Elie Buzyn, rescapé d'Auschwitz habité par le devoir du témoin

Longtemps, comme beaucoup de rescapés des camps, il s’est tu, n’a pas voulu revoir Auschwitz. Et puis Elie Buzyn, 86 ans aujourd’hui, s’est senti investi du devoir de transmettre la mémoire de la Shoah, auprès de jeunes qu’il appelle à être “des témoins des témoins”.
Ce petit homme affable reçoit l’AFP dans son appartement parisien, à quelques jours du 70e anniversaire de la libération des camps nazis, qu’il vivra mardi à Bruxelles à l’invitation de la Commission européenne.
Elie Buzyn sourit devant “l’empressement” des médias autour de ces commémorations. “Tout le monde est sûr qu’aux 80 ans, il n’y aura plus de survivants…”, glisse-t-il d’un œil vif.
Avec ses camarades accueillis en France au retour des camps, “épaves humaines dont on disait qu’elles allaient mettre vingt ans à mourir”, il s’était fait une promesse: “tenir tant qu’on peut”.
Il y est parvenu au-delà de toute espérance, après avoir vécu plusieurs vies, survécu à plusieurs morts. D’abord celle de son frère Avram, fusillé en mars 1940 par des nazis voulant dissuader toute tentative de fuite du ghetto juif de Lodz (Pologne).
“En 1944, on savait vaguement que l’Armée soviétique arrivait par l’Est. Il y avait un petit espoir que ça se termine”, dit-il. “On nous a dit qu’on allait dans un autre camp de travail, où les conditions seraient bien meilleures”.
Un voyage en wagons à bestiaux dans la chaleur de l’été 1944, puis l’arrivée sur les quais de tri de Birkenau (Auschwitz-II), le camp d’extermination distant de trois kilomètres d’Auschwitz-I.
“Quelques déportés nous recevaient. Je leur dois la survie. J’avais 15 ans. Ils m’ont lancé: +Dis que tu as 17-18 ans !+. Le SS m’a regardé, visiblement il ne m’a pas cru. Il m’a donné un coup de poing dans la poitrine pour éprouver ma résistance, je ne suis pas tombé”. Bon pour le travail. Un peu plus tard, “en 30 secondes, j’ai su ce qu’il s’était passé; on m’a dit +tes parents sont déjà probablement dans la fumée de la cheminée des fours crématoires+”.

L’EUROPE ÉTAIT SOUILLÉE

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Elie Buzyn

Le 18 janvier 1945, devant la progression de l’Armée rouge, on lui intime d’évacuer Auschwitz par une de ces “marches de la mort” où tout signe de défaillance est puni d’une balle dans la nuque.
Trois jours et deux nuits, puis l’entassement dans un train rempli de neige. Direction Buchenwald. Elie y demeure jusqu’en avril 1945 parmi 900 orphelins. “Nous qui venions d’Europe de l’Est ne voulions pas retourner chez nous. Nous savions que nous n’y avions plus rien”.
Il lui reste en revanche un peu de famille en France, qu’il rejoint. “Pour mon oncle”, chirurgien à l’hôpital Rotschild à Paris, “je pouvais entrer dans une vie normale. Je n’étais pas de cet avis. L’Europe était souillée pour moi”.
Il en fera des détours avant de revenir s’y installer: sept ans dans une Palestine devenant Israël, un nouveau passage dans l’Hexagone sans succès dans ses études, deux ans dans un collège d’Oran (Algérie) puis, en 1956, un retour définitif en France, où il devient chirurgien.
Elie Buzyn fait enlever, chirurgicalement justement, son tatouage de déporté, tente d’oublier. “Vous ne pouvez pas vivre si vous vivez avec ça tous les jours”. Et puis un demi-siècle après le génocide, son fils, 21 ans, lui dit: “Je veux aller à Auschwitz voir où mes grands-parents paternels ont disparu. Je comprends que ce soit trop dur pour toi. J’irai seul, avec un groupe”. “Dans la minute je lui ai dit: +si quelqu’un doit t’accompagner, c’est moi+”, confie le Dr Buzyn.
Alors c’est devenu pour lui “un devoir” que de témoigner dans les écoles ou encore à Auschwitz-Birkenau avec les groupes conduits chaque année par Haïm Korsia, devenu grand rabbin de France en 2014.
Le Dr Buzyn y a emmené ses enfants, et déjà quatre de ses huit petits-enfants âgés de plus de quinze ans. “Je ne les accompagnerai pas tous”, souffle-t-il devant l’âge qui avance.
Mais il est convaincu que tous ceux qu’il a aidés à approcher l’horreur des camps “vont devenir à leur tour des témoins. Des témoins des témoins”.
Benoit Fauchet

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