Le ‘’coup de Crimée’’, Poutine et les Juifs par Jean-Paul FHIMA

« Nous ne voulons pas diviser l’Ukraine ; nous n’avons pas besoin de cela.

Quant à la Crimée, elle était et demeure une terre russe » V.Poutine

(Applaudissements)

poutine

Dans un discours solennel et d’anthologie, prononcé au Kremlin le dimanche 23 mars 2014, Vladimir Poutine s’est adressé aux représentants de l’Etat russe, députés, membres du Conseil de la Fédération, délégués des régions et de la société civile. Les mots forts et le ton ferme se voulaient à la mesure de l’enjeu qui en était l’objet, c’est-à-dire l’intégration de la Crimée à la Fédération de Russie.
Sans doute, cet événement unanimement désapprouvé n’a pas été sans rappeler un autre coup de force perpétré en son temps.
En février 1948, la Tchécoslovaquie tentait de se rapprocher de l’Europe occidentale. Sous prétexte de respecter ‘’l’autodétermination’’, Staline organisa des élections truquées pour l’en empêcher. C’était ‘’le coup de Prague’’. Dans toute l’Europe de l’Est, l’autorité de Moscou s’imposait par la menace, la manipulation et la propagande.
Le ‘’coup de Crimée’’, perpétré par Vladimir Poutine ces dernières semaines, est proche de cette méthode d’intimidation. Il s’agit d’un judicieux cocktail de manœuvres que l’on peut résumer à quelques formules.

Menacer et agir vite,

protéger et soumettre,

frapper et consoler.

Les Juifs d’Ukraine se sont retrouvés malgré eux protagonistes de ce coup d’Etat à la soviétique.

  • Menacer et agir vite.

En novembre 2013, le président de l’Ukraine élu depuis 2010, Viktor Ianoukovitch, refuse de signer un accord d’association avec l’Union Européenne. Allié de Poutine et entouré d’oligarques, il a imposé la censure et un pouvoir personnel très impopulaire. Des milliers d’habitants descendent alors dans la rue et dressent des barricades sur la place Maïdan. Après des violences et 80 morts, le parlement de Kiev le destitue le 22 février 2014.
En Crimée, des manifestations réclament une intervention russe.
Dans les jours qui suivent, une armada de 80 000 soldats, 270 blindés, 140 avions de combat, est déployée dans une péninsule littéralement coupée du reste de l’Ukraine par un contrôle des ports, aéroports, routes principales et des médias (journal russe izvestia).  « L’aéroport de Belbek-Sébastopol est occupé par des forces d’invasion, armées de kalachnikov » déclare le ministre ukrainien de l’intérieur, Arsen Avakov.
Jeudi 27 février, un groupe d’hommes armés et en treillis militaire occupent le parlement régional  à Simferopol, la capitale. Un drapeau russe est hissé sur le toit du bâtiment. Le 11 mars, 78 députés sur les 81 du parlement de Crimée proclament leur indépendance et annoncent pour le 16 mars un référendum sur leur rattachement à la Russie. Cette décision est « absolument légale, conforme aux droits à l’autodétermination » ont-ils précisé,  alors même qu’Angela Merkel, parlant d’annexion, affirme que la « Russie a dérobé la Crimée à l’Ukraine » (Le monde, 11 mars 2014). Le président ukrainien par interim, Olexandre Tourtchinov qualifie de « farce » cette décision unilatérale voulue par le Kremlin.

Blindé russe en Crimée (Reuters)
Blindé russe en Crimée (Reuters)

Vraisemblablement, cette invasion n’est pas improvisée mais soigneusement préparée entre Moscou et les dirigeants régionaux sécessionnistes (sources Agoravox). Cette région de 2 millions d’habitants et de 27 000 km2 dispose d’un statut spécial politiquement incertain. République autonome au sein de l’Ukraine, la Crimée possède sa propre constitution depuis 1998. Elle a toujours manifesté des velléités d’indépendance et de rapprochement avec Moscou. Le référendum du 16 mars est l’occasion de le prouver.
Les résultats laissent dubitatif. Alors qu’il y a en Crimée 58,3% de Russes mais tout de même 24.3 % d’Ukrainiens et 12.1% de Tatars, soit au mieux 76.5% de russophones susceptibles de soutenir ce rattachement, il y aurait 96% de oui !
Dans son discours au Kremlin du 23 mars, Poutine, insistant sur la légitimité du suffrage universel, a rappelé que ce référendum est « équitable et transparent (…) Le peuple de Crimée a exprimé sa volonté de manière claire et convaincante ».
Dessin de Chappatte et Aurel (Cartoons Yahoo).
Dessin de Chappatte et Aurel (Cartoons Yahoo).

Didier Burkhalter, président de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a déclaré dans un communiqué que le référendum était contraire à la constitution ukrainienne.

  • Protéger et soumettre.

Vladimir Poutine a longuement évoqué le poids de l’histoire et l’importance de l’identité commune. Il a rappelé à quel point cette intégration est un naturel « retour de la justice et de la vérité ». Car, a-t-il précisé dans son discours, la Crimée a été injustement séparée de l’ancienne URSS par Nikita Khrouchtchev en 1954. « Naturellement, dans un Etat totalitaire, personne n’avait pris la peine de demander l’avis des citoyens ». Une fois « l’effondrement de l’Union soviétique», la Crimée, « pillée et spoliée », a été soumise à « la division arbitraire des frontières ». Il s’agissait d’une « injustice historique scandaleuse ».

La Crimée, si loin, si proche

La Crimée, si loin, si proche

Aujourd’hui, a-t-il poursuivi, face à un pays instable traversé par des crises constantes, les Russes ne peuvent plus accepter d’être coupés de leur mémoire historique. « Nous ne sommes pas simplement de proches voisins, (…) nous sommes un même peuple ».
Dans la logique implacable mais sélective de sa démonstration, le président Poutine a souligné sous une pluie ininterrompue d’applaudissements, que des millions de Russes et de russophones vivent en Ukraine et continueront à y vivre sous une protection politique, diplomatique et juridique. S’appuyant sur de récents sondages d’opinion, il s’est félicité d’un attachement réciproque à la russkaja zemlja (terre russe). « 95 % de notre peuple pensent que nous devons protéger les intérêts des Russes vivant en Crimée. (…) Près de 92 %, soit une écrasante majorité, soutiennent la réunification. »

« Nous ne pouvions pas abandonner

la Crimée et ses habitants en détresse.

Cela aurait été une trahison de notre part ». (ovation)

Avec un cynisme qui laisse pantois, il a ajouté : « nous voulons que l’Ukraine soit un pays fort, souverain et autonome (…) Nous voulons que la paix et l’harmonie règnent en Ukraine ». Outre les répliques bien senties adressées aux Occidentaux qui le menacent de sanctions, il a touché la corde sensible de son auditoire. Dans une succession de formules emphatiques mais toutes vibrantes de ‘’l’âme slave’’, il a dit en effet, vouloir préserver et faire valoir un esprit patriotique.  « Le peuple russe a démontré sa maturité et sa force par son soutien uni en faveur de ses compatriotes ».
Sous prétexte de protéger les Russes de Crimée, Poutine soumet l’Ukraine. Ce qui rappelle le sort de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud disputés à la Géorgie en 2008.
Obama a qualifié la Russie de « puissance régionale mais d’Etat faible (…) dont la peur des autres puissances et particulièrement de l’Europe est un exemple manifeste » (25 mars 2014). Gérard Fellous (expert auprès des Nations Unies) reconnaît que Vladimir Poutine cherche à former un « glacis défensif » et à transformer les pays voisins en sphère d’influence exclusive et en défensif » et à transformer les pays voisins en sphère d’influence exclusive et en « sentinelle stratégique ».

Le Kremlin
Le Kremlin

  • Frapper et consoler

Les « nationalistes, néo-nazis, russophobes et antisémites » ont eu recours en Ukraine à « la terreur, les assassinats, et les pogroms (…) La Russie pouvait-elle laisser faire ce coup d’Etat ? » En prononçant de telles phrases, Vladimir Poutine dévoile ce qui est pour lui la mécanique du pouvoir : créer, ou tout au moins utiliser, un climat d’insécurité et d’anarchie qui justifie l’usage de la force. On se souvient des attentats controversés de Moscou en 1999 possiblement organisés par le gouvernement russe lui-même pour envahir la Tchétchénie.
Le président russe vise en particulier les attaques antijuives qui se sont gravement multipliées en Ukraine. Comme d’habitude en cas de crise, les Juifs sont les boucs émissaires rêvés, responsables de tous les maux.
Les synagogues sont la cible de bombes incendiaires (23 février, sud-est de Kiev), de tags antisémites et de dégradations (Crimée, 27 février). Deux étudiants juifs ont été sauvagement agressés à Kiev (Journal Maariv, 23 février).

"Mort aux Juifs", synagogue réformiste  Ner Tamid à Simferopol (27 février 2014).
“Mort aux Juifs”, synagogue réformiste

Ner Tamid à Simferopol (27 février 2014).


« Je n’ose imaginer comment cela pourrait évoluer”, a déclaré Anatoly Gendin, représentant de la communauté juive de Crimée (source Forum Daily, 2 mars). Le grand rabbin d’Ukraine Moshe Reuven Asman parle d’une « situation catastrophique » et appelle les Juifs à quitter le pays.
Israël a accueilli et soigné neuf blessés juifs à Kiev en février, mais garde un silence prudent sur la situation. En visite à Jérusalem, un député juif ukrainien, Oleksandr Feldman, s’est déclaré déçu et exhorte l’Etat hébreu à un soutien plus net et à une position claire. La « requête n’a pas reçu de réponse » (The times of Israël, 9 mars).
Dans ce contexte tendu, Poutine se présente en ami des Juifs. On le dit proche de la communauté, notamment du grand rabbin de Russie Berel Lazar, importante figure du mouvement loubavitch, qui avait, dit-on, ses entrées privées et sans restriction aux jeux de Sotchi. Le Kremlin fait beaucoup pour créer de nouveaux centres communautaires, ouvrir de nouvelles synagogues, enrichir les archives du musée juif de Moscou.
Les actes antisémites sont infiniment moins nombreux en Russie qu’en France.
Mais certains doutent de la sincérité du président russe et l’accusent même d’opportunisme politique. En qualifiant les émeutiers de Kiev de « radicaux, imposteurs et héritiers idéologiques d’Hitler », Poutine exploite à l’évidence le regain d’antisémitisme ukrainien. D’ailleurs, dans une lettre qui lui a été adressée, d’éminentes personnalités juives d’Ukraine lui reprochent d’attiser l’instabilité et le séparatisme, les violences et la haine, pour justifier son intervention en Crimée par une lutte contre le fascisme. « C’est votre politique (…) qui menace la communauté juive » lui a-t-on écrit sans détour (France 24, 7 mars).
Toujours est-il qu’une partie des émeutiers de la place Maïdan était effectivement constituée de gros bras ultranationalistes et xénophobes, jusqu’au-boutistes et déterminés. Le slogan favori de ces hooligans est « tabassons les Zhids (Juifs) ». Leur geste de ralliement est le salut nazi. Les membres de ce Mouvement Svoboda (Liberté), une des trois composantes de l’opposition qui a chassé Ianoukovitch et qui étend son influence dans la population, ont causé un certain malaise dans la presse internationale au moment des événements de Kiev.
La crise de Crimée est « la pire crise depuis la fin de la guerre froide » a-t-on entendu ici et là. C’est vrai, puisque Poutine s’en inspire. Mais les motifs ethniques et nationalistes font aussi penser à la guerre en ex-Yougoslavie. Russes orthodoxes, Tatars musulmans, Ukrainiens catholiques ou uniates, ont beaucoup de raisons de ne pas s’entendre. Ce bout d’Europe de confins et de frontières mal définies est une poudrière qu’il est urgent de contenir.
Alors que Poutine se félicite des performances de son armée, la menace d’un séparatisme en chaîne se profile. Le président déchu, Viktor Ianoukovitch, a appelé toute l’Ukraine à faire un référendum. Ce qui conduirait immanquablement à une partition chaotique.
Mais les émeutiers de Maïdan ne sont pas, tous, des démocrates. Les nazillons de Svoboda sont très dangereux et menacent aussi l’avenir.
En Ukraine, la dialectique simpliste des ‘’bons d’un côté, méchants de l’autre’’ ne tient pas.
La seule triste morale de ces temps courts de l’histoire nous rappelle que lorsqu’il y a des coups à prendre, ce sont encore les Juifs qui les reçoivent.
Jean-Paul Fhima
JPF-Signa

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1 Comment

  1. Tout compte faire reconnaissons que Poutine protégé mieux les juifs que les européens qui triche dans la protection des juifs. D’ailleurs c’est eux financent les antisémites en pas ports,en finance et en équipements. De toutes les façon La Russie est lieu vu dans le monde aujourd’hui que l’Europe et l’Amérique d’Obama. A travers les médias, les réseau sociaux Poutine emporte 85% des avis d’appréciations dans le monde. Vive Poutine pour que vivre un monde juste

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