Quand les élus locaux flirtent avec l'islam radical

Isabelle Kersimon est journaliste. Elle a coécrit, avec Jean-Christophe Moreau, Islamophobie: la contre-enquête (Plein Jour, 288p, 19€, octobre 2014).
Ancienne vice-présidente du MoDem Val-d’Oise, Laurence Marchand-Taillade est secrétaire nationale du PRG en charge des libertés individuelles et des droits nouveaux et présidente de l’Observatoire de la Laïcité du Val d’Oise.
témoignage
Isabelle KERSIMON. – Jaurès écrivait dans son Discours à la jeunesse que le courage «c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho (…) aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques». Constatant que votre département a été le plus touché, en Île-de-France, par les perquisitions, les arrestations et les mises sous contrôle judiciaire, vous vous êtes décidée à parler. Revenons d’abord sur l’affaire du Salon musulman de Pontoise.
Laurence MARCHAND-TAILLADE. – L’affaire commence avec la parution de votre article le 10 septembre. C’est en le découvrant que j’ai appris la tenue de ce salon et découvert la liste des invités. L’Observatoire n’intervient que lorsqu’il est saisi par des personnes locales, élus ou habitants. Personne n’était venu nous signaler le problème. Dans la nuit, j’ai consulté les membres du bureau. Le lendemain matin, nous avons saisi le préfet pour interdire la tribune aux imams salafistes. Pas de réponse. Les pouvoirs publics avaient néanmoins conscience du danger, car ils ont dépêché un agent des renseignements généraux pour assurer ma protection. Je suis allée dès le samedi au salon.

” J’étais la seule femme à n’être pas voilée et j’ai provoqué un mini-scandale en m’asseyant du côté des hommes dans la salle, ce qui m’a valu des remontrances de la part des responsables de l’événement “.

J’étais la seule femme à n’être pas voilée et j’ai provoqué un mini-scandale en m’asseyant du côté des hommes dans la salle, ce qui m’a valu des remontrances de la part des responsables de l’événement. Nous avions organisé une manifestation pour le second jour, le dimanche, à l’heure où intervenait l’imam qui nous semblait le plus dangereux. J’avais alerté la presse. J’avais aussi alerté plusieurs élus locaux qui ont préféré participer, à quelques kilomètres de là, à des fêtes communales. C’est assez révélateur de ce que les politiques, de gauche comme de droite, pensent des questions de sectarisme, de communautarisation. Il y a un réel problème de priorisation des enjeux.
Pour notre observatoire, cette affaire ne s’arrête pas à une simple dénonciation des imams salafistes sur les réseaux sociaux. J’ai interpellé le Premier ministre, l’Intérieur, l’Observatoire national de la laïcité et la Mivilude. Bernard Cazeneuve a saisi le juge des libertés. Nous savons que, suite aux attentats, la mosquée et le domicile de «l’imam Google» ont été perquisitionnés, qu’il s’est excusé et qu’il a supprimé des vidéos contenant des prêches inadmissibles. Mais Jean-Louis Bianco, dans la réponse qu’il nous a faite, avait estimé que ces propos sur les femmes, par exemple, n’étaient pas condamnables. Or le sexisme est condamnable lorsqu’il est exprimé publiquement, d’autant quand il atteint les scores d’écoute de M. Houdeyfa et consorts! J’ai donc mis en ligne une pétition le 26 novembre dans laquelle notre observatoire reprend les propos condamnables des trois imams du Salon. Nous estimons qu’en application de la loi de 1905, de l’aliéna 7 de la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse et de la Convention européenne des Droits de l’homme, des condamnations doivent être prononcées. On ne peut pas faire un deux poids, deux mesures, par rapport à Dieudonné, par exemple. Un seul élu a soutenu, relayé et signé cette pétition. Il est UDI.
L’autre action que nous menons concerne la poursuite des organisateurs de ce salon. En septembre, nous avions dénoncé l’association Barakacity, qui a aussi été perquisitionnée suite aux attentats. Mais aucun élu du Val-d’Oise ne nous avait soutenus dans cette démarche.
Jean-Louis Bianco connaît quelques revers avec ses collègues de l’Observatoire national de la laïcité. Il semble plus affectionner de travailler avec quelqu’un comme Tariq Ramadan ou avec des associations affiliées aux Frères musulmans qu’avec d’authentiques républicains laïques. Quels sont vos rapports avec cette institution ?
Étant PRG, je peux parler en toute quiétude, et j’en ai besoin. Si tant de Français sont dégoutés de la politique, c’est à cause des mensonges et des compromissions de leurs élus. J’ai créé l’Observatoire de la laïcité du Val-d’Oise en 2010 et j’en ai parrainé trois autres (Essonne, Haute-Garonne, Vendée). En 2011, j’ai été sollicitée pour créer un observatoire régional, organe officiel qui aurait été une instance consultative pour assurer une veille sur la laïcité et les dérives communautaires. Le projet a été voté. Sur le principe, tout le monde était d’accord. Mais on n’a jamais débloqué les fonds nécessaires et jamais constitué l’instance sur le plan humain. On a tout laissé dans les cartons pour ne pas gêner les élus sur le terrain dans leurs arrangements. Personne n’avait intérêt à ce que cela existe. Le groupe PRG s’est battu seul. Ni à gauche ni à droite, les élus n’ont bougé, même ceux qui prétendent aujourd’hui avoir toujours œuvré pour défendre la laïcité et les valeurs républicaines dans la région.

” Nicolas Sarkozy n’a pas cessé de briser la laïcité et, contrairement à ce que l’on pouvait penser, le PS n’a rien fait pour la restaurer “.

L’idée de départ était la création d’un observatoire national. Nous en appelions à la mise sur pied d’une autorité indépendante et compétente, qui, de ce fait, ne devait pas se placer sous l’autorité du Premier ministre. Cette demande a été faite sous l’égide de l’observatoire international de la laïcité et portée auprès des Premiers ministres qui se sont succédé depuis 2010. Elle n’a jamais abouti. Celui que préside aujourd’hui Jean-Louis Bianco est donc notre idée mise en application en 2012. Nicolas Sarkozy n’a pas cessé de briser la laïcité et, contrairement à ce que l’on pouvait penser, le PS n’a rien fait pour la restaurer.
En juillet dernier, M. Bianco m’a demandé de débaptiser l’observatoire de la laïcité du Val d’Oise, prétextant que ce dernier avait des prises de position différentes des siennes (itw radio France bleu du 22/07) et que cela entraînait une confusion. En effet, nos conceptions de la laïcité ne sont pas les mêmes! Par exemple, les propositions de l’Observatoire national de la laïcité suite aux attentats de janvier ne sont pas du tout en cohérence avec la loi de 1905. Pour les mettre en application, il faudrait retoquer cette loi et donc mettre la laïcité en danger. Au sein de cette instance, J.-L. Bianco est isolé, et soutenu uniquement par Nicolas Cadène, qu’il a recruté.
Incessamment, gauche comme droite tentent de retoquer la loi pour avoir plus de latitude et répondre aux demandes des communautés religieuses dont ils espèrent tirer profit.
Vous êtes dans l’action, sur le terrain depuis dix ans, au long cours. Vous dénoncez avec précision ces connivences entre certains élus et un électorat confessionnel. C’est courageux. Vous vous battez aussi du côté d’Argenteuil.
Lors de ma participation à l’enquête d’Envoyé Spécial diffusée en mai dernier sur France 2, j’ai longuement expliqué de quelle manière les filières salafistes ont été installées et pérénisées à Argenteuil par l’ancien maire de la ville, Philippe Doucet (PS). J’ai travaillé trois mois avec la journaliste. Le reportage est édifiant. M. Doucet est rapporteur sur les questions de laïcité à l’Assemblée nationale. Il est membre du Parti socialiste. En 2012, il a installé un Conseil du culte à Argenteuil, que nous avons fait casser devant le tribunal administratif. Il a donc créé un «Conseil du vivre-ensemble». L’observatoire de la laïcité du Val-d’Oise devait y siéger pour garantir que ce conseil ne se substitue pas aux élus du conseil municipal. Or, nous n’avons jamais été invités. Dans les faits, ce «Conseil du vivre-ensemble» est donc bien un Conseil du culte. Ses réunions sont privées. Ses résultats sont occultes. Nous n’avons pas connaissance de la teneur et de la justification des emplois qui y ont été créés. Le maire actuel d’Argenteuil (LR) a constaté une dette d’un montant de 90 000 euros dus à la ville par l’association cultuelle salafiste…
M. Doucet, qui est également député et président de la communauté d’agglomération, n’a pas non plus – comme M. Bianco – la même conception que nous de la laïcité. Il a fait campagne dans une mosquée, obtenant des votes contre des promesses relatives au culte. Il n’est pas le seul, nous le savons bien. Il a déshabillé la loi Laborde sur les modes de garde pour enfants. Et nous savons pertinemment que, dans le Val-d’Oise, les femmes voilées sont des militantes très actives. Leur voilement est très politique. Ce sont elles qui montent au front pour séduire les élus au nom de l’enfance et des mères. Il organise ce mardi 1er décembre une conférence-débat avec… Jean-Louis Bianco.
Son objectif est d’imposer sa «charte de la laïcité» au détriment de la loi de 1905. Nous avons alerté tous les groupes politiques. Seuls les Radicaux de gauche m’ont répondu qu’ils ne voteraient pas dans son sens. Là encore, du côté de tous les autres élus, silence radio.
Vous êtes très seuls face à cette sectorisation de la «communauté républicaine» en segments électoraux… C’est un peu déprimant.
C’est en effet déprimant et inquiétant, et nous manquons de soutiens. Joël Motyl, élu à Cergy, vice-président de la communauté d’agglomération en charge de la jeunesse, a ainsi déclaré le 20 janvier 2015 à la radio RGB qu’il faut gérer la ville via les associations. Encore une fois, on gomme les élus légitimes pour des associations choisies par le cabinet du maire sur des critères princiers, associations qui seront évidemment financées par l’argent public. La société se délite en communautarisation et racialisation des citoyens, sous l’impulsion de tels agissements. Le conseil municipal de Cergy a ainsi invité Rokhaya Diallo à parler du vivre-ensemble le 14 novembre, avec Pascal Boniface. Cette tribune offerte à deux ennemis déclarés de la laïcité n’a pas eu lieu, étant donné les événements. Mais quand on sait que cette militante a accusé les journalistes de Charlie d’être des islamophobes responsables des problèmes…
Les élus locaux n’ont aucune conscience réelle des dérives sectaires dans le Val-d’Oise, parce qu’ils sont plus occupés à faire campagne, à faire leur promotion, qu’à œuvrer sur le terrain. Les citoyens doivent reprendre la main sur notre pays, et ne pas se laisser abuser par des déclarations d’intention si nous voulons faire renaître la politique au sens noble.
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/11/30/31001-20151130ARTFIG00247-temoignage-quand-les-elus-locaux-flirtent-avec-l-islam-radical.php

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