Liran Wizman : nouveau magnat de l’hôtellerie

A 41 ans, il a déjà bâti un empire. Avocat et économiste de formation, il dirige aujourd’hui les Sir Hotels, escales urbaines branchées qui ont ouvert deux nouvelles adresses, à Amsterdam et Ibiza, en 2017. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg financier et immobilier que Liran Wizman orchestre avec maestria. Rencontre.

Le businessman Liran Wizman nous rejoint chez Mr Porter, la brasserie chic du 5-étoiles, avec vue panoramique sur le palais royal d’Amsterdam. Il arrive en retard, très star en jean élimé et col roulé sous une veste bleu marine, s’excuse, puis ôte ses lunettes de soleil irisées avant de décliner sa bio. Non, il n’est pas issu d’un milieu ultrafortuné. Sa mère est artiste, son père politicien – on apprend très vite que celui-ci naviguait aussi un peu dans l’immobilier. Liran grandit à Tel Aviv, devient avocat et économiste en 1997, tout en faisant ses premiers pas dans le monde des affaires. Il n’a guère plus de 20 ans quand la communauté juive, très implantée à Amsterdam, lui tend une perche, qu’il résume ainsi : « J’avais gagné un peu d’argent et, avec d’autres investisseurs, on a mis 3 millions d’euros sur la table pour acheter un premier immeuble que nous avons transformé en hôtel. On l’a géré nous-mêmes, en apprenant les bases du métier. L’immobilier prenait vite de la valeur à cette époque, ce dont nous avons profité. J’ai revendu, rassemblé d’autres investisseurs, et nous avons acheté plusieurs hôtels. »

La rentabilité au cœur du concept pour Liran Wizman

Et de rachat en revente savamment orchestrés, ce pro du LBO (leveraged buy out, ou achat à effet de levier) construit un petit empire. Difficile de savoir précisément où se situe le curseur, car « le groupe n’aime pas communiquer sur son chiffre d’affaires ». On sait seulement qu’environ 600 personnes sont salariées du groupe en 2017, que trois hôtels ont été inaugurés cette année et que deux projets beaucoup plus ambitieux attendent dans les tuyaux. Qu’on puisse obtenir de tels succès sans passer par les écoles suisses ne l’étonne pas. « Les meilleurs hôteliers du monde viennent d’autres horizons. Ian Shrager était avocat, Adrian Zecha, journaliste, André Balazs, dans les biotechnologies. Moi, je n’ai rien inventé. J’essaie juste de créer des hôtels innovants, des lieux vivants, imprégnés de culture locale, intégrés dans le rythme d’un quartier. » Modeste avec ça. La rentabilité est aussi au cœur du concept – pas question d’ouvrir un hôtel de 20 chambres, comme l’Aman de Venise, où Liran Wizman vient de séjourner avec sa femme et leurs trois enfants. La prise de risque ? Elle n’existe pas, assure-t-il, quand on connaît le métier et qu’on étudie bien chaque dossier. En l’écoutant, tout paraît simple. Résumons.

La success-story commence officiellement en 2001, avec la création du Grand City Hotel Group, société de gestion hôtelière qui manage aujourd’hui 120 hôtels en Europe, soit plus de 15 000 lits (et qui possède la moitié des murs du portfolio). Cette entreprise gère les coulisses de l’activité hôtelière, avec un volet de conseil en gestion et repositionnement pour les structures en difficulté, et un autre qui prépare le terrain pour diverses enseignes spécialisées en management opérationnel (Starwood, Marriott, Radisson, Holiday Inn …). En 2004, Liran Wizman s’associe à Yossi Eliyahoo, un copain designer de Tel Aviv, pour créer Entourage, une nouvelle branche dédiée à la restauration. « Ce sont deux métiers, il fallait séparer les chambres des restaurants », résume Liran, en laissant l’incroyable steak de bœuf qui vient d’arriver sur la table faire diversion – le restaurant Mr Porter est l’une des sept enseignes estampillées Entourage, le flagship bistronomique qui rassemble les fans de bonne cuisine méditerranéenne. Le concept est au partage des assiettes, avec cuisine ouverte et chef hipster barbu (lui aussi venu de Tel Aviv). Dans l’hôtel, deux autres restaurants (The Duchess et The Butcher) proposent d’autres ambiances – clubbing élégant ou steak-house branché – pour mélanger au maximum la clientèle de voyageurs et d’habitants du quartier.

Des cabinets créatifs à l’esprit décalé

Après les restaurants, Liran Wizman a lancé ses propres marques d’hôtels. En 2011, sa troisième société, Europe Hotels Private Collection (EHPC) vient chapeauter deux nouveaux portfolios : Max Brown (quatre adresses 2-étoiles), puis les Sir Hotels (cinq adresses 4-étoiles, membres des Design Hotels). Il confie la réalisation des ambiances et des décors à des cabinets créatifs à l’esprit décalé, issus du clubbing, comme Baranowitz+Kronenberg ou Icrave. « Vous comprendrez ma vision en allant visiter Sir Adam, que j’ai ouvert à Amsterdam en février dernier. Je l’ai installé sur une ancienne friche en pleine mutation, dans un immeuble de bureaux des années 70. » Effectivement, le pari était osé. Du Sir Adam Hotel, on voit tout d’abord un building cubique sans âme, qu’approche le ferry depuis la gare centrale.

C’est la tour A’DAM, qui abritait les anciens locaux de Shell. Sir Adam partage désormais les lieux avec des sociétés de production de musique. Le lobby met d’emblée en joie : béton brut, enceintes géantes et tapis d’Orient délavés accueillent des coins salons, un billard et un bar, où adultes et enfants paressent ou travaillent en écoutant un air de Ziggy Stardust. Les réceptionnistes de l’hôtel, lookés comme des mannequins Benetton, officient derrière un grand comptoir où foisonnent plantes et jolis bibelots, avant de vous mener à l’une des 108 chambres. « Je vous montre la seule de libre aujourd’hui, on est presque tous les jours complets ! » sourit Nook, qui nous emmène découvrir les ascenseurs. La montée se fait en mode zen, dans un cube blanc fluo, et la descente sous les éclats d’une boule disco – six programmes conduisent à travers les étages. La chambre est petite, avec un air de déjà-vu – murs bruts de décoffrage –, mais elle ruse joliment avec l’espace grâce à une immense baie vitrée qui offre une vue plongeante sur la ville à 180 degrés. La salle de bains décloisonnée occupe l’espace entre l’entrée et le lit, surplombé de cadres photo d’Iggy Pop et de David Bowie. Une platine pour disques vinyle et une guitare électrique, mis à disposition, jouent à fond le thème musical. Quelques touches inhabituelles – une miniplante verte dans un pot en laiton, des livres qui ont l’air d’avoir été lus – donnent l’impression d’être chez soi. Joyeux et surprenant, le design pop est signé du studio new-yorkais Icrave. La découverte nous mène ensuite dans l’un des trois restaurants de l’hôtel, tous pleins à l’heure du déjeuner, ou au toit-terrasse et ses balançoires qui s’élancent au-dessus du vide. Alentour, ce ne sont que des chantiers, et seul un musée du cinéma aux lignes ultramodernes est sorti de terre dans ce quartier d’Amsterdam-Nord. L’an prochain, à Berlin, le nouveau Sir Hotel fera plus grand, plus fort, disait Liran Wizman. On aurait tendance à le croire.

Nathalie Chahine

Source thegoodlife

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