy se posait à lui-même des questions auxquelles il répondait ensuite, que Peillon commençait toutes ses phrases par Moi, et parlait en regardant le plafond, elle nota très vite la disparition politique de Sylvia Pinel et ça lui sauta bien sûr aux yeux que tout le monde regardait Bennahmias lorsqu’il parlait, enfin pas Peillon, because le plafond.

LA VIE N’EST PAS UNE ARDOISE MAGIQUE

Elle nota des alertes punchlines. Il y en eut. Non que nous jugions un débat à cette seule aulne, mais puisqu’il s’agissait de désigner le meilleur… Une première émana de Benoit Hamon qui renvoya le journaliste à mieux préparer ses fiches, une autre du poulain d’Anne Hidalgo qui s’emporta et expliqua à Valls que la vie n’était pas une ardoise magique, acculant ce dernier à défendre son bilan de PM, notamment sur le nombre de migrants accueillis en France, à quoi il demanda, exaspéré, comment on pouvait être sans cœur. Jusqu’à Arnaud Montebourg qui, lui, choisit de tacler avec virulence Vincent Bolloré pour sa politique envers la chaîne i-Télé, dénonçant un mur des puissants, invisible mais bien réel.

Nous restâmes sur notre faim. Certes Valls assuma la nécessité de réformes économiques impopulaires pour remettre la France sur le chemin de la croissance, la nécessité de frontières et le refus d’accueillir la Turquie au sein de l’Union mais il se tut, concernant la nécessité de les virer, les gauchistes et les islamogauchistes qui rendirent cette gauche à ce point inapte aux responsabilités.

Nous restâmes sur notre faim : ils ne nous expliquèrent pas de quoi Macron était le résultat. Des impasses, renoncements et manquements de nos politiques ici réunis ? Le résultat de la mega exposition médiatique offerte par BFM et Drahi, suivis des autres médias. Etait-il une bulle, la bulle d’une infime partie de la population, une bulle qui allait faire pchhht ?

Nous ne nous écharpons même plus, vous disais-je récemment. Mais ça y est, c’est reparti, la question étant de savoir qui allait rejoindre qui et lequel s’effacerait. Si on est de gauche on a deux candidats de qualité disponibles hors primaire. Selon ses inclinations, Macron ou Mélenchon. Pourquoi aller s’emmerder avec le candidat qui sortira de la primaire. Ferait mieux de se retirer. Si ça se trouve la gauche peut même gagner l’élection, dit celui-là, alors que celui-ci rétorque : Moi, ce qui me frappe avec Macron, c’est sa ressemblance avec un leader socialiste moyen quand le PS était en forme. Une sorte de Hollande sans lunettes, il ressemble à Julie Gayet en mec, mignon et lisse.

IL FAUDRA BIEN QU’ILS NOUS EN PARLENT DE MACRON

Jeudi prochain, il faudra bien qu’ils nous en parlent, de Macron. Même le candidat de la France insoumise reproche à celui d’ En marche! de vivre ailleurs et de parler aux gens comme à des domestiques[5] : Il n’en rate pas une, il ne peut pas s’en empêcher. Il arrive dans le Pas-de-Calais et il leur dit: « Ah bah oui, il y a le tabagisme et l’alcoolisme ». Il ne manque plus que l’inceste et comme ça le tableau serait complet!, a dénoncé Mélenchon.

Pourtant, comme ils sont nombreux autour de moi ceux que tente la démarche de Manu. Jusqu’à l’épouse du maire de Deauville qui dans une forme de coming out se fend d’un post sur les réseaux sociaux pour nous dire à tous pourquoi elle rejoint l’équipe de Manu. Oh non, pas pour faire comme son amie Laurence Haïm. Et jusqu’à Dominique Villemot, cet avocat, intime de François Hollande, qui a décidé de soutenir Emmanuel Macron et qui assure dans un entretien au JDD que François Hollande pourrait bien faire de même. Macron. Le Kim Kardashian de la politique, dit mon amie prof de philo. Le signe que les ressorts de la téléréalité ont gagné notre vie politique ?

Bien sûr on peut discuter de chacun des candidats, de leurs faiblesses, leurs insuffisances, leur insupportable adolescence. Mais comme Brigitte Stora, en écoutant ce deuxième débat, je me suis dit quand même que si j’avais une famille politique, c’était bien la gauche. Celle qui a parlé des pauvres. Celle qui peut voter des lois fiscales dont elle sait qu’elles lui seront défavorables.

A la fin du débat, un pote journaliste nous confia devoir se le faire, en replay, le débat, pour rendre son article. La fillette se remit à sa quiche et nous apprîmes que François Hollande, lui, était allé voir le one man show de Drucker : Quand le Président m’a appelé pour me dire qu’il venait, je n’en revenais pas, raconte l’intéressé. Replay à l’Elysée.

Sarah Cattan

[1] www.atlantico.fr/decryptage/generation-enfultes.

[2] Directeur de campagne de Montebourg.

[3] PDG de TF1.

[4] Dixit au Monde Nicolas Dupont-Aignan.

[5] Le Grand Jury, RTL/LCI/Le Figaro.

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