Simon Dahan (AS Menora) – “Le foot est un vecteur pour réunir les gens”

Rendez-vous sur la rive gauche du Rhin, en Alsace, du côté de Strasbourg. Ici vit une sorte d’ASNI, Association Sportive Non Identifiée. C’est bien l’AS Menora, un des seuls clubs exprimant à lui seul la capacité du football de réunir les gens et ce, peu importe leurs origines ou leurs confessions. Son président, le Docteur Simon Dahan, nous a accordé un entretien enrichissant à ce sujet.
httpv://youtu.be/7xHZyJz8vvw
 
Bonjour Docteur Dahan, pour la première question faisons simple, comment est né l’AS Menora ?

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Docteur Simon Dahan,

L’AS Menora est né est 1963 à Strasbourg. Dans cette ville, sont arrivées de nombreuses familles venant du Maroc et d’Algérie à la fin du protectorat français au Maroc et de la Guerre d’Algérie, accueillies par la communauté juive de Strasbourg avec un grand élan de solidarité puisqu’elle s’était chargée de trouver du travail et un logement à ces familles.
Il y a deux grands précurseurs dans la création du club : monsieur Jean Kahn, qui a eu une trajectoire politique nationale, et un philosophe : André Neher, qui avait eu la lumineuse idée de dire qu’il était bien de recueillir ces familles mais qu’il ne fallait pas pour autant laisser les enfants traîner dehors et qu’il fallait les occuper, en partie par le sport. C’est ainsi que l’AS Menora a été créé, pour accueillir tous ces enfants des familles nombreuses arrivées du Maroc et d’Algérie. Aussi, comme l’ambiance à l’intérieur du club dupliquait l’ambiance qui régnait dans ces pays, très rapidement, des gens de confession non-juive sont venus dans ce club et l’ont animé de la même façon. Ce fut dès le départ un lieu de rendez-vous de la population strasbourgeoise juive d’origine Pied-Noir ainsi que les autres Pieds-Noirs ou non.
Sur le plan du football, à quel échelon évolue le club aujourd’hui ?
Au niveau du football nous avons trois équipes seniors en ligue d’Alsace : une en promotion, une en troisième division, une en promotion d’honneur et toutes les équipes de jeunes en moins de 18 ans. Nous sommes aussi un club omnisports puisqu’il y a du basket avec une équipe senior masculin et une autre féminine en plus des catégories jeunes.
Aujourd’hui, avez-vous une politique globale pour l’AS Menora ?
Initialement, nous voulons bien sûr faire du sport. Mais quand, comment et avec qui c’est la philosophie du club. Notre philosophie est justement que ce club soit ouvert à tout le monde, sans aucune discrimination, tous ceux qui veulent jouer au foot ou au basket seront les bienvenus chez nous. La tradition se perpétue, c’est bien pour cela que dans nos équipes évoluent tous les dimanches ou dans la semaine à l’entraînement des juifs, des musulmans et des personnes d’autres confessions ou horizons. C’est comme ça que cela a commencé et c’est l’état du club actuellement.
Avez-vous rencontré certaines oppositions à ce projet ?
Il n’y a jamais eu de réelle opposition car personne ne pouvait nous imposer de faire autrement. Mais au début dans les années 1960 quand le club a été créé, il a beaucoup souffert d’un antisémitisme local, peut-être dû à l’histoire de la région et une certaine mentalité, mais cela n’a pas empêché les gens de nous rejoindre. Maintenant, l’antisémitisme autour du club s’est nettement calmé mais le problème qui a pu ressurgir est la transposition du conflit du Moyen-Orient en France.
Quand tout y est calme ça se passe très bien, quand c’est chaud ça se passe également très bien mais il faut savoir qu’il y a une dizaine d’années, à l’occasion de la première Intifada, trois joueurs du club présents depuis deux mois ont décidé de quitter l’AS Menora par solidarité avec ce qui se passait en Palestine. Cela a été le seul accroc sur cinquante ans de vie du club, je ne pense pas que ce soit très méchant, d’autant plus que ces gens étaient avec nous depuis deux mois donc ne connaissaient pas le club et n’avaient encore rien vécu avec nous. Ils sont partis, ça s’est arrêté là pour nous même si ça avait fait un grand buzz alors que finalement il ne s’est rien passé d’extraordinaire. Pour ma part, en plaisantant, que ce soit un black qui fasse une passe à un feuj ou l’inverse du moment que le ballon arrive je suis satisfait.

“Voilà notre objectif :

que les gens se rencontrent“

Et aujourd’hui, sur un plan local, comment êtes-vous vu par la population ou même les élus ?
Nous sommes bien vus par les élus, on ne peut pas témoigner du contraire puisqu’avec l’arrivée du tram dans le quartier du club le terrain a été entièrement refait, remplacé par un terrain synthétique, parce qu’il avait dû être détruit à l’époque. Cette arrivée du tram a aussi permis de remplacer nos installations par un magnifique complexe, en plus du hall de basket refait. On peut dire que les politiques accordent de l’importance à notre club. Au niveau de la région et du sport, il est évident que tout le monde sait que l’AS Menora est initialement le club de la communauté juive mais qui cherche à faire jouer des gens d’origines et de confessions différentes, c’est connu par les différents pratiquants de la région et les différentes ligues évidemment.
Avez-vous l’impression d’être délaissé par les médias qui préfèrent insister sur les mauvais points d’une revendication d’une identité au sein du sport ?
Quand je suis convaincu de quelque chose, je le fais. Je veux amener une pierre à l’édifice d’une société unie qui veut se nourrir des différences des uns ou des autres, c’est comme cela que je conçois la vie dans la société. Après, que cela puisse plaire ou non aux médias ce n’est vraiment pas mon problème. Les journalistes veulent toujours chercher ce qui accroche, il faut être tout de même prudent. Nous ne faisons pas ça pour que l’on parle de nous, nous faisons ça car nous sommes persuadés que la société doit vivre comme cela et que ce n’est pas le cas aujourd’hui, la preuve avec certains quartiers très chauds ou des banlieues sensibles ou encore que certaines personnes aient du mal à trouver du boulot car ils s’appellent Mohamed ou Mamadou, on essaie de faire les choses autrement.

Au point qu’en dehors du football ce sont des gens que l’on essaye aussi d’aider, en leur trouvant du travail et majoritairement ce sont des gens de la communauté juive qui les emploient alors qu’ils sont musulmans par exemple, ce qui pouvait poser un problème en apparence n’en est plus un. On essaye en dehors de ça de leur amener une place dans la société en les respectant, le foot est un vecteur pour réunir des gens, c’est tout ce que c’est pour nous. Nous n’avons pas l’ambition de jouer en Ligue 1 mais à notre niveau utiliser le sport pour que les gens puissent se réunir, se parler et savoir que l’autre n’est pas le démon annoncé mais qu’il est simplement comme lui, voilà notre objectif : que les gens se rencontrent.

“Je ne me voyais pas diriger un club de football,

ou plus généralement de sport,

sans créer un lieu de vie et d’intégration,

le foot n’est rien sans ce

Avez-vous l’impression d’avoir laissé une trace sur les joueurs ayant côtoyé le club ?
Je suis impliqué dans ce club depuis plus de 40 ans et ma femme est toujours aussi surprise du nombre de personnes que je peux croiser lorsque l’on se promène dehors, que ce soit d’anciens joueurs ou des personnes autour du terrain, j’ai toujours de très bonnes relations avec eux. On a une histoire magnifique à vous raconter avec ce Marocain que nous avons hébergé à l’époque, à qui on a trouvé du travail et qui est maintenant directeur d’une grande enseigne, il est même venu à deux mariages de mes enfants à Jérusalem, on a beaucoup d’histoires comme ça.
Il y avait aussi une mère d’un joueur musulman Marocain que l’on avait beaucoup aimé. Un jour après que les trois jeunes nous aient quitté, elle est venue spontanément chez moi en m’offrant des cadeaux pour m’exprimer toute sa reconnaissance et me demander de ne pas confondre elle et son fils, avec ceux qui étaient partis la veille. On trouvera toujours des gens qui auront quelque chose à dire mais on a aussi une grande reconnaissance pour ceux comme cette mère. Par ailleurs, je ne me voyais pas diriger un club de football, ou plus généralement de sport, sans créer un lieu de vie et d’intégration, le foot n’est rien sans cela.
Vous organisez régulièrement des goûters entre footballeurs de différentes confessions afin de renforcer des liens, comment cela se déroule-t-il ?
Tout ce que nous faisons au club dans ce goûter est casher pour que justement les juifs et les musulmans puissent manger, car pour les musulmans la viande casher est aussi halal pour eux. Nous avons aussi une fête annuelle où l’on invite beaucoup de clubs amis pour une journée, on fait des barbecues, les enfants viennent et s’amusent, voilà ce qu’on a l’habitude de faire et ce que l’on recherche. Tout cela se fait dans le respect des pratiques de chacun, l’histoire du monde en témoigne : si l’on ne respecte pas les autres on n’avance pas. Je suis peut être naïf et utopiste mais ce n’est pas très grave, je n’ai pas les prétentions d’un grand homme politique, mais pas à pas les gens qui viennent à nos goûters sont heureux voilà ce qui m’importe
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“Le Docteur Simon Dahan, président de l’AS Menora, nous éclaire sur son club réunissant les gens de confessions différentes dans une harmonie parfaite.” Vous avez également organisé des matchs entre joueurs arborant un maillot floqué “Salam, peace, shalom” [le mot paix en arabe, anglais et hébreu], comment cela s’est-il passé ?
On a un très beau maillot où ces trois mots sont réunis puisqu’il y a quelques années j’avais fait venir une équipe d’enfants palestiniens et une équipe d’enfants israéliens pour participer à notre journée des jeunes, car la fondation de Yitzhak Rabin (qui avait eu le prix Nobel de la Paix avant d’être assassiné) avait créé un groupe qui essayait d’unir israéliens et palestiniens par le sport. Quand je l’ai su je les ai directement contactés et j’ai réussi à faire venir ces enfants. C’est extraordinaire puisqu’au début il n’y en avait pas un qui parlait à l’autre, mais ce fut trois jours exceptionnels passés chez nous avec ce maillot, c’était tout simplement magique.
Aujourd’hui les joueurs continuent à se parler et s’envoyer des mails. Certains diront que c’était juste 20 gosses mais c’est aujourd’hui 20 amis, 20 amis qui pourront dire qu’un jour ils ont joué avec un palestinien ou un israélien en paix. Ça ne change pas grand-chose dans le monde mais ça reste une expérience exceptionnelle pour nous. En plus de ça, nous avions pris parti de ne pas en parler aux institutions que les enfants ne soient pas embêtés par la médiatisation, on a tout assumé financièrement et l’on reste totalement indépendant. Un jour nous avons demandé au Conseil de l’Europe l’autorisation de floquer leur slogan “tous différents, tous égaux” sur nos maillots, j’avais fait une lettre au conseil, c’était il y a une quinzaine d’années, aujourd’hui j’attends encore leur réponse. C’est pour cela aussi que l’on reste en dehors des institutions et que l’on préfère tout faire par nos moyens.
Pensez-vous être précurseur de la création d’autres clubs visant à améliorer les relations entre des communautés ?
J’espère que le modèle sera copié, que les gens pourront se dire “c’est pas mal ce qu’ils font, on pourrait peut-être changer d’opinion sur telle ou telle fraction minoritaire de la société”. Par exemple, quand des jeunes de quartier sensibles viennent jouer chez nous tout se passe très bien, ils viennent à l’heure et se comportent bien ils ne sont pas plus mauvais que d’autres, il ne s’est jamais rien passé. On stigmatise des quartiers pour rien, on aimerait voir disparaître ces préjugés par le football.
Si vous aviez un mot de la fin ?
Je sais que les temps sont durs actuellement au niveau de la vie politique mondiale, mais je reste optimiste. Conscient de la limite de l’efficacité de notre club, mais qu’il faut redoubler d’efforts pour essayer d’amener notre pierre à l’édifice compliqué à construire, juste parce que l’on ne veut pas tous faire preuve de bonne volonté et changer l’histoire.
Remerciements au Docteur Dahan combinant amabilité, disponibilité et franc-parler.
Propos recueillis par Ehli DAHEL pour Au Premier Poteau le 18 novembre 2014.
crédit photos : www.cibr.fr
La mauvaise foi Marseillaise s’exporte jusqu’ici pour apporter un regard plus ou moins décalé sur l’actualité de ce qui a pour mérite de nous faire sortir de notre lit un dimanche : l’incroyable football.
 
 
 

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