Ma réponse à l’humoriste juif qui joue chez Dieudonné

Cher Yonathan Sayada,

Puisque visiblement tu aimes les réponses, comme l’indique ton spectacle intitulé « ma réponse à Dieudonné », tu ne seras pas contrarié de cette envie qui me démange de te répondre à mon tour.

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Je ne doute pas  de la force des rires que tu provoques, du rythme de tes sketchs ou de la qualité de tes textes. C’est l’espace choisi pour te produire, au théâtre de la Main d’Or, dans l’enceinte du condamné à l’incitation à la haine, la diffusion de propos haineux et du  négationnisme, qui me pose problème.

Tu auras beau te désolidariser des provocations de celui que tu places en adversaire en promettant une « réponse » à ce dernier, tu es, selon moi, complice, en acte et en paroles.

D’abord en acte, car tu as choisi de jouer sur une scène criminelle. Cette simple estrade, parce que Robert Faurisson est monté dessus pour recevoir un prix, est connotée.

Complice aussi en paroles. Une parole qui se veut être une collision avec l’ennemi mais qui, malgré tes efforts, ne le sera jamais. Car Dieudonné t’invite à performer chez lui, et pour cette raison, Monsieur M’Bala Bala est redoutablement plus intelligent que toi : comment peut-on réellement attaquer son adversaire quand on lui doit quelque chose ?

Avant toi, il y a eu Elie Semoun, qui s’est éloigné à temps et a réussi une belle carrière solo sans jamais accabler  son ancien partenaire. Et cette invitation peut poser la question : Dieudonné a-t-il le regret de sa période « Elie et Dieudo » quand il était déjà une star sans avoir à plonger ses mains dans la vase comme il le fait maintenant ?

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Mais je m’interroge surtout sur toi, je me demande quelle est ta sincère intention. De montrer qu’un juif aussi peut se moquer des juifs, comme tu l’as déclaré dans une interview accordée à la chaîne i24 news ? D’autres l’ont fait avant toi, ils n’ont pas attendu les relents antisémites d’un polémiste pour prouver leur autodérision. C’est le cas d’Elie Kakou qui a caricaturé cette mère juive excessive et possessive en créant le personnage de Madame Sarfati, mais aussi de Michel Boujenah qui se rit des juifs tunisiens et de leur mauvais goût pour les prénoms très américains qui se marient difficilement avec leurs noms de famille séfarades, ou encore plus récemment de Gad Elmaleh qui, avec son «Coco », dresse la satire de ce juif qui aime étaler sa réussite jusqu’en devenir indécent et ridicule.

Ou alors, tu penses peut-être grâce à ce spectacle, faire un pas vers l’autre et vers la tolérance, ou même, pour te citer, vers « la paix ».

Mais n’y a-t-il pas d’autres façons de faire découvrir notre culture pour détruire les clichés ou ressouder le lien national ? Partout en France, des associations étudiantes dans les écoles y travaillent et organisent de nombreux événements en ce sens par exemple. Force est de constater que leurs conférences, leurs rencontres, leurs voyages, mais aussi leurs fêtes, interculturelles  ou religieuses , provoquent le débat et l’échange et te démontrent qu’il est tout à fait possible de faire évoluer les mentalités sans flirter avec l’abject.

Certains saluent ta prise de risque. En effet, tu as bien pris un risque. Mais pas pour toi, car au contraire ce “buzz” te permet de te faire un nom. Le véritable risque que tu prends chaque soir est celui de dédiaboliser une pensée dangereuse.

Il y a, d’un côté, ce public nouveau, que tu attires pour la première fois entre ces murs. Pour ce spectateur curieux, tu tends à rendre le lieu convivial, son plus célèbre pensionnaire sympathique et ses propos presque audibles.

Dans ce cas-là, tu joues, à tes dépens peut être, le rôle d’appât. Tu es ce piège qui permet de faire découvrir Dieudonné, son décor et son univers, auprès d’un public jusqu’alors jamais conquis, ou de le réhabiliter auprès de celui qui l’avait abandonné à la suite d’un énième propos odieux de sa part, certainement ce 11 janvier 2015, à la suite de la marche républicaine, où il écrivait se sentir « Charlie Coulibaly » ou cette fois où il avait déclaré son amitié à Youssouf Fofana…

Sûrement as-tu la mémoire courte, sans doute as-tu oublié quels genres d’habitués occupent ce théâtre. Les supporters de ton nouveau mentor posent fièrement le bras tendu devant des lieux qui nous sont tristement familiers. Certains ont osé publier un cliché d’eux devant la maison d’Anne Franck, quand d’autres ont capturé leur geste devant la porte d’entrée du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau.

Tu te défends certainement de ce genre d’attaque en expliquant que ton objectif est justement de décrédibiliser leur idole en les convaincant à ton tour. Noble bataille à première vue. Selon moi, ton spectacle produit exactement l’effet inverse.

affiche

Ton simple nom sur cette affiche risque au contraire de les conforter dans leurs positions et les rassurer en se disant : « tu vois Dieudonné fait jouer un juif ici, alors qu’on arrête de dire qu’il est antisémite! » Et cette fois, tu enfiles la robe d’avocat. Pire, tu deviens le parfait alibi. Leur exception. Leur excuse favorite qui leur permet de médire sans une once de culpabilité. Tu les décomplexes de leurs idées douteuses voire pour certains de leurs préjugés raciaux condamnables. Tu sais, comme ce raciste qui a toujours « un très bon ami noir », tu es leur carte joker qu’ils sortent dans un débat à table entre amis. Grâce à toi, ils n’ont plus besoin de se justifier. Plus besoin de se fatiguer à faire ce geste qu’ils appellent « quenelle » : tu leur déplie le bras.

Fausse audace.
Faux pied de nez.
On ne répond pas sur le même ton au racisme, au délit, au crime.
On ne s’installe pas chez lui.
On ne copine pas avec lui.
On ne signe pas une collocation avec lui.
L’humoriste Jeremy Ferrari, considéré comme le champion du cynisme, surnommé « le nouveau Desproges », ne publie pas le manuscrit de son spectacle satirique dans l’hebdomadaire Minute. Ou encore, Charlie Chaplin n’a jamais joué son personnage dictateur dans l’Allemagne des années 40, mais bien dans un studio d’Hollywood.

Je veux dire par là : peut-être y a-t-il un terrain, implicite, mais défini par la morale de chacun, pour pratiquer son humour. Alors oui, « on peut rire de tout »…  mais pas n’importe où.

JH

 

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2 Comments

  1. ils ont trouvé un nouvel idiot juif utile. Sinon pour ce qui est des juifs se moquant des juifs, faudrait peut-être lui parler du célèbre “humour juif” qui, effectivement, ne l’a pas attendu pour ça…

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