Ginette Kolinka, survivante de la Shoah : « J’ai laissé ma sentimentalité à Auschwitz »

Dans le cadre d’un projet d’étude, 150 lycéens normands sont venus écouter à Caen (Calvados), jeudi 20 décembre 2018, le témoignage de Ginette Kolinka, rescapée d’Auschwitz.

Ginette Kolinka accompagnera, en janvier 2019, 150 lycéens normands lors d’un voyage d’étude à Auschwitz (Pologne). (©Jérémy BONNET)

« Elle m’embêtait, cette morte, sa tête n’arrêtait pas de me tomber dessus. Mais je n’ai prévenu personne, car si on nous donnait enfin à manger, je pourrais avoir sa part en disant qu’elle était toujours vivante. Voilà ce qu’était devenu Ginette. Voilà ce que les camps avaient fait de moi. »

C’est par cette anecdote vieille de plus de 70 ans que Ginette Kolinka, 94 ans, déportée et rescapée du camp d’Auschwitz, a clôturé son témoignage, jeudi 20 décembre 2018, devant un attentif auditoire de 150 lycéens au Mémorial de Caen (Calvados).

Un récit au présent

Si la survivante accepte de prendre le micro et de raconter l’impensable, c’est dans le cadre d’un dispositif d’éducation mémorielle initié en 2010 par la Région ex-Basse-Normandie. Tout au long de l’année scolaire, les jeunes, sous la responsabilité de leurs enseignants, mènent un projet pédagogique sur le thème de la Shoah et se rendront en Pologne, début 2019. Point d’arrivée ? Auschwitz.

Retour à Ginette. Avec un bagout formidable, elle témoigne, dans un récit au présent, d’une période sombre que la folie nazie a gravée dans l’histoire. Elle réussit même l’exploit de faire rire son auditoire, en confiant parfois le grotesque de certaines situations.

Maintenant, quand je vais au supermarché, il y a du papier toilette avec des couleurs, différentes épaisseurs, avec des écritures et même des dessins. À chaque fois, je pense à ces 15 mois où nous n’avions pas le moindre confetti pour rester digne. Je peux vous garantir que quand je vais chez des amis et qu’il n’y a pas de papier, je suis colère !

De la candeur à la terreur

Ginette Kolinka offre un témoignage glaçant, figé dans la candeur de l’adolescence. Après avoir réussi à fuir les premières rafles avec sa famille, entre faussaires, nouvelles identités et vie sur la route, tous finissent par se faire prendre le 13 mars 1944.

Il y avait trois personnes. Y en a un, je ne sais toujours pas qui c’était. Mais les deux autres, avec leurs chapeaux et leurs longues vestes, je savais. Des hommes de la Gestapo. Des hommes tellement fiers de savoir qu’on a peur d’eux.

Ce jour de mars, Ginette Kolinka à 19 ans et vient d’être arrêtée avec son père, son petit-frère et son neveu. Une dénonciation. Direction la prison d’Avignon, puis celles des Baumettes à Marseille, avant de rejoindre Drancy, en Seine-Saint-Denis. « Je ne le savais pas encore, mais c’était l’antichambre de la mort. » Et pour cause, la rescapée se souvient :

On allait se rendre dans un camp de travail. Moi, je n’avais pas peur qu’on me fasse travailler, je pouvais tenir le coup. Pour moi, le pire du monde, c’était de bosser en usine ou dans les champs.

Aux mains de l’armée allemande

À Drancy, Ginette se souvient de son bénévolat d’éplucheuse de légumes, de spectacles organisés par des musiciens certains soirs. « Comment je pouvais imaginer ce qui allait arriver ? » Au bout d’un mois, c’est le départ.

Là, on a fait la connaissance de l’armée allemande. C’était autre chose ! Le premier mot que j’ai appris dans cette langue, c’est « schnell ». Il fallait tout faire vite, tout le temps, tous les jours. On recevait une volée pour un oui ou pour un non.

Après plusieurs jours de trajets dans un wagon à marchandises, « avec un seul seau pour les besoins naturels », c’est l’arrivée. « Les portes se sont ouvertes, il y avait de la lumière, de l’air frais. J’étais éblouie. C’était agréable. Saisissant. Ça a duré 1/4 de seconde, et les hurlements ont suivi. »

D’un coup d’œil, Ginette Kolinka est « évaluée » par les officiers en charge de la sélection. Plutôt gaillarde, elle est mise du bon côté. Son père et son frère, plus vieux et trop jeune pour une longue marche en direction du camp, se voient proposer un camion pour éviter le trajet à pied. Ils acceptent volontiers. Ils n’en reviendront jamais…

Ginette, qui affirme avoir perdu sa sentimentalité dans les camps, n’est plus émue lorsqu’elle raconte ce témoignage. Enfin si, une fois, il y a plusieurs années, elle a vacillé.

Je suis, un jour, retournée dans les camps. La guide nous a indiqué le processus de mort. Les pastilles de Zyklon B. Sa toxicité au contact de l’air ambiant. Là, j’entends qu’il fallait environ 30 minutes pour qu’il agisse. Pour qu’il tue. J’ai toujours pensé que c’était « juste » trois minutes. Vous imaginez ce que ça représente, une demi-heure d’agonie ?

Jamais tranquille

Après avoir aperçu les barbelés, scruté les nombreux miradors, avoir tenté de compter le nombre interminable de baraquements, Ginette Kolinka pose une question simple : quand pourra-t-elle revoir ses proches ? La question, posée à une femme « que l’horreur a rendue insensible, presque contente de nous répondre une chose que nous n’avons pas crue. Elle nous montre les cheminées, nous dit de constater l’odeur dans le camp. Cette fumée, c’était nos familles, des gens assassinés. » Rapidement, la vérité s’impose alors. Dramatique.

Dans le camp, la rescapée doit faire face à une autre difficulté, en plus de la faim, du froid, du manque d’hygiène et de la maladie. Il faut désormais composer avec la méchanceté gratuite.

J’ai vu une kapo, l’une de ces femmes également déportées mais qui avaient le rôle de nous faire marcher droit. Elles étaient méchantes, folles. J’ai un jour vu l’une d’elles s’acharner sur une pauvre fille, la rouant de coups jusqu’au sang. Des coups dans la tête, le ventre. Elle s’acharnait. J’ai toujours fait en sorte de ne pas attirer l’attention pour que cela ne m’arrive jamais.

En 1945, sans vraiment s’en rendre compte, c’est la libération. Parquée dans un train, avec la tête de cette « morte sur mon épaule », elle voit de nouveau les portes s’ouvrir après un trajet de huit jours trop éprouvant pour nombre de ses camarades de voyage.

Cette fois, quand l’air froid pénètre dans le wagon, pas de cri, ni de hurlement, pas de « schnell ». Mais des secours, bienveillants, qui s’occupent d’elle. Le 6 juin 1945, elle retrouve alors sa mère et sa sœur dans leur appartement parisien.

Je n’avais plus de larmes, plus rien. J’étais tellement fatiguée que je n’ai pas pleuré en retrouvant ma mère. Elle voulait me rassurer en me disant qu’on irait, le lendemain, chercher à avoir des nouvelles de papa et Gilbert (son petit frère). À ce moment, je suis devenu la fille qui apprend à sa mère que son mari et son fils sont morts, qu’ils ne reviendront jamais…

 

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Jeremy Bonnet, actu.fr

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2 Comments

  1. Heureusement qu il y a encore des rescapés . Dans quelques années, il n y aura plus que des livres pour raconter la Shoah.
    J ai trouvé une photo de ma grand-mère, côté maman, dans les archives Du USHMM à NewYork , en tapant son nom sur mon ordi. Quelle surprise!
    Il y avait même une copie de la liste de déportation mentionnant son nom , date de naissance et adresse en Belgique.
    Je ne demande comment cette photo est parvenue à “ survivre “ la Shoah.
    Ma mère m avait parlé souvent du jour où elle s est enfuie quand les SS sont venus . J ai la “ chance” d avoir quelqu’un dans ma famille qui a connu cette folie .
    Elle vit maintenant en Allemagne. Je n ai jamais compris comment les juifs sont capables de vivre dans un pays dont les ancêtres ont liquidé des millions de juifs ( pour les remplacer par des milliers de muzz( merci Mme Merkel!!)

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