Chloé Morin. #jesuismila: ce que révèle le harcèlement d’une ado menacée pour avoir critiqué l’islam

Depuis trois jours, l’adolescente est harcelée. Photo de Stéphane Hovaere

Chloé Morin propose une analyse des réseaux sociaux

C’est une de ces polémiques dont les réseaux sociaux sont si friands: Mila, une jeune fille de 16 ans, subit une vague d’insultes homophobes et de menaces physiques depuis qu’elle s’en est prise à l’islam dans une vidéo publiée sur Instagram. Une polémique dont les ressorts sont malheureusement devenus familiers aux usagers de Twitter et aux commentateurs politiques, et qui mérite que l’on s’y arrête pour trois raisons.

Les réseaux sociaux amplifient la polarisation et l’émotion, créant ainsi un effet de loupe médiatique assez terrifiant.

D’abord, pour ce qu’elle révèle de notre usage des réseaux sociaux et de la manière dont leur fonctionnement tord la réalité.

 Cette polémique a généré plus de 100 000 tweets en une journée. Des positions tranchées sont exprimées, traduisant l’intensité émotionnelle des réactions, mais aussi et surtout la radicalité des points de vue en présence. Les réseaux sociaux ne sont pas l’espace de la mesure, on le sait. Ils amplifient la polarisation et l’émotion, créant ainsi un effet de loupe médiatique assez terrifiant. Si Twitter était représentatif de la France, ce serait une France irréconciliable, en guerre civile.

Il ne s’agit évidemment pas ici de minimiser le sujet, qui sur le fond est extrêmement inquiétant. Mais de rappeler que les études d’opinion permettent de capter de manière plus précise les rapports de force et les opinions en présence, et donc de rappeler qu’entre des pôles «radicaux» sur la question identitaire – puisqu’il s’agit d’Islam ici -, il existe une large majorité de Français ambivalents , fermes sur les principes républicains mais mesurés et raisonnables… bref, des Français réconciliables, qui aspirent à l’ordre, la fermeté républicaine, et l’apaisement, plutôt que la guerre civile et la fuite en avant identitaire.

Ensuite, cette polémique est importante pour ce qu’elle révèle des dynamiques à l’œuvre dans une partie de notre société. Elle illustre parfaitement la logique de la victimisation – en l’occurrence, ceux qui se sentent justifiés, parce que s’identifiant à un Islam insulté, d’insulter et de menacer à leur tour-, qui pour un certain nombre de citoyens semble être devenue le seul moyen possible d’être reconnu et intégré dans un groupe, à défaut de se sentir appartenir ou de vouloir s’intégrer dans un groupe plus large, celui de la communauté nationale.

La victimisation est un des principaux maux de notre temps. Elle nourrit le communautarisme et les logiques d’affrontement identitaires – ici on se replie sur une appartenance religieuse, là géographique, ethnique, sociale.

La victimisation engendre par là une fragmentation du tissu social, puisqu’elle crée des divisions frontales entre des groupes de «victimes» et leurs bourreaux tous désignés. Elle mène également à l’effondrement de la citoyenneté, reposant sur des droits mais aussi des devoirs, au profit d’un individualisme qui croit avoir des créances illimitées sur la société, mais ne rien lui devoir.

La plupart des programmes politiques reposent sur la désignation de victimes et de boucs émissaires.

Dans une société où il n’y a que des victimes ou des bourreaux, la seule logique possible est celle du ressentiment, de la frustration, de la vengeance et de l’affrontement – rien de commun ne peut se construire, aucun lien ne peut être tissé, et aucun avenir commun ne peut être envisagé.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des dynamiques politiques actuelles misent avant tout sur l’instrumentalisation de ces logiques victimaires: plutôt que chercher à créer des élans par le rassemblement, le compromis, et la projection dans un avenir commun, la plupart des programmes politiques reposent sur la désignation de victimes et de boucs émissaires.

 Ici, les chômeurs «assistés», vivant aux dépens des actifs «ceux qui se lèvent tôt».

Là, les immigrés.

 Ou bien les «riches» et les «rentiers», qui encore une fois seraient responsables des difficultés des «classes moyennes».

L’indignation et la rancœur sont devenues les principaux carburants politiques d’une France fragmentée, considérant le déclin individuel et collectif inéluctable. Une France qui a renoncé à l’idée de progrès, encore plus à la perspective d’un progrès partagé – il ne s’agit plus que de gérer la pénurie, et de survivre, forcément aux dépens des autres.

Enfin cette polémique appelle, de manière indirecte, à la réflexion sur un défi immense dont trop peu de responsables politiques se saisissent: celui de la protection de la vie privée à l’ère de la transparence, du droit à l’oubli, et donc de la réduction aliénante de chacun à ses actes et erreurs passés – surtout lorsqu’ils ont été commis avant la majorité.

Car outre que cette jeune fille fait l’objet d’insultes d’une violence extrême, il s’avère que des informations personnelles comme l’adresse de son lycée ont été divulguées sur les réseaux sociaux. Il faut rappeler qu’elle est mineure. Comme des milliers d’autres avant elle, elle verra donc cette polémique, quelles que soient ses conséquences, la poursuivre, la définir, l’enfermer, ou la menacer pendant des années. Voulons-nous vraiment vivre dans un monde où nos moindres faits et gestes pourront non seulement être vus de tous, mais également nous poursuivre tout au long de notre vie? Peut-être le temps est-il venu de re-poser clairement cette question qui ressurgit avec force, à l’ère de la société du selfie et de la transparence absolue: celle de la liberté.

Chloé Morin est directrice de projet chez Ipsos Global Affairs.

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