L’huile cachée de Hanoucca : la guérison de la gratitude, par Jean Taranto

“L’Éternel-Adonaï appela le Adam, et lui dit: “Où es-tu?”  Il répondit: “J’ai entendu ta voix dans le jardin; j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.”” (Genèse 3:9/10)

Une fois que Hava eut donné de l’arbre-fruit à l’Adam, ils connurent leur nudité. Ils ne la connurent pas des yeux mais de leurs yeux intérieurs (Rachi). Comme le voleur qui n’a pas encore volé mais qui sait qu’il est venu voler et qui a honte avant même la commission de son geste. Cela s’appelle la conscience. La préscience de sa conscience, car seul celui qui va sait : je sais que je vais faire et la connaissance de mon intention mauvaise me rend honteux, coupable d’avance. Or, la honte n’est pas dans le faire, mais dans l’anticipation du faire. C’est pourquoi la honte n’est pas un sentiment mais une réponse de sécurité qui anticipe l’acte peccamineux qui consiste aussi, essentiellement, à prendre “par  anticipation” de ce qui est destiné à être reçu par consentement mutuel.
L’Eternel cherche Adam exilé à l’intérieur du Gan Eden et où Hava a disparu. Car pour chercher, l’Eternel va lui aussi jusqu’à l’exil en son propre Jardin.

Le “péché” du Adam (la Genèse n’en parle pas mais évoque une mise à distance par la main de Hava interposée) n’est pas tant d’avoir acquiescé à la tentation de Hava, d’avoir reçu de sa main et non de la main de Dieu, que d’avoir fait “honte” à “sa” connaissance innée de Dieu en se couvrant de feuilles du figuier dont ils partagèrent tous deux l’arbre-fruit.

Et il est dit, alors, que l’Adam se cacha derrière les arbres du jardin. Au jour de la création il n’y avait que deux arbres essentiellement nourriciers qui pouvaient être mangés tout entiers mais seulement au jour où ils seraient permis.

Du moment que Hava avait cédé au charme du serpent-idole (le cours sinueux et limoneux de l’Euphrate aux rives fertiles et opulentes) le Adam alla seul se cacher. Pourquoi Hava ne se cacha point? Et pourquoi le Adam alla se cacher puisqu’il savait que Adonaï voyait tout?

Parce que de ce moment, l’arbre devint une multitude d’arbres non comestibles, une multitudes d’épaisseurs boisées, immangeables, emmêlées, une forêt de confusions inextricables qui cachait même les “panim”, les faces diffractées de l’Eternel qui alors devenait comme les rayons du soleil dans les ramures : des éclats intermittents, fragmentés, contrastés par l’épaisseur des branches.
On peut dire qu’à ce moment-là Adam est devenu théologien : il lui a fallu discerner l’Eternel dans les confusions du monde et chercher l’évidence  qui lui avait été ravie par la certitude de la facilité, dans les inévidences. La grande sagesse du Créateur est d’avoir mis la confusion à profit pour atténuer sa Lumière devenue insupportable et faire en sorte qu’elle fut cherchée et non démontrée. C’est la liberté de l’homme que de questionner la réponse qu’il a déjà reçue : “où es-tu?”

La lumière aussi, donc, avec le Adam alla se cacher. Commença alors la saga de la lumière divine qui, comme un amour clandestin dut, pour ne pas s’affaiblir s’enfouir dans la clandestinité de l’obscurité.

Hanoucca sort Adam caché de son ombre et le guérit de sa honte qui le pare de ce feuillage que sont les mitsvot. Soir et matin, il doit les accomplir comme chaque matin il s’en vêt et chaque soir s’en devêt : chaque matin, il accomplit les mitsvot et chaque soir ce sont les mitsvot qui l’accomplissent.

C’est pourquoi le récit génétique ne dit pas que Hava s’est cachée. Car la fiole d’huile recouvrée dans le Beit HaMigdash dévasté, c’est le premier des miracles : Hava retrouvée, porteuse de la sainte Torah après qu’elle fut forcée à la prostitution dans l’Exil : du moment que le Adam s’était caché, la Torah s’était voilée. Du moment qu’Israël avait retrouvé la lumière, elle fut dévoilée. En effet, ce n’est pas un seul miracle qu’Israël célèbre mais trois : le recouvrement de la fiole d’huile, la patience de l’huile qui dura sept jours, la persistance de la flamme qui brilla jusqu’à la fin du huitième jour et put se multiplier en huit, chacune son jour. Car les feux de Hanoucca n’éclairent pas le monde, mais les visages. C’est une fête de l’intimité amoureuse, nuptiale, où l’Eternel caresse  le visage de Sion qu’il contemple et chante. Une nuit “aux chandelles” où Hava revenue se trouve renouvelée en sa maternité.

Hanoucca, c’est la fête du 8è jour qui couronne les sept autres, et c’est pourquoi elle est si joyeuse et si grave, car Hava avait privé la création du 8è jour en voulant se substituer à la sainte Torah mais c’est dans le murmure de l’huile grésillante qu’elle fut rendue dans son intégralité : toute la Torah est contenue, en effet, dans une seule fiole et surpasse les eaux de tout le Déluge, si bien que tout le récit d’Adam et de Noah, les deux grands habitants de la Tikvah, de l’Espérance, devint le récit des deux grands serviteurs et écoutants de la TESHOUVAH : Abraham et Moshé.

La Teshouvah de l’Eternel en son Temple initia le Retour d’Israël en sa Terre. Teshouvah qui signifie “réponse” porte aussi le mot de “règlement”, de “loi”. Le miracle de la fiole d’huile c’est aussi le retour du sens, la fin du chaos, l’achèvement du chamboulement puisqu’il n’est pas possible de scruter sans lumière et qu’il devient possible d’observer les visages en sa présence.
Le total des valeurs gématriales du mot Adam est de 45, soit le nombre d’années qui fut nécessaire pour bâtir le Temple. Et le total des valeurs gématriales du tétragramme divin est de 26 soit le nombre intercalaire de jours entre deux menstruations. Le retour de l’Eternel en son Temple c’est donc le retour de la fécondité d’Adam dans l’observance de la Loi.
La fin de la stérilité dans l’Exil signe le commencement des enfantements d’Israël et c’est pourquoi les 8 feux gardés par le Shamash qui les garde sont les 8 générations qui depuis Adam intercèdent pour que l’humanité soit épargnée de l’éloignement de l’Eternel, sache mettre à profit la lumière dans l’obscurité pour scruter plus attentivement les signes des temps et trouve dans la Loi du Seigneur les fondements d’une Sagesse renouvelée à chaque allumage de chaque feu.

Dimanche prochain, l’Eglise catholique dont le calendrier suit de près le calendrier hébraïque célèbrera le 3è dimanche de l’Avent. Ce sera le Dimanche dit “de Gaudete”, le Dimanche du “Réjouissez-vous” et dont l’Evangile qui sera proclamé en Jean ch.1, 6-8.19-28 commence ainsi : “Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.”

Jean parle explicitement du Shamash johannique qui “rend témoignage” à “la” lumière. Il n’est pas “la” lumière mais “serviteur-veilleur” de la Lumière.
C’est pourquoi le shamash éclaire la Lumière qui naîtra pour les  chrétiens en la nuit de la Nativité.  Tout comme la Hanoukia, elle n’est pas pour éblouir le monde d’une crue vérité, elle n’est pas une tyrannie de l’éblouissement. Pour cette raison, il n’est pas permis d’utiliser la gratuité de la lumière  sortie de l’huile pour lire autre chose que les prières et les bénicitions ni pour s’affairer mais seulement pour illuminer les visages des enfants et les louanges d’Israël. De même, la Crèche qui sera habitée du boeuf (les prophètes), de l’âne (les prêtres) et des bergers (les patriarches) autour de la sainte famille n’éclaire pas crûment le monde, mais intérieurement notre conscience qui “fait retour” vers l’Eternel.
L’Avent d’Israël qui est la redécouverte de Sa Source lumineuse à l’intérieur de la Nuée, comme Moshé “entendit” de l’intérieur la “Davar” cachée au creux de l’Horeb, c’est l’attente de l’Humanité déçue par les  Lumières qui ont tant promis et si peu donné et aveuglée par la nuit profonde et insondable de ses doutes et  de ses angoisses qui culminèrent dans la Shoah.

Hanoucca, comme l’Avent qui est la fête de Celui qui vient et qui est certain (et non de l’a-venir, toujours incertain) sont une Réponse de Dieu à la supplication de ses fils en exil, symbolisé dans le récit évangélique par les bergers-patriarches dispersés sur la terre et qui “savent” l’Etoile et la suivent vers l’Est.
Puisque c’est de direction du Couchant que l’Eternel marchait au Gan Eden à la recherche de l’Adam, c’est en direction du Levant qu’Adam peut aller à  sa rencontre, en ce soir-ci, en ce temps-ci, en cette humanité-là.

“Béni sois-Tu, Éternel notre Adonaï Roi de l’Univers, qui a fait des miracles pour nos pères en ces jours-là, en ce temps-ci.” (2è Bénédiction avant l’allumage du premier soir)

Hag Hanoucca Sameah à ceux qui s’en réjouissent et Joyeuse  Nativité à ceux qui l’espèrent. Dans la “Tikva-Tehouva” de la Shalom, paix et plénitude des coeurs.

Jean Taranto

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2 Comments

  1. C’est la un beau message de fraternité et je remercie son auteur de l’avoir publié.
    Il est cependant basé sur une erreur très répandue. Le voleur ou le criminel n’a pas honte de ce qu’il a l’intention de faire. Ce sont les gens bien-pensants qui assument cette croyance, mais elle n’est pas conforme a la réalité psychologique.

    Ancien Aumônier des Prisons en Californie

    • Merci de votre commentaire. Il y a bien d’autres erreurs que j’ai pu commettre et vous achoppez sur la notion de “honte” que je ne me suis pas attardé à développer davantage. De par vos fonctions et expérience vous avez une exploration du sujet vis à vis de l’éthique et de la rédemption irremplaçable. C’est un sentiment que j’ai pu éprouver à l’âge où il est tentant et parait facile de prendre e qui n’est pas du. C’est en apparence un autre sujet, mais ici j’ai voulu effleurer la question de savoir dans quelle mesure la lumière désirée, qui est la deuxième création après les cieux et la terre avait pu vouloir faire l’objet d’une telle convoitise au point que son réceptacle fut détruit.
      Merci d’avoir contribué à assouplir et corriger le propos à votre manière et selon votre jugement

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