Jonas, l’Hébreu, par Charles Baccouche

Bien sur, l’histoire de Jonas nous est connue, il fut avalé par un grand poisson au cours d’une tempête allant en grandissant, puis qui s’apaisa dès que le poisson engloutit dans son grand gosier cet entêté le plongeant dans une terrifiante obscurité.

On sait que le sort de Jonas est causé par sa fuite devant Dieu qui l’appelait à faire entendre sa grand voix, mais lui le prophète, se dérobait à la parole de l’Eternel, alors que tout compte fait, revient à transmettre l’écho de la Parole de la volonté divine, le paradoxe étant que rendre audible la Parole de l’Indicible constitue l’essence du prophétisme.

Mais l’étrange histoire de Jonas nous réserve d’autres surprises.

Avalé tout rond, le voilà rejeté sur la grève après avoir lancé sa prière vers le Ciel, vers le Tout Puissant auquel il a cru échapper (tout prophète qu’il est, il aurait du savoir que ce n’était pas possible), mais curieusement, il a loué la puissance et la Miséricorde de l’Eternel, à qui il promet de s’acquitter de son vœu et de lui offrir un sacrifice, sans qu’on sache de quel vœu et de quel sacrifice il s’agit.

En fait, l’Eternel lui intima l’ordre d’aller au sein de la puissante Ninive, Capitale de la superpuissance assyrienne, au temps de Jéroboam, et d’annoncer urbi et orbi, qu’elle serait bouleversée, renversée. A la surprise du lecteur, sans dire mot, Jonas s’enfuit dans le sens opposé, vers Tarchich qui se trouverait en Espagne, en embarquant sur un étrange navire, mené par de bons matelots et un vaillant capitaine.

Ce tranquille bateau est soudainement pris dans une violente tempête, comme en connait la Méditerranée, mer étroite, profonde et agitée.

Jonas certes, est monté sur ce bâtiment naval pour s’éloigner le plus loin possible de la redoutable emprise divine, il refuse tout contact,, il ferme ses oreilles et ses yeux d’abord en se murant dans un silence têtu, puis en s’enfonçant dans le fond du bateau ou il s’endort, espérant que Dieu va comprendre qu’on ne peut rien tirer d’un pareil individu, qui multiplie son opposition à sa pressante demande.

Il réussit à dormir en dépit de la terrible tempête qui menace de couler par le fond le bateau et ses marins et qui va en s’amplifiant.

Ces incongruités nous font sentir que cette histoire ne se limite surement pas à l’apologie de la Téchouva, c’est-à-dire du repentir qui domine et justifie la grande journée de Kippour, du grand pardon de l’Eternel aux pêcheurs, c’est d’ailleurs, la raison pour laquelle on lit l’Histoire de Jonas le jour du grand pardon, dans l’après midi juste avant que les portes de la bonne volonté du Ciel (Shaaréi Ratson) s’ouvrent au Pardon et à la bénédiction.

Un autre enseignement pointe sous ces édifiantes certitudes, mais allons de l’avant, cette surprenante histoire de Jonas, qui veut dire «  La colombe » et dont le père est « Amitaï » c’est-à-dire « vérité de Ya », « Emet Aï » ou « vérité de Dieu »

La Colombe dans la tradition, est Israël et Aï est un des noms du Très Haut.

On apprend que les marins qui sont de braves gens, prient chacun son dieu et demandent à Jonas réveillé un peu rudement, par le Capitaine: « Pourquoi dors-tu? Lève-toi, invoque ton Dieu! Peut-être voudra-t-il penser à nous, et nous ne périrons pas. »

Il faut en conclure que leurs prières ont été sans effet, car la tempête gronde et menace de submerger tout le monde, y compris cette histoire.

Les marins poussent Jonas toujours muet, à invoquer son Dieu et alors, peut être la tempête se calmera, mais l’intéressé reste sourd à l’angoisse des matelots.

Ceux-ci décident de tirer au sort pour connaitre celui d’entre eux qui est le responsable de leur malheur. Evidemment, Comme c’était prévisible, le sort tomba sur Jonas, confirmant la pensée d’Einstein qui découvre que «le Hasard, c’est Dieu qui se promène incognito »

Intrigués, les matelots, tous hommes vertueux, vinrent interroger cet étrange passager qui semble se rire de cette terrible tempête emportant leur bateau vers des abysses infernaux:

«Ils lui dirent: Dis-nous qui nous attire ce malheur. Quelles sont tes affaires, et d’où viens-tu? Quel est ton pays, et de quel peuple es-tu? » Jonas pour la première fois parle et ce qu’il dit est stupéfiant, il ne se dit ni Jonas ni le fils de quiconque, il proclame:

« Je suis Hébreu, et je crains l’Éternel, le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre »

Il révèle d’un coup, ce qu’un grand discours ne saurait mieux dire et fait un délicieux clin d’œil : Il est hébreu «Ivry Anokhi » c’est à dire : je suis celui qui « passe » qui transgresse les déterminismes, je suis l’homme qui sort littéralement de son destin pour prendre le chemin de la liberté, comme Abraham, notre Père (avinou) avant lui, comme Joseph le vice Roi d’Egypte, sorti de la prison pour accéder aux honneurs et au Pouvoir de la maison de Pharaon, qui le fait «comme Pharaon »

Il est hébreu, et il craint « Yod Hé Vav Hé, Elohé hachamaïm qui a fait la mer et la terre »

Il craint le Dieu de l’Histoire, de l’alliance avec la créature, le Maitre de Bonté qui est aussi le Dieu créateur du Monde, le Dieu de Justice.

Les marins, pas naïfs, comprennent «  Devant qui ils se trouvent » Voyez dans nos synagogues au dessus de la tenture qui couvre le Hekhal « Dah lifné mi ata omed » «  Sache devant qui tu te tiens »

Ils sont debout devant le Dieu fort et ont été saisis « de peur, d’une grande peur » devant le surnaturel qui se révèle dans les quelques mots d’un homme apparemment ordinaire. Parce qu’en Hébreu avoir peur et voir sont constitués par un même mot (Yrah).

Ils ont vu derrière les apparences, l’invisible comme Isaac l’a vu et a conquis à la fois, la vue intérieure, la Vision du Monde vrai, le monde futur et a perdu la vue du Monde des vanités.

Devant les marins désarçonnés, Jonas le taiseux leur révélé qu’il fuyait de « devant Y H V H »

Ils s’affolent : « qu’as tu fais !» C’est à lui de donner la solution, de dénouer une situation qui leur échappe, il leur explique qu’il suffit seulement de le jeter à l’eau, ils doutent ces bons marins, ils redoutent la vindicte du Dieu que Jonas révère, mais non, dès que Jonas est jeté par-dessus bord, voilà que les flots se calment, et que le navire reprend son voyage dans des eaux redevenues sages.

Mais pour Jonas, les affaires se compliquent, il est avalé par le grand poisson et se retrouve dans l’obscurité totale des entrailles du monstre marin, (pas comme Pinocchio et Ge petto qui eux, ont allumé une bougie dans le ventre de la baleine sans dommage pour le grand animal)

Dans ce noir d’encre, Jonas prie nous dit-on, mais nous doutons que ce soit exactement ce que fait Jonas.

Certes il prie, mais pas au sens habituel du terme : Il loue les œuvres de l’Eternel, il chante des psaumes, des « Téhilim », il évoque la grandeur du Saint Béni par un superbe poème :

« Dans ma détresse, j’ai invoqué l’Éternel, il me répond; du ventre du Shéol, j’ai imploré et tu as entendu ma voix.

Tu m’as jeté dans les profondeurs au cœur de la mer, les eaux m’ont encerclé; tes vagues et tes flots ont passé sur moi.

Je me suis dit, j’ai été chassé de ton regard! Mais je continuerai de scruter ton Hekhal saint

Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes, mais tu as fait remonter ma vie de l’abime, Y H V H mon Dieu!

Quand mon âme défaille, Je me souviens de l’Eternel et ma prière arrive jusqu’à toi, dans ton. Hekhal saint.

Quant à ceux qui se complaisent dans les vanités, la générosité divine les abandonne.

Mai moi, avec une voix de remerciement, j’accomplirai mes vœux, je t’offrirai les sacrifices.»

Il ne demande même pas à sortir du ventre du monstre, il promet un sacrifice et l’accomplissement de son vœu (lequel ?)

Certes, tous les désagréments subis, sont la conséquence de la désobéissance d’un Homme choisi mais qui résiste silencieusement et de toutes ses forces à l’ordre de l’Eternel qui exige qu’il annoncer à Ninive « la grande ville »

Mais annonce quoi ? On ne sait pas. En effet le texte ne le dit pas : «  La parole de l’Éternel fut à Jonas, fils d’Amitaï, pour dire Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle, car sa méchanceté est montée jusqu’à moi »

Rejeté sur la plage, Jonas accepte enfin puisque André Néher (Z°°al) nous a appris que « Dieu a toujours raison contre l’Homme »

Il est clair que la prophétie de Jonas réussit au-delà de toutes espérances, mais pas de l’espérance de Jonas.

Bien sur, sa proclamation dans les rues suffit en un jour, à déclencher le repentir des habitants de cette ville fière et impie. Mais Jonas est prophète et il sait que le Père de la Création est « un grand Dieu » bon et généreux long à la colère, qu’il est « Adon Ha-Sélihot » « le maitre des pardons » et qu’il pardonnera sans doute, aux habitants de la grande ville, eux qui « ne savant même pas reconnaitre leur gauche de leur droite »

Il crie « encore quarante jours et Ninive sera renversée » enfin nous savons le contenu du message confié au prophète qui, comme nous l’apprend au moment ou il doit le délivrer.

Cependant on doit savoir que Jonas n’est pas «Sisyphe heureux » car Jonas n’est pas content, il se plaint devant son Maitre l’Eternel, il prétend que la mort lui est plus chère que la vie, qu’il savait bien que sa longue route n’aura servi à rien, bref que veut-il à la fin ? Aurait-il préféré que la ville de Ninive, avec ses milliers d’âmes, sombre anéantie par le feu du Ciel ?

Mais la pédagogie divine n’est pas la notre, et le Tout Puissant enseigne à Jonas, ce que ce dernier doit savoir, Dieu fait lever durant la nuit, un Ricin « un kikayon » qui rafraichit et réjouit Jonas durant toute la brulante journée du lendemain, soudain oublieux de ses récriminations.

Mais ses tribulations ne sont pas terminées. Patatras, la nuit suivant le ver s’y met et notre beau ricin dépérit et meurt, laissant Jonas se lamenter sous le soleil brulant et se désolant.

Il réclame son départ du Monde des vivants : « sa mort mieux que sa vie »

Dieu du haut d Ciel, l’interpelle :

« Quoi! Tu as souci de ce ricin qui ne t’a coûté aucune peine, que tu n’as point fait pousser, qu’une nuit a vu naître, qu’une nuit a vu périr: et moi je n’épargnerais pas Ninive……!” (Jonas 4/10-11)

Un bien curieux dialogue s’est instauré entre la faible créature humaine dont la mort est inscrite à sa naissance et l’Infini qui Lui, vit toujours, Lui (ANOKHI) le Maitre des Mondes,

(Adon Haolamim) Lui qui ne peut être représenté, Lui, le Dieu tout Puissant dont on ne peut « voir la Face et vivre »

Jonas, prophète certes, mais prophète par la Grâce de son Père qui est au ciel, se révolte, se permet de fuir la parole de l’Eternel, par tous les moyens à sa disposition: fuite dans le sens contraire à celui ordonné, le silence souligné par un mutisme persistant, s’enfonçant dans les soutes du navire, pris par un sommeil pesant, aveugle aux leçons divines célébrées par les marins, sans susciter la moindre émotion de sa part.

Nous sommes étonnés et même réellement stupéfaits par cette histoire sensée nous révéler la force de la TECHOUVA, du repentir qui est capable de forcer les portes du Pardon et de faire ployer la volonté du Ciel.

Mais cela ne suffit pas à nous convaincre, autre chose se cache qui ne demande qu’à se révéler: Le Dieu qui parle à Jonas l’Hébreu, est le Dieu du dialogue entre l’ineffable et la créature.

Ce récit nous confirme que la liberté de l’Homme est sans limites lorsqu’elle se hisse à la mesure de la Liberté de Dieu, à la condition que le dialogue évite les pièges de la séduction, de la ruse, du mensonge et de l’enflure des égos. Jonas se dit simplement hébreu, ce qu’il est réellement. Le début du récit témoigne de cette proximité :

«  Et la Parole de Y H V E vers Jonas fils d’Amitaï pour dire…. »

La Parole invariable-Davar vers (pas sur ou dans) mais vers Jonas, ce qui est une forme de respect de Dieu à l’égard de Jonas, donc, la Parole de Dieu bon-Rahaman, le Dieu de l’Alliance va vers Jonas (la Colombe alias d’Israël) fils d’Amitaï (la Vérité divine) pour dire (lémor) c’est-à-dire que la parole du Ciel devient audible à l’oreille humaine.

On ne peut qu’être enchanté par la simplicité de l’interpellation divine vers Jonas qui ne répond pas, comme dans une relation filiale ou amoureuse ou l’un des partenaires se réfugie dans le silence, obtus ou vindicatif.

Curieusement, le Tout Puissant ne prend pas ombrage des incartades de l’Homme-Prophète dont il sait qu’il est droit, qu’il est Yachar, comme l’Eternel est droit, qu’il ignore la corruption, qu’il est apte à entendre la Parole de Dieu, car ne peut l’entendre que celui qui est droit, comme Israël au mont Sinaï a été en mesure d’abord de « Voir les Voix » puis d’entendre les dix Paroles venues d’en Haut, répercutées par Moïse et inscrites dans le marbre pour l’éternité.

Jonas est en fait, un grand prophète par sa simplicité et par son refus même de se croire à la hauteur de la mission imposée par le Ciel, comme Moïse avant lui, comme Jérémie comme Amos, Comme Osée, comme les vrais Prophètes d’Israël, il est forcé par Dieu et ne plie que sous la violence du vent saint du Rouah Hakodesh.

Le livre de Jonas, au delà de la Téchouva, rappelle que Dieu cherche l’Homme qui de son côté, est assoiffé de la Parole d’en Haut et la recherche, comme on se penche sur une source vive, car la Parole de l’Eternel est bénédiction qui nous invite à la Sainteté à l’image de Celui qui est Saint de toute éternité.

Charles Baccouche

 

 

 

 

 

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1 Comment

  1. Charles Baccouche, voici également l’éclairage biblique divin sur cette histoire de Jonas apporté par Jésus à des religieux juifs de son époque :

    « Alors quelques-uns des scribes et des Pharisiens prirent la parole et dirent [à Jésus]: Maître, nous voudrions voir un signe de ta part. Il leur répondit : Une génération mauvaise et adultère demande un signe, il ne lui sera donné d’autre signe que celui du prophète Jonas. Car,
    DE MÊME que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du grand poisson,
    DE MÊME le Fils de l’homme [c’est-à-dire lui-même] sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre» (Bible, partie Nouvelle Alliance, ou Nouveau Testament, Evangile de Matthieu-Lévi, chap.12, vers. 38 à 40)

    Jésus utilise cette situation antique vécue par Jonas pour nous parler de sa propre mort qui allait survenir (Jonas dans le ventre du grand poisson), et de sa résurrection qui suivrait (Jonas vomi sur la terre par le grand poisson). Ce vécu de Jonas est clairement une ombre ou image de la réalité vécue par Jésus.

    En fait, l’enseignement biblique messianique fait la lumière sur les vérités cachées des histoires antiques. C’est ce que l’apôtre Saul-Paul dit effectivement à ce sujet :

    – aux Romains (15, 4) : « Or, tout ce qui a été écrit d’avance l’a été pour notre instruction, afin que, par la patience et par la consolation que donnent les Ecritures, nous possédions l’espérance. »

    – et également aux Corinthiens (10, 11) en faisant référence à l’histoire biblique ancienne des Israélites notamment au cours de leurs pérégrinations dans le désert du Sinaï : « ces événements leur sont arrivés pour servir d’exemples et furent mis par écrit pour nous instruire, nous qui touchons à la fin des temps. Car, ajoute-t-il, ces événements anciens sont l’ombre et l’image des réalités venues et encore à venir… ».

    Tout a un sens. Tout a été vécu, rapporté et consigné fidèlement dans ce but divin précis de notre instruction pour nous faire comprendre les choses spirituelles. Cette prédestination des Ecritures à notre instruction sur la base de l’ombre ou image, sous diverses formes, de la réalité est véritablement une clé de lecture fondamentale des desseins divins, Jésus d’ailleurs en donne beaucoup d’autres exemples…

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