Les victimes de Merah, entre dépit et colère

Cinq ans après les faits, les victimes de Mohamed Merah, le « tueur au scooter », restent anéanties de douleur. La plupart d’entre elles attendent peu du procès qui s’ouvre aujourd’hui, et certaines ont d’ailleurs fait le choix de ne pas assister aux audiences. D’autres comptent dénoncer haut et fort l’instrumentalisation de l’islam par les djihadistes.

« Je ne suis nulle part », murmure Yaacov Monsonego. Sa petite dernière, Myriam – regard mutin, blond vénitien, rire espiègle – venait de fêter ses 7 ans quand elle a été tuée par Mohamed Merah devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse. Ce 19 mars 2012, le terroriste ne lui a laissé aucune chance : il l’a saisie par les cheveux et l’a exécutée froidement d’une balle dans la tête. « Ma petite est au ciel aujourd’hui. Moi, je ne suis ni là-bas, ni ici. Je ne suis nulle part », lâche son père, d’une voix blanche.

Cinq ans ont passé mais la douleur est là, infinie et définitive. Certains apprivoisent le deuil. « Moi, non », s’agace-t-il. Et se ravise : « Enfin si… Aujourd’hui, je ne hurle plus de douleur. Voilà. Pour le reste, ma souffrance est intacte. »

Sa raison d’être désormais, c’est son école, rebaptisée Ohr Torah (Lumière de la Torah), qu’il continue de diriger. Bunkerisé, l’établissement a perdu le tiers de ses effectifs depuis la tuerie, mais Yaacov et son épouse se démènent pour le faire vivre. « ”Construire” un maximum d’enfants, les rendre heureux, c’est la seule chose qui nous importe », explique-t-il, tout en avouant se sentir souvent « en marge de la vie ».

Du procès qui s’ouvre aujourd’hui, il n’attend rien. Il n’ira pas aux audiences, n’a aucun message à délivrer aux prévenus. « Je suis incapable de haïr », dit-il simplement, las.

Eva Sandler éprouve-t-elle un même dépit ? L’épouse de Jonathan Sandler (30 ans) et la maman d’Arieh (5 ans) et de Gabriel (3 ans), tous les trois assassinés devant l’école, ne sera pas non plus du procès. « Cette femme… on a éradiqué sa vie », résume son avocat, Me Simon Cohen. Elle qui disait par le passé : « Quand je vivais en Israël, j’avais toujours peur pour mon mari et mes enfants, mais à Toulouse, pas du tout ! »… a fini par s’installer à Jérusalem. Elle y vit désormais avec sa petite dernière, seule survivante de la fratrie. Là-bas, elle a ouvert un centre talmudique portant le nom de son époux. La mémoire de cet exégète biblique prévaut en Israël. Moins en France.

Cette forme d’oubli ajoute encore à la tristesse du père du défunt, Samuel Sandler« Si j’assiste au procès, c’est simplement pour perpétuer la mémoire de mon fils et de mes petits-enfants », précise-t-il, et pour « contrebalancer » la notoriété de l’assassin. Il ne supporte plus de voir le nom des Merah s’étaler dans les médias et plaide pour l’anonymisation des terroristes : « Privons de nom ceux qui nous ont privés de vie », demande-t-il.

Au-delà, lui aussi est sans illusion sur ce procès. « Rien. Il n’y a rien à comprendre. » L’homme est doux, sa voix est posée mais ses mots sont tranchants, à l’évocation du « tueur au scooter » : « Je ne peux pas considérer comme un être humain celui qui a été capable de tuer mon petit-fils de 3 ans, avec sa tétine dans sa bouche. Et qui s’est filmé en train de l’exécuter… »

Cette cruauté peut le faire vaciller intérieurement. « Je me demande souvent où était le bon Dieu ce 19 mars. Et je n’ai pas beaucoup de réponses », glisse cet ancien président de la communauté juive de Versailles. Partisan depuis toujours du dialogue interreligieux, Samuel Sandler trouve aujourd’hui les responsables musulmans « bien silencieux » face aux drames récents. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à trouver « remarquable » la démarche de Latifa Ibn Ziaten, la maman d’Imad (30 ans), ce parachutiste instructeur de l’armée française qui fut le premier à être assassiné par Mohamed Merah.

Depuis la mort de son fils, elle sillonne cités, écoles, prisons pour sensibiliser les jeunes « à la dangerosité des dérives sectaires ». Elle appelle le reste de la société à « regarder le parcours » des djihadistes pour s’attaquer vraiment aux racines du mal. Ce qui lui vaut de sérieuses inimitiés, tant du côté des plus radicalisés – qui voient en Merah « un ”héros” de l’islam » – que de la part de ceux pour qui « comprendre », c’est déjà « excuser ».

Latifa Ibn Ziaten encaisse et continue, flanquée désormais d’agents de sécurité. Menaces de mort obligent. « J’ai perdu un enfant, qu’est-ce qui peut m’arriver de pire ? », dit-elle avec détachement. Elle assistera bien au procès et affrontera les complices présumés de l’assassin. « Je tiens à ce qu’ils me regardent en face, qu’ils voient toute cette douleur, là, étalée sur le banc des victimes », lance-t-elleElle entend bien profiter des audiences pour dénier aux prévenus le droit de se réclamer de la même religion qu’elle. « Ces gens emprisonnent l’islam ! »

Même état d’esprit chez Djemaa Legouad. Son fils Mohamed, soldat au 17erégiment du génie parachutiste basé à Montauban, figure lui aussi parmi les victimes de Merah. « Sa maman viendra redire à l’audience combien sa religion n’a rien à voir avec celle dont se réclame l’assassin », explique l’avocat de la famille, Me Olivier Morice. La famille Legouad n’hésite pas à parler de « double peine » : « à la souffrance d’avoir perdu Mohamed s’ajoute le fait d’appartenir, en tant que musulmans, à une communauté de plus en plus stigmatisée », poursuit l’avocat.

Radia, l’une des sœurs du défunt, promet de venir à la barre honorer la mémoire du « petit dernier » de la fratrie, dire combien il était « charismatique, altruiste, tolérant », à l’image de son second prénom « Chams » (« soleil » en arabe). Elle témoignera aussi de sa pratique de l’islam, qui était paisible et sans ostentation.

« Mohamed avait l’amour du service à la nation tout en étant très attaché à sa confession musulmane », résume Me Morice. Un parcours à l’opposé de son bourreau. Étonnants destins croisés que celui des deux Mohamed, qui avaient le même âge (23 ans), étaient tous deux issus de l’immigration algérienne et avaient grandi en cité HLM. Deux jeunesses parallèles.

Aux côtés de Mohamed Legouad, en cet après-midi insouciant de mars, se tenait le parachutiste Abel Chennouf (25 ans), assassiné lui aussi par Mohamed Merah. Son père sera présent aux audiences. Mi-kabyle mi-alsacien, portant haut sa foi chrétienne, Albert Chennouf-Meyer avait bouleversé la France, il y a cinq ans, en présentant ses condoléances à la mère de l’assassin, estimant « qu’on peut engendrer un monstre, on n’en reste pas moins une maman ».

Il n’est plus que colère aujourd’hui. Colère vis-à-vis de la justice, des gouvernants, des médias qui tous, à l’entendre, auraient concouru à « faciliter la tâche aux ”nazislamistes”’ qui ont tué 350 Français depuis 2012 ». Il assistera au procès mais, avant tout, pour en dénoncer l’hypocrisie. Car, pour lui, les autorités ont leur part de responsabilité dans le drame.

Il met en cause les failles dans la surveillance de Mohamed Merah. La famille Chennouf a d’ailleurs engagé une procédure contre l’État. En vain : si des « erreurs » ont bien été reconnues, la « faute lourde » de l’État n’a pas été retenue. De quoi renforcer encore la rage du père de famille.

Pour lui, le procès qui s’ouvre ne devrait pas être uniquement celui des complices présumés de Merah, mais celui « de l’État, des hauts fonctionnaires et des auxiliaires de justice, le procès aussi de l’islam et du pouvoir politico-judiciaire. C’est une mascarade organisée pour des incompétents afin de se donner bonne conscience. C’est le procès des lâches qui ont contribué à tuer mon fils ». Tout cela, il promet de venir le crier à la barre.

Il viendra aussi raconter sa famille anéantie. Son épouse qui, un temps, rejoignait le cimetière en pleine nuit pour aller dormir sur la tombe d’Abel. Ou son petit-fils, Eden – né deux mois après l’assassinat de son père – qui souffre d’un nystagmus, une maladie grave l’empêchant de regarder son interlocuteur de face et le destinant à une cécité certaine s’il n’est pas prochainement opéré.

« Les médecins sont partagés, explique Me Béatrice Dubreuil. Certains estiment que cela découle du choc ressenti par sa maman, enceinte lorsqu’elle a appris la mort d’Abel. D’autres ne font pas le lien. » Pour l’avocate des Chennouf, Eden fait bel et bien partie des victimes oubliées de Mohamed Merah.

Tout comme les blessés, grands absents des commémorations. Loïc Liber (27 ans) est l’un d’eux. Il sera du procès… sans vraiment y être. Le militaire suivra les débats par visioconférence depuis sa chambre d’hôpital des Invalides. Immobile. Laissé pour mort aux côtés de ses camarades Chennouf et Legouad, il a survécu mais est désormais tétraplégique.

« Loïc ne témoignera pas à l’audience. Il ne tient pas à affronter le regard du public », explique son avocate, Laure Bergès-Kuntz. Sa mère fera le voyage de Guadeloupe pour venir à la barre raconter son fils, sa jeunesse fauchée, ses ambitions anéanties et ses journées sans fin. Dire, aussi, le moral qui fluctue.

« C’est par vagues. Des fois ça va, des fois ça ne va pas », confiait récemment le militaire à la chaîne Outre-mer 1re, dans un très rare entretien. « Tant bien que mal, je m’accroche à la vie.Quand ça ne va pas je me dis que demain sera un autre jour… J’ai la foi. » Et une détermination de « para ».

Après avoir bataillé neuf mois pour retrouver l’usage de la parole, il s’astreint désormais à des exercices quotidiens pour retrouver quelques sensations. Sa dernière victoire : réussir à bouger tête et épaules. Son mantra : « Kimbé rèd pa moli ! » (« Tiens bon, ne faiblis pas ! » en créole).

Le dernier rescapé était un gamin à l’époque des faits. Aaron Bryan Bijaoui, 15 ans, se tenait devant l’école Ozar Hatorah quand il a été pris pour cible par Mohamed Merah. Tentant de protéger la petite Myriam, l’adolescent n’a pas tout de suite compris qu’il était blessé. Grièvement même. Coma, opération, rééducation. Physiquement, il est à nouveau d’aplomb. Psychologiquement, c’est plus compliqué. La tuerie l’a durablement marqué.

« Il a longtemps été hanté par certaines images abominables, mais il n’en parle plus du tout aujourd’hui », note son avocat, Me Philippe Soussi, sans trop savoir quoi en penser. « Il peut y avoir une résurgence de tout cela plus tard. Il le sait. »Le plus dur à gérer aujourd’hui reste sa culpabilité de survivant. « Il s’en est sorti quand d’autres, des tout-petits, succombaient devant lui. C’est un sentiment pas simple à appréhender. » Une souffrance réactivée, par ailleurs, à chaque nouvel attentat…

Après mûre réflexion, Aaron a choisi de ne pas assister au procès. « Il ne veut ni voir, ni entendre les complices du barbare qui a bouleversé sa vie, poursuit l’avocat. L’idée même d’entendre Abdelkader Merah dire, comme il l’a fait durant l’enquête, que “le djihad est la meilleure des œuvres dans l’islam” ou qu’il est “fier de la façon dont son frère est mort” lui est proprement insupportable. »

Le jeune homme veut désormais tourner la page de ce sanglant 19 mars 2012. « Quand il m’a expliqué ne pas vouloir venir à l’audience, il m’a simplement dit : “Je suis arrivé à un stade où il faut que je sauve ma peau” ». Aaron souhaite évidemment « que la justice soit rendue ». Mais ce sera sans lui.

Marie Boëton

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