Interview : parution du livre sur Edgar Faure

« Edgar Faure, Secrets d’Etat – Secrets de famille » sort le 14 avril.

Edgar et Lucie Faure : un modèle d’union

edgar-faurelivreAu-delà de l’homme d’état qu’était Edgar Faure, cet ouvrage retrace un aspect moins connu de la vie du Président du Conseil, qui a caché sa femme parce que juive. Aux côtés de Luc Corlouër, Rodolphe Oppenheimer-Faure, le petit-fils, signe un portrait attendrissant d’un couple, précurseur dans bien des domaines.

 Luc Corlouër
Luc Corlouër

1) Dans beaucoup de familles éprouvées par la guerre, le vécu personnel a souvent été occulté. Votre grand-père vous parlait-il de la période pendant laquelle il a caché son épouse parce qu’elle était juive ?
« Il n’existait dans notre famille aucun sujet tabou… Peut-être parce que ma mère était psychanalyste ! Je plaisante mais lui rends aussi hommage, ainsi qu’à mon père naturellement que j’ai le plaisir de voir très régulièrement. Toute ma famille avait cette liberté de ton, Liberté tout court. Lucie Faure née Meyer était particulièrement pudique concernant cette terrible épreuve de sa vie. Bien des membres de sa famille et des proches furent pourtant déportés mais plus encore elle-même avait de quoi être fière de son activité pendant la résistance. Elle l’a exercée entre autres noms restés célèbres, aux côtés de Pierre Mendès-France et de Maurice Druon dont on oublie aujourd’hui trop souvent qu’il est l’auteur des paroles du « Chant des Partisans », la chanson qui servit de ralliement à ceux qui refusaient la terreur nazie.  Edgar Faure avait à jamais lié son destin à celui de sa femme. Ce fut d’abord pour le pire, ensuite pour le meilleur et pour longtemps ! »
2) Au procès de Nuremberg, votre grand-père a mené le contre-interrogatoire de Von Ribbentrop. Ce combat n’est-il pas similaire à celui mené par Beate Klarsfeld ?
« Dans les moments de la vie où tant de destins se jouent, il n’est pas vraiment de similarité entre les combats si ce n’est que chacun mène le sien pour une même cause vitale, avec ses propres moyens et sa personnalité. Ce sont deux êtres d’exception, chacun avec ses armes.  E.Faure depuis la Tunisie et ensuite depuis Nuremberg alliait une vie publique d’avocat et de combattant de l’ombre ».
Rodolphe Oppenheimer-Faure
Rodolphe Oppenheimer-Faure

3) On vous sent très ému lorsqu’il s’agit d’honorer la mémoire de vos grands-parents. Quels souvenirs gardez-vous de la relation qui vous unit à eux ?
« Une relation particulièrement forte et étroite, de confiance et d’intimité. Nous habitions tous ensemble et nous avions des échanges sur tout. Il ne pouvait exister de meilleur apprentissage pour les choix de ma vie, de meilleur exemple que des personnages de cette dimension pour les valeurs que je défends. Aujourd’hui encore tous les jours, je leur rends grâce pour l’exemple qu’ils m’ont donné en me permettant d’être (modestement) ce que je suis ».
4) Ce livre traduit sans doute la force de caractère dont Edgar Faure a fait preuve au cours de l’un des moments les plus importants de sa vie et révèle ainsi l’humanité d’un homme d’état ?
« Mon grand-père était un humaniste. Il était prêt à tout, à tout moment et à toutes les époques de sa vie pour défendre l’intégrité physique, morale et existentielle de l’Homme. Je me souviens le voir quitter en pleine nuit son domicile pour sauter dans un avion et voler au secours d’hommes qui subissaient à travers le monde les injustices de la vindicte populaire. Le véritable humanisme, quand ce mot et cette vision de l’homme ont un sens, est un combat quotidien et c’était un vrai combattant. Son parcours d’homme d’Etat et de Loi en témoigne jusqu’à sa mort, comme j’ai essayé de le montrer tout au long de ce livre ».
5) Votre grand-mère, qui a créé la revue la Nef, a été un soutien indéfectible de son époux. N’était-ce pas une femme avant-gardiste pour son époque ?
« Ma grand-mère a joué un rôle essentiel et fondamental dans la vie et l’œuvre de mon grand-père. Elle a été son seul et meilleur soutien, son seul conseil aux moments-clés de sa vie. En politique, de l’après-guerre à sa mort, elle lui a permis de faire toujours les bons choix pour son pays et ce, même parfois au détriment de sa propre carrière. Elle s’est souvent effacée pour lui, mais heureusement avait su garder un espace de liberté et de créativité qui n’appartenait qu’à elle. Depuis la création de La Nef en 1942, son œuvre romanesque et le cénacle qu’elle avait su réunir autour d’elle lui permettaient de donner toute sa dimension. Intellectuels, artistes, philosophes, français et étrangers, Roland Barthes, Jacques Lacan, Claude Levi-Strauss, pour n’en citer que quelques-uns se réunissaient autour d’elle. Je suis particulièrement fier qu’aujourd’hui à Paris, un lycée porte son nom ».
6) Lucie Faure était d’abord une romancière, mais ses thèmes de prédilection (suicide, homosexualité…), assez tabous à l’époque, n’ont-ils pas fait d’elle une véritable femme politique ?
« En effet, elle avait une vision de la femme très en avance sur son temps mais aussi de l’homme, lorsqu’il ne se définit pas seulement par son mode de vie ou ses choix intimes. L’être fut toujours plus important pour elle que le paraître. L’ensemble de son œuvre romanesque en témoigne et les problèmes de société qu’elle soulevait étaient universels. D’ailleurs, certains de ses romans ont été adaptés au cinéma et à la télévision ».
7) Comment ces prises de position étaient-elles ressenties du côté du bocal politique et littéraire dans un univers très masculin ?
« Mal ! Mais elle avait une chambre d’écho dans les coulisses des tribunes de la République. Elle s’était faite une place à part, à côté de Marguerite Duras ou Simone De Beauvoir. Elle avait une légitimité confortée par la « nef » qui lui permettait d’aborder les sujets les plus délicats. Rien qu’en politique, trois présidents de la République et nombre de ministres se sont exprimés pendant plus de vingt ans dans sa revue ».
8) Les préfaces de deux radicaux, l’un de gauche et l’autre de droite, expriment un bel hommage à cet homme de consensus qu’était votre grand-père. La politique actuelle ne manque-t-elle pas de personnalités comme celle d’Edgar Faure ?
« L’époque ne s’y prête pas. Les propos politiques se divisent dans la multiplication d’interviews tous azimuts et la crédibilité l’emporte sur la compétence. Je ne vise personne mais constate un système médiatique fondé sur l’immédiateté des réactions à l’actualité. Le factuel remplace trop souvent la réflexion. La crise économique ne justifie ni le recours aux extrêmes, ni à la pensée unique. Les grands avocats, Léon Blum, François Mitterrand, Edgar Faure ont donné de grands présidents de la République… ou du Conseil ! Leur parcours s’est nourri en prise sur la vie réelle et pas seulement dans les amphis des grandes écoles. Les techniciens, les « spécialistes » ou réputés comme tels, n’ont pas toujours une vision pour l’histoire ni pour leur pays ».

Propos recueillis par Magali Barthès

 Edgar Faure en quelques dates :
– 18 août 1908 : Naissance à Béziers

 – Diplômé de droit, lettres et langues orientales (russe)
– 1929 : Devient avocat au barreau de Paris
– De 1950 à 1973 : Ministre du Budget, de la Justice, des Finances, des Affaires économiques et du Plan, des Affaires étrangères, de l’Agriculture, de l’Education nationale, des Affaires sociales
– 1952, 1955 à 1956 : Président du Conseil
 
 

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