Procès Merah : Parole à ceux qui doivent survivre, par Sarah Cattan

Dix-huitième jour d’audience au procès Merah. Il ne reste plus qu’une semaine avant le verdict, qui est attendu jeudi 2 novembre. Ce matin, dans la salle Voltaire, des bancs plus étoffés qu’à l’accoutumée : c’est une journée particulière puisque ce matin, après plus de trois semaines de procès, les proches des victimes s’exprimeront.

Rappelons que le frère de l’autre, jugé pour complicité d’assassinat, dément toute implication, et que interrogé hier sur ses podcasts djihadistes au contenu accablant, il avait répondu qu’il voulait juste se documenter.

Aux parties civiles d’avoir la parole, elles qui incarnèrent la dignité lorsque celle-là manqua au procès.

En route pour des témoignages poignants. Poignants, mais pas pour tous. Faut pas exagérer hein. Et faut la supporter sans broncher, l’attitude du principal accusé, dans son box : rien. Ne cherchez pas. Vous n’y trouverez nulle compassion. Il lui a pas dit, Acquittador, à son client, d’avoir l’air triste ce matin ?

Samuel Sandler, père de Jonathan Sandler et grand-père d’Arié et Gabriel, commence sa déposition par une anecdote : Quand j’étais petit, je jouais avec des petits soldats. Mes parents me demandaient d’en prendre soin car ils appartenait à mon cousin Jeannot. Jeannot s’est fait arrêter en 1943, déporté à Drancy, vers les camps de la mort. Je me suis un peu consolé en me disant que plus personne ne tuerait de Français car ils étaient de religion juive.

Ben non. Il y eut encore ce 19 mars 2012, pire que l’enfer : L’assassin de mon fils et de mes petits-enfants était fier et a filmé ses actes. Je ne prononce pas son nom. Si je le prononçais, je lui donnerai une certaine étincelle d’humanité. Des témoins ont dit que le maître à penser pouvait être son frère. C’est un petit Eichmann de quartier. Le frère de l’assassin n’a pas été capable une seule fois de citer correctement les noms des victimes. Monsieur Sandler, il donne là le détail qui tue. Le nom des victimes écorché. Même ça, il ne lui a pas dit de faire un effort, son avocat ?

Au tour de Nicolas R. Lui était là le jour de l’attaque du 19 mars à l’école Ozar Hatorah. Comme tous les matins, je suis allé à l’école. Avec mon fils de 17 ans, j’ai essayé de porter secours aux victimes de Mohamed Merah. J’ai fait du bouche à bouche à Myriam. Nous étions accroupis tous les deux devant Myriam qui avait les yeux ouverts. J’avais l’impression qu’elle était toujours en vie. J’étais dos à Gabriel Sandler. Sur le moment, ma seule pensée c’était de m’occuper de Myriam. Moi je faisais du bouche à bouche et mon fils un massage cardiaque. J’ai continué jusqu’à ce que les secours arrivent. Il y avait des bulles qui sortaient de son nombril. Je n’ai pas vu tout de suite l’impact dans la tête. Quand les secours sont arrivés, cinq minutes s’étaient écoulées. Je me suis levé. J’avais un goût de sang et de vomi dans la bouche. Ce goût, je l’ai encore. Nicolas, il raconte que son fils est depuis suivi en psychiatrie. Comme lui. Il dit les conséquences de cet attentat sur sa vie. Ses troubles de la concentration au travail, son traitement, la fatigue.

Voilà Caroline Chennouf. Elle, ses larmes l’empêcheront de témoigner. Elle est l’épouse du militaire Abel Chennouf, et était enceinte le jour du massacre. Eden n’a jamais connu son père.

Albert, père d’Abel Chennouf, venait de s’exprimer sur Radio J. Il raconte ce 15 mars 2012. Il était en train de jardiner lorsque l’un de ses fils l’a appelé pour lui dire d’allumer la télévision car il se passait quelque chose à Montauban. Il dit à la Cour comment il a l’intuition que son fils était mort. Comment l’annonce fut faite. D’Abel, il dit qu’il aimait l’OM et sa famille. Albert, il redit la promesse faite à Abel : Va mon enfant, dors en paix. Je saurais pourquoi tu as été tué. Il s’en prend à la justice et à l’Etat, complices de ce qu’il se passe ici en France. Pour lui, l’affaire Merah est la mère des attentats. Il s’adresse enfin à l’indécent Maître Dupond-Moretti : Nous aussi famille de victimes, on a perdu 7 enfants contrairement au tueur qui a programmé jusqu’à la manière et la date de trouver la mort. Je respecterai le verdict car je suis légaliste. Je n’attends rien de la partie adverse.

Au tour du frère aîné d’Imad Ibn Ziaten. Il dit sa révolte devant celui qui dit ouvertement ne pas adhérer aux lois de la République et évoque ce paradoxe : il est défendu par des avocats alors qu’il ne respecte pas la loi des hommes. Il dénonce l’idéologie et la stratégie islamistes : Tuer des enfants, ça me fait penser au nazisme. Ils ont pris en otage notre religion. Il est révolté que le frère de l’autre ose dire son souhait que son petit frère soit au paradis. Il conclut : l’affaire Merah, c’est l’acte I. L’acte II, c’est tous les événements tragiques qu’a connus notre pays. Charlie Hebdo, le Bataclan. Il évoque enfin son frère, qui refusa de s’agenouiller, ce militaire qui avait la République dans le cœur. Il nous enjoint à résister face à cette terreur et dit sa confiance en la justice : Il ne faut pas libérer ces gens qui sont dangereux pour la souveraineté de notre nation.

Naoufal, son petit frère, parlera juste d’Imad, de sa joie de vivre, sa carrure sportive. De celui qui lui avait appris La Marseillaise. Lui aussi raconte l’annonce. Le moment déchirant où il apprendra la nouvelle à sa mère. Je n’arrive pas à sortir de ce deuil, finit-il.

Enfin, parole est donnée à la sœur d’Imad : Depuis le 11 mars 2012, ma vie a basculé, dira-t-elle. Elle se souvient du choc devant le cercueil, à la morgue. Imad était tellement fier de sa carrière militaire, de son engagement pour la France, tellement fier que quand on se retrouvait en famille, il se vantait de ses exploits, conclut-elle, après avoir rappelé qu’en arabe, Imad signifiait pilier.

Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, dit sa fierté d’être française. Son fils était joyeux. Il avait un bac + 4. Il pratiquait sa religion musulmane, il faisait sa prière, son ramadan. Le jour du décès d’Imad, Latifa Ibn Ziaten dit qu’elle ne se sentait pas bien. Vint l’appel de son fils, vint l‘annonce. Elle accuse Abdelkader Merah de ne pas avoir mis son petit frère sur la bonne voie. Ça ne leur a pas plu, l’histoire du paradis : Monsieur le président, quand on tue gratuitement, on ne va pas au paradis, quelle que soit la religion. C’est une secte, ajoute-t-elle. Un danger pour notre société.

La mère de Caroline, l’épouse d’Abdel Chennouf, prend la parole. Sa fille était enceinte de six mois et demi au moment de l’assassinat de son mari. Elle raconte le moment où les policiers rendirent à sa fille l’alliance encore ensanglantée de son mari. Si l’accusé est remis en liberté, ce sera une bombe qui explosera dans quelques temps, conclut-elle.

La sœur de Mohamed Legouad, militaire tué à Montauban, dénonce cette couverture pour leur religion qui s’appelle le terrorisme. Elle demande au Président comment on fait le deuil d’un frère assassiné. On l’appelait Chems, ça veut dire soleil. Elle dit combien le nom du monstre est insupportable à entendre, lorsque ceului de chaque vixtime reste tu. Elle, elle l’évoque, le sixième pilier de l’islam dont a parlé l’accusé, le djihad. Le procès, elle le décrit comme une pièce de théâtre.

Un ancien élève de l’école Ozar Hatorah s’exprime devant la cour. Juste pour rappeler leur nom : Jonathan, Ariel, Gabriel Sandler, Myriam Monsonego.

Une autre élève vient à son tour. Elle vivait alors dans la famille Monsonego. J’allais à l’école tous les matins avec Myriam, à 8h, pour la prière. Ce matin-là, elle est partie seule, avec son père. Elle raconte : J’ai vu les collants plein de sang de Myriam. J’étais tétanisée. J’ai compris que c’était fini.

Voilà. Ils sont les victimes collatérales du monstre. Lui, Eden, atteint d’un nystagmus, une perturbation de la coordination des muscles de l’œil[1]. Il ne parle pas. Croyez-vous que ce serait une conséquence de l’affaire susnommée. Cette mère qui par deux fois a attenté à ses jours. Ceux-là qui ont quitté la France. Celle-là qui consacre sa vie à aller parler dans les écoles. Lui a changé de métier, recyclé désormais en père de victime. Lisez son témoignage : Abel, mon fils, ma bataille : Pour que la vérité éclate sur l’affaire Merah[2].

Il aura du mal, Maître Dupond-Moretti. Tant ce procès, dont le frère de l’autre aura du mal à sortir blanchi, est aussi celui des absents : un monstre. Ses acolytes. Un Etat défaillant.

Sarah Cattan

[1] Association Aidons Eden. 317 chemin de la Treille. 30129. Manduel.

[2] Editions du Moment. 7 mars 2013.

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