Lettre ouverte aux fossoyeurs de l’émancipation féminine, par Zohra Bitan

Zohra Bitan met en garde contre l’islamisme, qui veut faire des femmes son tribut. Elle dénonce l’aveuglement d’une partie des féministes et de l’intelligentsia médiatique qui ne voient pas cette nouvelle forme d’oppression.

J’ignore pourquoi il règne une telle confusion dans une situation qui pourtant me paraissait jusqu’ici bien claire. Je ne sais pas ce que cherchent les adeptes du déni et de la complaisance, qui à chaque occasion nous opposent n’importe quel drame, fut-t-il récent ou lointain dans l’histoire, et sur un sujet complètement opposé, pour en justifier un autre, bien immédiat, lui, celui du terrorisme et de l’islamisme.

Je ressens comme une grande nostalgie, une immense peine, et parfois de la douleur quand je me remémore cette France qui n’avait de couleurs que celles de son drapeau, de parfum que ses libertés, et de lumière que son avenir.

Je crois parfois savoir ce qui peut motiver des gens à nous mettre en danger, nous, en particulier les femmes issues de l’immigration et d’héritage musulman. Je le crois seulement.

Je me souviens de ma jeunesse, où les drames se succédaient autour de moi, de cousines qui fuyaient pour épouser un homme qu’elles aimaient mais qui n’était pas choisi par leur famille, ou qui n’était tout simplement pas musulman. Je me souviens de tous les interdits qui bordaient nos vies, nous les filles, qui regardions avec envie Sophie, Carole et Valérie sortir le samedi après-midi avec leurs copines, ou leur petit copain.

Nous, nous devions rester à la maison avec pour seule autorisation de liberté, l’école, celle que la république nous offrait. Et pour nous offrir des escapades hors de ses bancs, nous n’hésitions pas à mentir, à prétexter des leçons à réviser chez les copines, du soutien scolaire ou des sorties organisées par une institution qu’on inventait, et qui travaillait soi-disant le week-end.

Nous avions un point commun, nous les filles de ces familles musulmanes, c’est que nous étions assoiffées de liberté, de décider par nous-mêmes, d’aimer, de jouir de la vie, et nous avions chacune notre façon de nous battre pour y parvenir.

Certaines avaient pourtant choisi de ne pas lutter, de se soumettre ou d’apprivoiser les leurs pour décliner un autre choix de vie! Chacune a trouvé sa fuite, son issue, mais je ne sais pas si beaucoup ont trouvé leur havre de paix, déchirées que nous étions entre trahison et traditions, liberté et soumission…

Il fallait être vierge au mariage, il fallait épouser un musulman, il fallait ne jamais susciter le qu’en dira-t-on, il fallait être l’honneur de sa famille, l’honneur des hommes, l’honneur d’une tribu, l’honneur de tous, sauf de soi-même.

Loin de cette France des années 80 où se pointait le progrès qui gazouillait partout, nous les filles, restions sur le quai d’une culture qui nous avait assignées à perpétrer un modèle, celui de nos mères, et de nos grands-mères, celui écrit par les hommes pour les femmes!

La France savait bien que nous étions à l’écart de ces millions d’adolescentes à qui leurs mères et grands-mères avaient offert la liberté dans toute sa splendeur par un mai 68. Mais il ne se passera rien pour vous, Fatima, Zohra, Samia ou Djamila.

J’ai menti pour aller danser, j’ai fumé en cachette et j’ai fait l’amour avant de me marier. J’ai ri avec mes cousines de sexe, beaucoup, de cet interdit qui plombait nos corps, nos chairs et nos esprits. J’ai ri des fuites réussies pour aller chez une amie fêter son anniversaire. J’ai dansé des parenthèses dans les bras des garçons, me croyant le temps d’une danse égale à mes copines dont le plaisir de s’enlacer n’était pas un fake, comme le mien.

Mais je n’ai pas ri des filles dont le sort était scellé par un mariage sans amour, je n’ai pas ri des filles qui ont saisi la justice pour échapper à ce patriarcat destructeur, je n’ai pas ri quand ma sœur qui avait 17 ans fut emmenée en Algérie pour y être mariée. Mon père avait cédé au qu’en dira-t-on ; il le regretta toute sa vie.

D’années en années, la puissance de nos revendications, sans mots, mais faites d’actes de rébellion a quelque peu adouci nos vies, même si beaucoup de femmes n’ont pas eu la chance de faire évoluer la mentalité de leurs familles.

Nous avons bataillé dur, nous femmes des années 60, nées en France pour beaucoup, et qui avions 20 ans dans les années 80. Nous avons souvent versé des larmes pour nos petites sœurs, et pris des coups pour nos filles. Nous avons parfois osé menacer nos hommes de nous réfugier auprès de cette France qui nous abritait, mais qui n’était en rien pour eux un choix de vie!

30 ans après, des filles se battent encore comme nous l’avons fait mais elles sont de moins en moins nombreuses, les mentalités ayant considérablement évolué. Ce que nous avons gagné pour nous libérer d’une vie décidée pour nous dans tous ses aspects, je m’en souviens encore, et je sais chaque larme, chaque brûlure du cœur ressenties pour y parvenir.

Pourtant, certains politiques ou médias démontrent à nouveau aujourd’hui déni et complaisance à l’égard de ceux qui voudraient encore nous ramener à ce passé révolu, même s’ils sont devenus moins nombreux! Ceux-là sont pires à mes yeux que ces hommes, parents, frères, cousins, oncles qui montaient il y a 30 ans la garde sur nos vies, notre respiration, les changements de nos corps, l’étincelle qui pouvait jaillir de nos yeux et qui trahirait une rencontre amoureuse!

Comment peuvent-ils donc chérir la liberté pour leurs épouses, leurs filles, leurs sœurs, et vouloir pour nous, femmes originaires du Maghreb, réhabiliter un dogme qui nous considère comme un objet enchaîné à des lois révolues, une culture et des traditions du siècle dernier, et un soi-disant honneur? Ils n’ont pas traversé notre route, ni croisé notre chemin… ils n’entendent que la plainte absurde de quelques hommes qui pleurnichent de ne pouvoir librement laisser pousser leur barbe, garder leurs femmes sous le voile, ou disposer de moins de 2000 m2 pour prier leur Dieu. Ils ne voient plus que la sueur de ces mâles qui suintent encore d’angoisse de perdre leur statut de maître, et de ne plus nous avoir à leurs pieds…

Et lorsque nous pleurons nous, femmes et mères, sœurs et grand-mères, pourquoi sommes-nous si peu entendues? Pourquoi l’écho de nos souffrances est-il plus faible que celui du complexe d’une colonisation que seuls quelques indignes sont capables de citer, pour se venger de ce qu’ils n’ont même pas vécu?

N’entendez-vous pas tous ces qualificatifs qui, tels des preuves indéniables, montrent combien notre présent est fragile et notre destin compromis? Lorsque nous, femmes émancipées, fières et libres sommes qualifiées de traîtres, de vendues, de collabeurettes, n’est-ce pas là l’aveu que pour ces hommes nous sommes inaptes à l’usage de la liberté, de notre liberté, celle que la France des Lumières nous a offerte? Et que libérées de ces hommes, nous ne serions bonnes qu’à être soumises à d’autres?

Faites-vous semblant de ne pas voir s’ériger de nouveau autour de nous ces barreaux que nous avions si difficilement sciés, et de ne pas entendre le bruit de ces clés qui enfermeraient nos vies? Êtes-vous donc vous aussi des complices en mal de Mâlitude?

J’aurais aimé que ma mère vive comme moi ; j’aurais aimé qu’elle connaisse le parfum de la liberté au sens propre du terme, et même si par bonheur elle fut l’épouse de mon père qui l’aimait et la chérissait, j’aurais aimé qu’elle soit un peu plus Française! Ma mère m’a choisie pour vivre cette liberté à sa place, et mon père a sublimé ce choix pour qu’il devienne possible et réel. Pour eux, je ne baisserai jamais la garde.

Que ceux qui n’osent pas dénoncer l’islamisme rampant dont la femme musulmane sera le premier tribut en cas de victoire, se souviennent des combats que nous avons menés, nous les Zohra, Fatima, Djamila, Samia, et tant d’autres encore.

La liberté de la femme peut avoir les traits que l’on veut, c’est un droit. Cependant, lorsque des traditions, une religion, quelles qu’elles soient, deviennent le mode d’emploi de ce féminisme, il ne s’agit plus de liberté, mais de soumission.

Il est des femmes, comme moi, qui ne veulent pas de mode d’emploi pour leur vie, qu’il soit divin ou dicté par quelques hommes!

Zohra Bitan

Zohra Bitan est cadre de la fonction publique territoriale depuis 1989, ancienne conseillère municipale PS de l’opposition àThiais (94), et était porte-parole de Manuel Valls pendant la primaire socialiste de 2011. Elle est l’auteur de Cette gauche qui nous désintègre, Editions François Bourin, 2014.

Source lefigaro

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