Tribune Juive

Sarah Cattan : Souccoth, la saga du désert

Alors que nous sortons des deux grandes fêtes par lesquelles commence l’année juive, nous voilà à Souccoth, la fête des Cabanes, qui clôture le cycle des fêtes de pèlerinage commencé avec Pessah et Chavouoth, ainsi appelées parce que la Bible faisait obligation à tout israélien de monter à Jérusalem pour les célébrer.

Si Souccoth, Pessah, Chavouoth, Roch Hachanah et Yom Kippour ont en commun d’avoir été, selon la Bible, promulguées par Dieu alors que Pourim et Hanouccah furent instituées par les hommes, ces sept fêtes constituent les sept branches du chandelier d’or, symbole de la présence de la lumière dans le temps et l’espace.

Pour vous parler de Souccoth, je me suis replongée dans les livres de Josy Eisenberg, traces de ses dialogues avec Adin Steinsaltz[1] autour des commentaires du grand maître Rabbi Chnéour Zalman de Lady, mais j’ai eu aussi la chance d’écouter, sur France Culture, Delphine Horvilleur reçue par Marc-Alain Ouaknin dans Talmudiques.

Vous habiterez des souccoth durant sept jours ; afin que vos générations sachent que c’est dans les souccoth que j’ai fait habiter les enfants d’Israel lorsque je les fis sortir d’Egypte. Lévitique XXIII, 42.

photo : Wikimedia Commons

Durant les quarante années de leurs pérégrinations dans le désert, les Hébreux construisirent des huttes pour s’abriter du soleil et Souccoth évoque cette odyssée, respectant la prescription biblique d’avoir à édifier chaque année, cinq jours après Kippour, une hutte en souvenir de la saga du désert, chaque Juif étant invité à sortir de sa demeure fixe pour vivre une semaine dans une demeure provisoire.

La souccah est une sorte de petite cabane, une hutte, recouverte de branchages qui doivent laisser voir les étoiles. On doit vivre dans la souccah sept jours durant, y prendre ses repas et si possible y dormir, en signe de confiance en Dieu et d’indifférence au confort matériel.

Souccoth, commémorant un événement purement historique, est la plus juive des fêtes tout en étant consacrée à l’humanité entière : en effet, durant les sept jours de la fête, on apportait soixante-dix sacrifices au Temple de Jérusalem en l’honneur des   soixante-dix peuples de la terre[2] nés à Babel.

Ainsi, si Pessah rappelle notre libération et Chavouoth le don de la Loi, Souccoth, fête de la moisson, est par essence une fête universelle.

FÊTE DE L’AMOUR

Si le Nouvel An et le Pardon sont des fêtes de la transcendance où l’homme est jugé par son créateur, Souccoth est une fête de l’intimité, chaque Juif se trouvant, dans la souccah, comme un enfant dans le ventre de sa mère. Dans cette petite cabane, nous serions en Dieu et une métaphore explique que la main gauche, symbole de la rigueur de Dieu, désigne Roch Hachanah et Yom Kippour, alors qu’à Souccoth, nous sommes soutenus par sa main droite, symbole d’amour. Ces deux bras de Dieu sont d’ailleurs à relier à la structure de la souccah : la Loi exige qu’elle ait au minimum deux murs, plus le début d’un troisième, ce qui donne exactement l’image d’une étreinte, l’étreinte de Dieu. Cependant, le fait d’y être n’est pas neutre et procède d’un choix ; entrer dans la souccah est une forme d’engagement : Rabbi Chnéour Zalman nous explique que même si je ne suis pas profondément convaincu, j’ai fait un premier pas et Dieu, en m’étreignant, essaie de me retenir. Souccoth est donc fête de l’amour, après la rigueur de Roch Hachanah et la miséricorde de Yom Kippour.

La souccah, pour symboliser cet amour, doit pouvoir recevoir tout le monde : adultes, enfants, sages, sots, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, Juifs et non-Juifs, toutes ces différences devenant un amour makif, un amour gratuit qui englobe tout : Yom Kippour nous ayant lavés de nos fautes, à Souccoth l’amour peut être total et sans limites puisque nous voilà innocents comme le nouveau-né, la littérature rabbinique rappelant que le compteur, remis à zéro à Kippour, se remet en marche, permettant à un nouveau monde de commencer.

Il est de tradition de ne pas décorer la souccah : une fois la récolte engrangée, entourés d’un cédrat, d’une branche de palmier, de myrte et de saule, on recherche la joie la plus simple et la plus dépouillée, et on priera seulement, au dernier jour, pour que la pluie, dont les cabalistes disent qu’elle tombera si les hommes l’ont méritée, vienne féconder l’œuvre de l’homme dans le monde.

N’oublions pas que chacun des sept jours de la fête est placé sous le signe d’un invité, d’un patron céleste : ces sept personnages, appelés invités supérieurs, sont Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, Joseph et David, sept bergers incarnant chacun une vertu divine et symbolisant les sept façons de servir Dieu. Ces sept bergers que nous invitons ne sont, au final, que nous-mêmes : en ouvrant ma porte aux bergers, j’ouvre la porte de mon être.

L’AQUOIBONISTE

Delphine Horvilleur

Imaginez-vous que Delphine Horvilleur a proposé une réflexion passionnante en établissant un rapport entre la fête de Souccoth et Serge Gainsbourg. Après nous avoir appris que dans certaines traditions juives, on avait l’habitude d’inviter dans la souccah des personnages contemporains, comme Martin Luther King, établissant ainsi un dialogue intergénérationnel et intercommunautaire avec des hommes et des femmes qui ont changé notre monde, elle nous proposa d’écouter l’aquoiboniste, de Serge Gainsbourg, interprété par Jane Birkin. Vous savez, l’aquaboniste, ce type un peu blasé qui répète je veux bien mais à quoi bon : eh bien ce texte, notre rabbin l’a rapproché de façon fort heureuse avec l’Ecclésiaste, ce texte que l’on suppose écrit par le roi Salomon, fils du roi David, lequel peut sembler déprimé, répétant j’ai essayé le vin les femmes la richesse mais il n’y a finalement rien de neuf sous le soleil, à quoi bon. Et Delphine Horvilleur confia qu’elle ne pouvait écouter Qohelet sans que surgissent en elle les mots de Gainsbourg. Elle ajouta qu’il y avait bien au cœur de Souccoth une réflexion sur l’émotion, sur à quoi sert ce qu’on est en train de faire si on sait que ça ne va pas durer, si rien de neuf sous le soleil.

Elle conclut qu’on pouvait peut-être espérer qu’un renouveau arrive dans nos vies si on se tenait un peu à l’ombre sous la souccah. Elle expliqua, citant Levinas, combien la lecture et l’étude sauvent, et combien il y avait toujours une chance de changer ce qui a été décidé : c’est scellé, mais quelque chose peut encore bouger, on peut encore faire changer le décret, ajouta-t-elle. Et notamment au huitième jour, Sim’hat Torah, jour où on achève et recommence la lecture de la Torah, au cours d’une nuit d’étude dans l’obscurité, dans une lecture menée par les fidèles et non par les rabbins.

A Souccoth, conclut-elle, nous sommes invités à fabriquer du temps, à quitter le caractère stable et immuable des murs de nos constructions et de nos certitudes pour nous installer dans du vulnérable : change alors les murs de nos certitudes. Un visiteur, une rencontre, un livre, peuvent surgir et changer totalement notre façon de voir les choses.

http://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques

 Sarah  Cattan

[1] Le Chandelier d’or, Les fêtes juives dans l’enseignement de Rabbi Chnéour Zalman de lady, Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz, Editions Verdier, 1988.

[2] Selon les rabbins il y a 70 ethnies sur la terre, la division en états étant plutôt accidentelle.

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