Au cœur de l’été dernier, un cadeau de shabbath, par le Rabbin Daniel Farhi

Cette semaine, après la tragédie de Pittsburgh, après la polémique engendrée par une annonce maladroite du Président de la République, je veux aborder un sujet plus léger, mais toutefois chargé de spiritualité. Il s’agit d’un de ces événements inattendus et tellement chargés de sens qu’on ne peut imaginer qu’ils soient arrivés par hasard. Je ne vous fais pas languir plus longtemps et je vous rapporte une rencontre survenue en pleine canicule le samedi 28 juillet dernier en notre maison de campagne dans l’Oise.

C’était l’après-midi et j’étais dans la cuisine dont une fenêtre donne directement sur la rue paisible de ce petit village de 500 habitants. On frappe à la fenêtre ; je me dis que c’est quelqu’un qui vient me proposer le ramonage de la cheminée ou l’élagage des arbres. Je vais ouvrir la fenêtre et je me trouve en face de trois petites éclaireuses appartenant aux Scouts Unitaires de France (catholiques traditionalistes). Je m’attends à ce qu’elles me demandent quelque monnaie pour leur mouvement. Pas du tout ! L’une d’entre elles m’explique qu’elles se trouvent en randonnée dans la région, qu’elles espéraient trouver dans le village une épicerie et … qu’elles ont faim ! Saisi de compassion pour ces demoiselles (de 14 à 16 ans) qui sont si polies et si désarmantes, je leur propose immédiatement d’entrer et qu’on verrait ce qu’on pourrait leur trouver à manger. C’est alors qu’elles me disent, un peu gênées, qu’en fait elles sont huit et que leurs camarades les attendent dans le village. Et bien sûr, tout ce petit monde a faim ! Je leur dis donc d’aller chercher leurs camarades et j’appelle Paule, mon épouse, ancienne éclaireuse israélite, pour qu’elle leur prépare de quoi se restaurer. Le temps que toute la patrouille arrive, Paule a accompli un petit miracle : sur la table roulante tirée au milieu du jardin se trouve un véritable festin ainsi que des boissons pour étancher la soif de chacune. Car en fait, nous l’apprenons, elles campent à cinq kilomètres de là et sont venues à pied jusqu’à notre village. Assises en cercle sur la pelouse, elles mangent de bon appétit et se passent les boissons.

Bien entendu, nous leur révélons que nous sommes juifs et chauds partisans du dialogue judéo-chrétien. Elles apprennent que je suis rabbin et doivent être aussi surprises de cette rencontre inopinée au cœur de la campagne picarde que nous d’accueillir ces éclaireuses catholiques. Nous les interrogeons sur leurs engagements religieux et moraux, sachant qu’elles appartiennent à un mouvement dissident de l’ensemble des éclaireurs/éclaireuses catholiques dans un sens plus traditionaliste. C’est ainsi que nous apprenons qu’il n’y a pas de mixité en leur sein et qu’elles s’accommodent très bien de ce que les filles soient entre elles et les garçons entre eux. Elles sont extrêmement polies et soucieuses de la hiérarchie à l’intérieur de la patrouille. Elles veillent à la propreté du lieu où elles prennent ce repas improvisé. L’une d’entre elles fait le service pour les autres. Après leur départ, rien ne traînera au sol et elles auront tout rangé à sa place. – Mais surtout, nous pouvons échanger de façon très intéressante avec chacune d’elle et nous rendre compte combien l’expérience scoute est pour elles un mode de vie. Nous leur racontons que le mois précédent, nous avons assisté à une confirmation collective dans la cathédrale de Meaux (dont j’ai rendu compte dans une précédente Lettre). Je ne sais pas si elles trouvent cela naturel, qu’un rabbin et son épouse assistent à un service religieux dans une église. Je leur raconte mon expérience d’enfant caché pendant la guerre chez une famille chrétienne.

Le temps passe et nous aurions voulu qu’il s’arrête tant cette rencontre était providentielle. L’échange se prolonge sans que personne ne songe à l’interrompre. La plupart de mes rencontres avec des Chrétiens se passent dans des lieux choisis : maisons paroissiales, églises, synagogues, salles de conférence. Mais cette rencontre-là en pleine campagne, sur l’herbe, avec huit jeunes filles engagées dans leur foi et pour autrui, est d’un ordre totalement différent. C’était un cadeau du Ciel en ce shabbath caniculaire, à mille lieues des contingences de ce monde. C’était comme un instant d’éternité, de temps suspendu, de grâce incomparable. Nous avons appris que chacune de ces petites éclaireuses avait une fonction : Ombeline, la chef de patrouille et « transmettrice » ; c’est elle seule qui détient un portable et uniquement si des circonstances exceptionnelles en commandent l’usage ; Marguerite, la « boute-en-train » (eh oui, c’est une fonction) ; Cécile la topographe ; Amicie la liturgiste, c’est elle qui dirige la prière (elle porte un béret et des manches longues sur les photos ci-jointes) ; Prune l’infirmière ; Jeanne la sportive chargée de l’exercice physique ; Marie la cuisinière (fonction ô combien précieuse) ; Soline, Maître Feu. A elles huit, ces jeunes filles basées à Chantilly représentent une société complémentaire et solidaire. Capables de méditation intérieure, d’organisation communautaire au sein d’une troupe, elles sont aussi tournées vers le monde extérieur et prêtes à tout moment et en tout lieu à venir en aide à ceux qui en ont besoin. Dans un monde bien trop souvent voué à l’égoïsme et au chacun pour soi, au matérialisme, au consumérisme et à la recherche de pouvoir, il est rassurant de savoir qu’il existe des jeunes pousses pour des lendemains plus radieux. Et constater que la foi religieuse peut porter et apporter des valeurs humaines essentielles a de quoi réconcilier l’homme, Dieu et son prochain.

Ce cadeau sans prix que fut cette rencontre au cœur de l’été, alors que l’automne nous apporta tant de sujets de désespoir et de craintes, me confirma que loin des intégrismes en tous genres, les religions peuvent et doivent éclairer le monde. Bénies soyez-vous toutes les Ombeline, Marguerite, Cécile, Amicie, Prune, Jeanne, Marie, Soline et tous les autres qui marchent résolument sur les voies du Dieu-Un, Créateur de l’univers !

Shabbath shalom à tous et à chacun,

Rabbin Daniel Farhi

 

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