Le trafic des migrants subsahariens, par Pascale Davidovicz

L’Egypte et la Suisse complices du trafic en toute impunité et dans le silence.

« L’une des crises humanitaires les moins documentées au monde » Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR)
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La vie en Erythrée est devenue tellement insupportable que des milliers d’érythréens cherchent à fuir la misère, les rafles, les emprisonnements arbitraires, la torture systématique et les exécutions sommaires.
Sur les 6 millions d’habitants, 20 % ont déjà fui.
Depuis plus de vingt ans, l’Erythrée est mise en coupe réglée et dirigée d’une main de fer par la dictature militaire d’Issayas Afeworki.

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Le président Issaias Afeworki © AFP

« L’Erythrée est l’un des pays les plus répressifs, secrets et inaccessibles au monde » rapporte Amnesty International.

Le pire sort est réservé à ceux

qui choisissent de franchir la frontière

avec le Soudan.

Ils sont kidnappés par une organisation bien rodée de trafiquants d’êtres humains, des bédouins, qui après les avoir sauvagement frappés et ligotés, les conduisent à 3000 Kms plus loin dans le Sinaï, au nord de l’Egypte.
Les ravisseurs les obligent alors à composer un numéro de téléphone pour exiger une rançon. Si personne ne répond, et que le détenu est insolvable, c’est la mort. Au mieux pour les trafiquants ses organes seront revendus.
Si quelqu’un répond, l’otage est frappé sans pitié jusqu’à le faire hurler pour entamer la négociation.
Les témoignages des victimes qui ont été libérées moyennant le versement de rançons qui vont de 30 000 à 50 000 dollars sont insoutenables.
Dans le documentaire « Voyage en barbarie – Sur la piste des réfugiés du Sinaï » de Delphine Deloget et Cécile Allegra, primé par le Prix Albert Londres, une victime raconte qu’ils ont branché l’électricité sur son pénis et que, plus il criait, plus ils le battaient.

Réfugiés subsahariens brûlés au fer rouge et au plastique fondu, peu après leur libération.  © Baptiste de Cazenove
Réfugiés subsahariens brûlés au fer rouge et au plastique fondu, peu après leur libération.
© Baptiste de Cazenove

Une autre victime montre ce qu’il reste de ses mains après qu’ils lui aient versé dessus du plastique fondu et l’aient suspendu au plafond pendant trois jours.
Rawha, une jeune érythréenne de 21 ans, est transportée en août 2012 dans le Sinaï égyptien où se livre depuis 2009 un trafic d’armes, de drogue et d’êtres humains.
Elle entend les hurlements des suppliciés. Dans sa cellule, elle raconte qu’il y avait aussi un petit enfant qui ne cessait de pleurer.
Enlevée dans le Sinaï, Rawha, jeune femme érythréenne a dû subir une greffe de peau à cause des tortures qu’elle a subies. (Moises Saman / Magnum Photos)
Enlevée dans le Sinaï, Rawha, jeune femme érythréenne a dû subir une greffe de peau à cause des tortures qu’elle a subies. (Moises Saman / Magnum Photos)

Elle sera battue, violée, torturée à l’électricité et recevra du plastique brûlant sur la peau.
Sa famille versera 25 000 dollars.

« Avec le mal qu’on s’est donné,

on devrait être milliardaire. »

Les réalisatrices du documentaire ont obtenu un témoignage édifiant d’un des responsables égyptiens de ce trafic d’êtres humains et de ces tortures monstrueuses contre lesquels nous n’entendons pas s’élever nos chères ONG et associations françaises si promptes à dénoncer la démocratie israélienne.
Ce pacha égyptien déclare fièrement avoir gagné entre 600 et 700 000 dollars, posséder des commerces, une voiture, des maisons et avoir fait des placements qui ne rapportent qu’un peu.
Tel un businessman avisé et sans état d’âme, il explique calmement comment il achète des êtres humains, le bénéfice qu’il en tire et pourquoi il faut les torturer pour obtenir une rançon. trafic5
Il se présente comme une commerçant endetté et ajoute avec un cynisme terrifiant : « Avec le mal qu’on s’est donné, on devrait être milliardaire. »
Depuis que le documentaire a été tourné il y un an, l’estimation des érythréens ayant fait ce voyage mortel est de 50 000 dont 12 000 n’en seraient jamais revenus.
Human Rights Watch et une ONG égyptienne dénoncent la collusion entre les trafiquants bédouins, les autorités soudanaises et égyptiennes qu’ils qualifient comme « l’un des plus grands scandales humanitaires contemporains », et l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés comme « L’une des crises humanitaires les moins documentées au monde. »

Un drame qui s’est joué aux frontières d’Israël.

Quand en 2007, des milliers de migrants subsahariens se dirigent vers Israël, les bédouins y voient une opportunité lucrative, celle de passeurs.
Ils se font grassement rétribuer et entre 2007 et 2012, ce serait 62 000 clandestins qui auraient ainsi rejoint Israël.
Mais en 2009, l’Etat hébreu prend des mesures pour endiguer ce flux continu. Et en 2012, un mur de défense est construit le long de sa frontière avec l’Egypte.

Photo d'illustration. Un soldat sécurise la frontière israélo-égyptienne.  © Tsafrir Abayov / AP/Sipa
Photo d’illustration. Un soldat sécurise la frontière israélo-égyptienne.
© Tsafrir Abayov / AP/Sipa

Dès lors, les bédouins changent de stratégie et se lancent dans le commerce du trafic d’êtres humains moyennant rançon.
Kidnappés, séquestrés, affamés, brutalisés, drogués et violés, les candidats à l’immigration se retrouvent piégés par une chaîne implacable de complicité.

Les bédouins, la tribu arabe des Rachaïdas

et les pachas égyptiens.

Les bédouins kidnappent, des membres d’une tribu arabe des rives des la Mer Rouge, les Rachaïdas, transfèrent le « butin » dans le Sinaï, et de froids commerçants égyptiens récupèrent les rançons.
Les agents de sécurité soudanais et égyptiens ferment les yeux moyennant rétribution et facilitent les exactions plutôt que de porter secours aux victimes.
La boucle est bouclée.

Rachaïdas : Some members of the tribe have been known to be involved in human trafficking and torture photo Eric Lafforgue
Rachaïdas : Some members of the tribe have been known to be involved in human trafficking and torture photo Eric Lafforgue

Les versements des rançons se font via Western Union qui ne se pose aucune question et n’est pas contrôlée.
Certains réfugiés meurent de leurs supplices même après le paiement de leur rançon. D’autres sont à nouveau revendus aux bédouins ou abandonnés dans le désert. Il y aurait eu plus de 5 000 morts en cinq ans dans le Sinaï.

La Suisse n’en finit pas de profiter

de la détresse humaine.

Après avoir détenu les avoirs des familles juives exterminées et avoir refusé de les restituer sous prétexte qu’il n’y avait personne à qui les restituer, voilà que la Suisse se distingue à nouveau  par son cynisme.
Les groupes criminels ont des ramifications en Europe, y compris en Suisse, sans que les autorités ne semblent être conscientes du problème.
Habtom raconte qu’il est contacté en 2009 par les ravisseurs de son frère qu’il entend hurler et supplier de l’aider. Il remet la rançon exigée, 2800 dollars, à une personne à Zurich qui devait se charger de l’envoyer en Egypte par la Western Union. Il ne sait pas si l’argent est arrivé.
Mais un jour il reçoit une photo par mail des cadavres de son cousin et de son frère.
La Suisse figure depuis des années parmi les destinations principales des Erythréens sur le Vieux Continent, avec la Suède, la Norvège, l’Allemagne et les Pays Bas.
Elle est donc certainement une cible privilégiée pour ce type de commerce qui pèse des millions.
Pour tenter de faire bouger les choses, quelques ONG ont signalé des cas d’extorsion à la Police fédérale (FedPol) qui affirme n’avoir aucune connaissance de cas d’extorsion comme ceux décrits par Europol et se défausse sur les polices cantonales.
Dans l’Union européenne ces chantages sur les migrants restent pratiquement impunis.
À ce jour, aucune personne liée à ce trafic n’a été condamnée, ni au Soudan, ni en Égypte, ni, a fortiori, en Érythrée ou en Suisse.
Pourtant, des enquêteurs du Groupe de contrôle de l’ONU sur la Somalie et l’Érythrée ont établi dans plusieurs rapports que des personnalités importantes des services de sécurité soudanais et égyptiens étaient impliquées dans le trafic et révélé que des rançons avaient été versées directement à des représentants des autorités érythréennes.

Le combat commun

d’une érythréenne et d’une israélienne.

Meron Estefanos est une journaliste et activiste érythréenne naturalisée suédoise qui consacre son temps aux migrants retenus en otages dans le Sinaï.

"Quand des émigrés meurent en route, une partie de moi s'éteint", confie Meron Estefanos © Pieter Ten Hoopen pour jeuneafrique.
“Quand des émigrés meurent en route, une partie de moi s’éteint”, confie Meron Estefanos
© Pieter Ten Hoopen pour jeuneafrique.

La réalisatrice israélienne Keren Shayo a accompagné Meron Estefanos lors de son voyage en Israël et dans le Sinaï. Elle en fait un documentaire « Sound of Torture »  qui a été diffusé en juin 2014 aux Nations Unies, au Parlement européen et à la Knesset.
Keren Shayo (Israel) Sound of torture is her debut as a feature length documentary director.
Keren Shayo (Israel) Sound of torture is her debut as a feature length documentary director.

Selon les estimations de Meron Estefanos, entre 2009 et 2013 au moins 30 000 personnes ont été enlevées dans le Sinaï pour un butin de 622 millions de dollars.
Et cela continue !
Pascale Davidovicz
Sources : Documentaire « Voyage en barbarie – Sur la piste des réfugiés du Sinaï » de Delphine Deloget et Cécile Allegra primé par le Prix Albert Londres – canal + – liberation.fr – rfi.fr/afrique – jeuneafrique.com – swissinfo.ch – Reportage de Baptiste De Cazenove inédit Sinaï, le désert des tortures a obtenu en 2013 le prix France Info-«XXI».
 
 
 
 
 
 
 

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