Ne pas L’invoquer en vain, par Daniel Farhi

Les utilisateurs de Facebook ont à leur disposition une infinité de moyens de communiquer. Ils peuvent le faire via messenger et alors leurs écrits restent confidentiels : c’est comme s’ils envoyaient une lettre à un correspondant.

Personne d’autre que ce dernier n’y aura accès. Ils peuvent aussi « poster » un contenu destiné à une liste d’envoi, à des amis choisis, à l’ensemble des amis Facebook, enfin au public. Dans ce dernier cas, tout un chacun, inscrit sur Facebook peut lire et commenter le « post » ainsi diffusé. Sur la magie, mais également sur la dangerosité de ce moyen moderne de communiquer, il y aurait beaucoup à dire. Peut-être y reviendrai-je dans un prochain billet. Aujourd’hui, après un long silence involontaire, je voudrais simplement attirer l’attention de mes lecteurs juifs sur l’utilisation intempestive de certaines expressions de circonstance.

Comme chacun sait, le troisième des dix commandements solennellement promulgués du haut du mont Sinaï à l’intention du peuple hébreu réuni là cinquante jours après sa sortie d’Egypte, dit ceci (Exode, 20:7) : « Tu n’invoqueras pas le nom de l’Eternel ton Dieu en vain, car l’Eternel ne laisse pas impuni celui qui invoque Son nom en vain ». Des volumes ont été écrits par les maîtres de notre tradition à ce sujet à travers les âges. Ils ont imaginé toutes les possibilités qui peuvent se présenter de transgresser ce commandement. L’une d’entre elles est de prononcer une formule ou une bénédictionלבטלה (levatala), pour rien, sans objet. Ainsi l’idée de ברכה לבטלה (berakha levatala), une bénédiction prononcée en vain, s’applique-t-elle à un acte qui ne justifie pas une bénédiction, ou à une bénédiction prononcée une seconde fois parce qu’on a oublié si on l’avait déjà prononcée. Dans ce cas, dit la tradition, on doit s’abstenir, car cela équivaudrait par exemple à exprimer sa reconnaissance de façon exagérée : merci, merci, merci, ce qui pourrait apparaître comme une moquerie !

Les exemples pourraient être exposés à l’infini. Je voudrais m’arrêter sur quelques expressions qui, sorties de leur destination première,finissent par devenir choquantes dans la mesure où elles mêlent Dieu à des choses insignifiantes, ou pire encore à des blasphèmes. Nos coreligionnaires aiment ainsi émailler leur discours de fréquents baroukh hashem, béni (soit) le Nom (de Dieu), autrement dit : Dieu soit loué. On peut comprendre que l’homme tienne à exprimer sa gratitude à son Créateur devant certaines situations ou phénomènes ; d’ailleurs la liturgie a prévu des bénédictions des événements naturels, soit qu’ils se reproduisent quotidiennement, soit qu’ils aient un caractère exceptionnel. Certes, le fait de remercier tous les matins Dieu pour avoir donné « au coq l’intelligence (!) pour distinguer entre le jour et la nuit » peut paraître limite dans la perspective que je viens d’évoquer. Disons qu’il s’agit là pour l’homme de reconnaître le bon agencement de l’univers et d’y trouver sa place. En revanche les personnes qui se croient obligées d’invoquer le nom divin pour un oui ou pour un non, s’imaginant peut-être faire montre d’une grande religiosité, vident l’expression de son véritable sens. Je pense – mais ce n’est pas très charitable – à cette blague juive d’un homme qui demande à l’officiant un samedi matin de pouvoir réciter la bénédiction dite birkat hagomel que l’on dit après avoir échappé à un grave danger. L’officiant lui donne donc la permission de le faire. Bien sûr, dès la fin de l’office, tout le monde entoure l’homme pour s’enquérir du danger auquel il a échappé. Alors il raconte que sa maison jouxte la voie ferrée et que sa femme étendait ses chemises par un jour de grand vent. L’une d’elles lui a échappé et s’est envolée sur la voie ferrée. Et alors ? l’interrogent les assistants. Alors ? Vous vous rendez compte si j’avais porté cette chemise ! – Je crois vraiment que le commandement de ne pas invoquer le Nom de Dieu en vain doit faire l’objet d’une plus grande vigilance. Il ne faut pas galvauder le divin en le mettant à toutes les sauces.

Mais il y a pire, et c’est là le but de ma réflexion. Sur Facebook, les tragédies de l’actualité visionnent avec les annonces de décès. Nous savons hélas combien les attentats, les crimes de toutes sortes viennent trop régulièrement endeuiller notre quotidien. Il existe plusieurs formules pour dire sa tristesse, partager le deuil des familles de victimes. En hébreu, il en est une qui, utilisée sans y réfléchir est susceptible d’aggraver encore la douleur des endeuillés ; c’est ברוך דיין האמת (baroukh dayane haémeth), « béni soit le Juge de vérité ». Certains simplifient avec les initiales BDH ! Quelle horreur ! Comment, après l’assassinat d’une famille, d’un jeune homme ou d’une jeune fille, écrire, en guise de consolation : béni soit le Juge de vérité, attribuant à Dieu la volonté que s’accomplisse une telle tragédie ? Est-ce Dieu qui arme la main du criminel ? N’est-ce pas intolérable que de mêler le Dieu de miséricorde à toutes ces disparitions tragiques qui détruisent à jamais des centaines de familles ? Alors, de grâce, chers amis « facebookiens » et tous les autres, si vous voulez vraiment essayer de partager la douleur des familles de victimes du terrorisme, ou d’accidentés de la route, ou de morts prématurées, ou pire encore de jeunes enfants, n’invoquez pas le nom de Dieu ou craignez d’éloigner à jamais tous ces malheureux de la religion. Vous pouvez employer les formules : « Puisse son âme être réunie dans le faisceau de la vie éternelle », « Puisse-t-il/elle reposer en paix », « Puisse son souvenir nous être une bénédiction ». Trouvez n’importe quelle expression que votre cœur vous dictera, mais je vous en prie, réfléchissez avant de parler ou d’écrire des formules machinales qui, dans certaines circonstances, peuvent faire plus de mal que de bien.

Oui, vous pouvez employer des expressions que notre tradition a prévues, mais faites-le à bon escient. Une parole de réconfort prononcée au bon moment peut être un baume pour panser une blessure. Prononcée hors de saison, elle peut se révéler un poison redoutable. Le judaïsme, comme d’autres religions, a prévu les formes que peuvent revêtir les étapes de la vie et de la mort. Ce faisant, il a voulu exprimer l’omniprésence de Dieu dans nos existences. Recourir à certaines formules peut être d’un immense réconfort et inciter chacun d’entre nous à intégrer le Créateur de l’univers à nos joies et à nos peines, à nous élever au-dessus de réactions brutales dictées par les événements qui tissent notre chemin terrestre. Ainsi, le vœu qui suit immédiatement cette péroraison veut vous souhaiter un shabbath de paix à partager avec tous ceux qui vous sont chers. Il s’adresse aussi aux malades, aux prisonniers, à ceux qui n’espèrent plus, à ceux qui souffrent, à ceux qui oeuvrent pour la paix à travers le monde.

Shabbath shalom  à eux tous et à chacun d’entre vous.

Daniel Farhi

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