Amos Oz vu par Claude

Personnellement, j’ai d’abord connu Amos oz comme le grand homme de lettres qu’il était, notamment au travers de sa merveilleuse autobiographie « une histoire d’amour et de ténèbres ». J’y ai lu un petit garçon intelligent et livré à lui-même entre un père perçu comme faible et égoïste et une mère belle, seule et triste plongée dans un monde de forêts de l’Europe quittée peuplées d’êtres étranges qu’elle partagera avec lui dans sa souffrance solitaire. J’y ai aussi lu un petit garçon grandissant avec une indisposition croissante pour la vulnérabilité et l’impuissance. Un écrivain qui prit donc par la suite le patronyme OZ la force.

Alors j’ai tenté de comprendre l’articulation entre cette construction et cet univers interne et les prises de position politiques que beaucoup lui connaissent. Je me suis sincèrement interrogé sur ce qui motivait réellement sa condamnation globale de tous les fanatismes (qui dirait le contraire excepté les fanatiques eux-mêmes)et son rejet des religions :

« Le judaïsme, le christianisme – et n’oublions pas l’islam – dégoulinent de bons sentiments, de charité et de compassion, tant qu’on ne parle pas de menottes, de barreaux, de pouvoir, de chambres de torture ou d’échafauds. Ces religions, en particulier celles nées au cours des siècles derniers et qui continuent à séduire les croyants, étaient censées nous apporter le salut, mais elles se sont empressées de verser notre sang .(…). L’homme est par nature constitué comme un bois tordu, a dit Emmanuel Kant. Inutile de le redresser au risque de se noyer dans le sang. »

Car pour ne parler que de ce que je connais, nous voyons rarement des « fanatiques juifs » semer chaos et destruction pour châtier les infidèles de ce qu’ils sont.

Par ailleurs, critiquer la religion pour la désolation qu’elle entraîne indirectement ce serait à mon sens et certes trivialement comme critiquer le vin en ce qu’il provoque alcoolisme, cirrhose et mort sans parler de tous ces moments de joie et convivialité qu’il peut procurer.

Kant, cité ici, et sa philosophie de la morale n’a t-il pas été déterminé par une éducation marquée de rigorisme protestant ?

Puis enfin sur cette dernière citation

« Tels sont les problèmes existentiels de l’État d’Israël : convertir un ennemi en amant, un fanatique en tolérant, un vengeur en allié. » : cette assertion laisserait plutôt penser que ce sont les fanatiques « d’en face » le problème pour n’évoquer que le cas de cet interminable conflit.
Les nôtres se contentent de se faire du mal à eux mêmes ou à leur proches mais pas aux « autres », « étrangers », « infidèles » parce que le judaïsme n’est fondamentalement pas prosélyte mais peut être parfois instrumentalisé par des cyniques à des fins politiques mais ça c’est un autre sujet.

Un tel discours finalement consensuel ne constituerait-il pas une légère entorse à la lucidité aiguë restituée par ses écrits et surtout à l’exigence de force qui semblait occuper une place si importante, comme une concession d’un homme résigné par un rapport de force éternellement défavorable quoi qu’on dise alors que c’est justement ici qu’intervient le miraculeux.

Une possible illustration que l’exercice d’équilibrisme mental du juif ne s’arrête pas aux frontières européennes. Où faire la concession pour ne fâcher personne et être entendu pour dire quoi d’ailleurs? Alors je répondrai à mes questions en arguant que Chacun fait ce qu’il peut et je veux comprendre ce que c’était précisément là son message.

Une très modeste contribution à un grand écrivain fidèle à la tradition du questionnement. Qu’il repose en paix. Amen.

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3 Comments

  1. Mon cher Claude, votre commentaire valait bien de la lumière: « Une possible illustration que l’exercice d’équilibrisme mental du juif ne s’arrête pas aux frontières européennes. Où faire la concession pour ne fâcher personne et être entendu pour dire quoi d’ailleurs? Alors je répondrai à mes questions en arguant que Chacun fait ce qu’il peut et je veux comprendre ce que c’était précisément là son message »
    Fût-ce pour votre manière, et celle de l’ecrivain auquel vous rendez hommage, de n’etre pas emplis de certitudes.

    • Merci Sarah , cela me touche beaucoup. Puis-je me permettre de vous demander une adresse mail générique à laquelle on peut éventuellement vous contacter, (je souhaiterais vous soumettre toujours convivialemnt un autre petit texte si bien entendu cela vous agrée, lequel j’ai d’ailleurs joint en post dans l’interface contact de TJ mais j’ignore si c’est le bon canal ), mon adresse mail est rattachée à mes posts, vous pouvez m’y adresser la vôtre. Merci encore. Bonne fin d’année à tous.

  2. Merci Claude pour ce bel hommage. Amos Oz est en effet un auteur majeur, et je me suis souvent posé la question de son positionnement. Certains comme Abraham Ben Yechoua ont finalement changé d’avis, après la guerre de Gaza, constatant l’absence de partenaire pour la paix; je ne peux m’empêcher de penser qu’en effet, ce décalage entre cette force qu’il recherchait et ce partie prix pour la paix – bien qu’il n’y ait personne en face, ne témoignait pas d’un manque de lucidité, mais d’une volonté somme toute bien humaine, de vouloir que la réalité soit telle qu’on veut et non telle qu’elle est, au risque de se tromper. Encore bravo pour cette belle invitation à la réflexion.

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