Le mois d'après : des Juifs français entre peur et désir d'ailleurs

Que les attentats parisiens n’aient “rien” ou au contraire “tout changé” dans un climat déjà pesant, qu’eux-mêmes envisagent ou non de partir, des Juifs de France disent leurs doutes voire leur désarroi, un mois après les tueries.

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Les otages du supermarché casher de la porte de Vincennes, évacués par la police le 9 janvier 2015 à Paris AFP/Archives

Dix-sept morts en trois jours, du 7 au 9 janvier. Et parmi eux quatre hommes juifs abattus à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes – la plus meurtrière attaque antisémite en France depuis 30 ans, avec les assassinats de l’école juive de Toulouse en 2012.
Y’a-t-il, pour la première minorité juive d’Europe (500.000 à 600.000 membres), un “après Hyper Cacher” ? Esther, 37 ans, ne le croit pas.
“Cela n’a rien changé. Il n’y a pas d’avant et d’après le 9 janvier pour moi car la menace est la même, dit-elle.Si les politiques ont été à la hauteur et ont cessé de minorer la chose comme par le passé, l’antisémitisme reste un point aveugle pour les Français.”
Il est pourtant une réalité tangible, avec des violences qui ont plus que doublé l’an dernier par rapport à 2013, sur fond de “nouvel antisémitisme” dans les quartiers populaires.

PULSION DE MORT

En marge de manifestations pro-Gaza l’été dernier, “le climat était pire”, selon cette psychanalyste, “la pulsion de mort contre les Juifs était à nu”.
“L’attentat contre l’Hyper Cacher c’est terrible mais ça fait série: Ilan Halimi (assassiné en 2006, NDLR), Merah (2012), Nemmouche (2014)…”
Pour d’autres, les actes des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly ont changé la donne et la vie quotidienne. Il a fallu s’habituer à la présence rassurante, mais impressionnante, de milliers de policiers, gendarmes et soldats supplémentaires déployés devant quelque 700 synagogues, écoles juives et centres communautaires.
A Lucien-de-Hirsch, la plus ancienne école juive de France, dans le XIXe arrondissement de Paris, “on a changé les procédures d’entrée et de sortie dans l’établissement”, note le directeur Paul Fitoussi.
Les événements vont-ils pousser des parents à retirer leurs enfants de ces écoles confessionnelles qui accueillent environ 30.000 élèves en France et constituent des cibles évidentes ?
“Il risque d’y avoir des conséquences”, redoute le chef d’établissement. Et l’allègement probable, dans quelques semaines, du dispositif de protection suscite des interrogations. “J’entends des parents dire: ça ne va pas être éternel, que va-t-il se passer ensuite ? Il y a une inquiétude, notamment, sur l’après vacances scolaires”, confie Moché Lewin, rabbin au Raincy (Seine-Saint-Denis.
Mayanne Dalsace, femme d’un rabbin du XXe arrondissement, dont trois des cinq enfants sont scolarisés en école juive, est quant à elle “impatiente qu’ils en partent”. Et “c’est décidé, la petite dernière ira dans un collège public”. “Quand ils partent le matin je suis angoissée, toute la journée je pense à eux et le soir, quand je les retrouve, je me dis +ouf, encore une journée de passée+”.
“Avant je me moquais de mon père qui recouvrait ses livres en hébreu de papier kraft quand il prenait le métro ! Maintenant je fais pareil, les bouquins qui ont des caractères hébraïques visibles, je les planque”, raconte-t-elle.

ALIYAH ?

Rabbin à Strasbourg, Mendel Samama se désole: “Je parle à des gens qui veulent partir, c’est très inquiétant”. Mais il veut voir “le verre à moitié plein”: “Dans l’histoire du judaïsme, il est rare qu’un État ait pris autant de mesures pour protéger les Juifs”. C’est ce que pense aussi le grand-père de Betty, déporté à Auschwitz, alors que cette femme de 40 ans ne se voit “pas laisser (ses) enfants dans cette France-là”, où les attentats ont “tout changé” et où les Juifs sont “en sursis”.
“On se dispute, il ne comprend pas ma position, il me dit +tu ne te rends pas compte, aujourd’hui le gouvernement nous protège, alors qu’avant (sous Vichy,) il nous pourchassait+”. Betty le reconnaît, mais n’est pas certaine que l’État “soit capable de nous protéger” si les jihadistes “sortent par centaines”.
Elle se prépare donc à l’aliyah, l’émigration juive vers Israël, en attendant “une opportunité professionnelle” pour le faire, tout en sachant que “ce n’est pas pour demain”.
Elle n’est pas la seule à l’envisager: l’Agence juive a enregistré au moins dix fois plus d’inscriptions – plus de 3.000 – à ses soirées d’information à Paris dans les semaines qui ont suivi les attentats, alors que janvier est d’ordinaire un “mois calme”, note Daniel Benhaim. Le directeur en France de cet organisme paragouvernemental israélien anticipe 8.500 à 10.000 départs de France vers l’Etat hébreu en 2015, contre plus de 6.500 l’an passé – un record, déjà.
D’autres, pour des raisons de sécurité, préfèrent un exil à Londres, New York ou au Canada. Car Israël fait peur, parfois: “Là-bas, l’alerte attentat c’est tous les jours, c’est un pays en guerre”, fait valoir Léa Cohen, 22 ans.
“C’est absurde de dire +je pars en Israël pour me mettre à l’abri+”, dit aussi Mayanne Dalsace. Qui en vient à penser que “la question, en fait, est: où une mère juive peut-elle élever ses enfants tranquillement dans ce monde ?
Ève Szeftel et Benoit Fauchet

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