Hag pessah sameah : Alicante 1575

ALICANTE 1575… Don Juan Maria Tinto était le grand inquisiteur d’Alicante. À cause de cet homme cruel, cette ville était depuis peu le théâtre d’une  recrudescence d’autodafés.
Don Tinto régnait en maître sur les tribunaux, dénonçant, châtiant, condamnant. Troquant sa robe de bure pour d’anonymes vêtements, il n’hésitait pas, le soir, à se promener dans les rues de la ville pour épier les habitudes des citadins. Dès qu’un candélabre brillait derrière des volets le vendredi soir, dès qu’un fait lui paraissait anormal, il faisait arrêter les occupants de la maison, et rares étaient ceux qui parvenaient à se disculper. Gabriel Perez, un de ses protégés, l’aidait dans cette tâche difficile
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Un jour, Gabriel fut envoyé, seul, enquêter chez des suspects. « Lors de la Pâque juive, lui expliqua don Tinto, les marranes se trahissent toujours. Ils arrivent à commettre leurs rites sournoisement tout le long de l’année mais, ce jour-là, ils ne peuvent s’empêcher de baisser la garde. Les MELKI sont de récents convertis, de ces familles de Tlemcen qu’on a ramenées en Espagne il y a une trentaine d’années après avoir occupé cette ville. On a baptisé ces gens pour leur salut. Ils vivaient comme des sauvages là-bas et leurs âmes ne sont pas faciles à blanchir. Le diable est certainement encore en eux. » Gabriel fit mine d’acquiescer et Don Tinto le regarda partir avec satisfaction.
Ce soir là, le jeune homme disparut dans les ruelles, tentant de se calmer et surtout de se rassurer. Il tremblait de dégoût. Comment pourrait-il cautionner de tels actes ? Comment pourrait-il collaborer avec le Saint-Office ?  N’était-il pas prisonnier de son destin ? Il se sentait pris dans une nasse de lâcheté dont il ne pouvait s’échapper et il en avait honte. Tout à ses réflexions, il arriva à la hauteur de la maison des MELKI et tendit l’oreille. Tous volets fermés, il entendit une faible litanie. Don Tinto avait raison : ils priaient en hébreu fêtant la sortie d’EGYPTE, comme chaque foyer juif sur cette terre au même moment.
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Il frappa chez les MELKI et perçut un véritable affolement. Il frappa de nouveau fermement. Un homme d’une quarantaine d’années ouvrit, le visage blême. Il reconnut, en la personne de Gabriel, l’ombre du cruel don Tinto, et demeura paralysé sur place, au bord de l’évanouissement. Gabriel le poussa à l’intérieur, entra et referma vivement la porte derrière lui.
« Hag Sameach! Ne craignez rien. Je suis des vôtres, même si j’aide don Tito. Mais j’ai de plus en plus de mal à le supporter. », Dit-il.
MELKI reprit son souffle, sans pour autant bien comprendre la situation. Gabriel se dirigea vers la salle commune où la table était dressée comme il l’avait imaginé. Pas de Matsots, c’était trop dangereux, il était d’ailleurs interdit d’en fabriquer dans toute l’Espagne. Malheur à celui qui contrevenait à cette infraction! Les délateurs et les inquisiteurs veillaient au grain. Aucun livre de prières non plus, les livres en hébreu avaient été brûlés lors de la grande épuration du siècle passé par les sbires d’Isabelle la Catholique. Pas de vin cacher, simplement du jus de raisin, pas de kippa non plus, par mesure de sécurité, simplement l’évocation de cette sortie d’EGYPTE de leurs ancêtres qu’ils souhaitaient coûte que coûte ne pas oublier. MELKI, comme tous les marranes, ne faisait qu’une prière de circonstance, se rappelant des mots, parfois déformés, sans même en comprendre le sens, et qui lui avaient été transmis de façon orale par son père, qui les avait lui-même reçu de son père. Gabriel regarda les MELKI, hébétés, et les invita à s’asseoir.
« Prions ensemble. Récitons encore cette prière. » lança Gabriel. MELKI s’affola. Gabriel insista. « Prions, je suis des vôtres, vous dis-je. »
Alors tous prièrent. Un flot d’images submergea Gabriel. Il pensa aux siens, au bûcher qui avait pris son père et à sa survie possible que parce qu’il avait accepté d’aider les inquisiteurs. Mais il n’en pouvait plus.
« Tous ceux de Tlemcen sont suspects, dit-il ensuite, on va venir vous arrêter dans quelques jours et ce sera le bûcher. Il ne faut pas. Je ne dirai rien, bien sûr, mais pour l’amour de Dieu, partez. Don Tinto est fou. »
Don Tinto! L’inquisiteur soupçonnait depuis un certain temps Gabriel et ce soir là, guidé par une curiosité perverse, son missel sous le bras, il avait suivi son protégé. Tapi derrière la fenêtre des MELKI, les quelques mots qu’il perçut le stupéfièrent. Son protégé était un traître, un Antéchrist, un démon ! Il rentra, décidé à le confondre dès son retour. Mais, Gabriel au moment où il allait quitter la maison des MELKI aperçut au bout de la rue la silhouette de Don Tinto reconnaissable entre toutes. Son sang se glaça. Il venait de signer son arrêt de mort. Le souffle coupé, il expliqua aux MELKI que la seule issue était la fuite immédiate.
« Abandonnez tout, prenez l’argent que vous avez et filons au port. »
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Don Tinto attendait Gabriel de pied ferme. Il fulminait. Il allait le faire griller à petit feu, lui arracher les yeux, le faire dévorer par les chiens. Il alimentait sa fureur en inventant les pires supplices. Ensuite, il organiserait une descente armée chez ces hérétiques. De bons chrétiens ! Des crucifix au mur ! Il allait les broyer et finirait par le traître, l’abject traître.
Gabriel ne perdit pas de temps, il courut avec les MELKI jusqu’au port frapper chez Manuel, un pêcheur de ses connaissances, qu’il réveilla.
L’homme, un bon chrétien un peu simple, aux cheveux  malencontreusement roux, avait été suspecté de sorcellerie et Gabriel l’avait aidé à se disculper. Cette nuit-là, il reconnut son sauveur et lui vendit deux solides barques qu’il avait construites de ses propres mains pour pêcher au large, contre quatre pièces d’or. « Ne raconte à personne ce qui s’est passé ce soir. Et demain fais comme si on t’avait volé ces bateaux. » Le brave homme se recoucha, cachant sous son oreiller l’argent si facilement gagné, et s’endormit du sommeil du juste.
Lorsque don Tinto, inquiet de ne pas voir son protégé revenir, le fit chercher, celui-ci et les MELKI étaient déjà loin. Ils avaient retrouvé la liberté, comme leurs ancêtres fuyant l’EGYPTE, fuyant Pharaon.
Didier Nebot pour Morial
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