Zeruya Shalev : Le fait de pouvoir dialoguer avec des Palestiniennes m’emplit d’espoir

Elles sont israéliennes, palestiniennes et réclament un accord de paix entre leurs deux peuples. Dimanche 8 octobre, Les Femmes font la paix étaient 30 000 à se réunir à Jérusalem.
Zeruya Shalev (à droite).

Parmi elles, l’écrivain Zeruya Shalev revient pour “Télérama” sur l’émergence de ce mouvement et son engagement personnel.

Les Femmes font la paix. Né dans la foulée de la guerre de Gaza de l’été 2014, ce mouvement, qui réunit des Israéliennes de tous bords politiques ainsi que des Palestiniennes pour « exiger » un accord mettant fin au conflit entre les deux peuples, gagne du terrain. Dimanche 8 octobre, près de 30 000 femmes vêtues de blanc se sont rassemblées dans le parc de l’Indépendance à Jérusalem, à l’issue d’une marche de deux semaines effectuée en Israël et en Cisjordanie. Parmi les marcheuses, l’écrivain Zeruya Shalev, qui a rallié ce mouvement citoyen à l’instar de quelques autres personnalités du monde de la culture, comme l’actrice Yael Abecassis.

Considérée comme l’une des figures de proue de la littérature israélienne, l’auteure de Ce qui reste de nos vies (prix Fémina étranger, 2014), née il y a cinquante-huit ans dans le kibboutz Kinneret (Galilée), a connu un immense succès dès ses précédents romans, Vie amoureuse, Mari et femme et Thèra (1). Des œuvres intimistes où le fait politique n’avait pas forcément droit de cité. Mais Zeruya Shalev, issue d’une famille d’hommes de lettres – elle est la fille du critique littéraire Mordechai Shalev, la nièce du poète Itzhak Shalev, la cousine du grand écrivain Meir Shalev –, avoue sur ce point avoir changé. Victime en 2004 d’un attentat suicide à Jérusalem, à l’issue duquel dix personnes ont perdu la vie, la romancière s’est inspirée de cette tragédie pour camper le personnage d’Iris dans son dernier roman, Douleur. Ayant quitté voilà peu la capitale israélienne pour Haïfa, ville mixte où coexistent juifs et Arabes, elle confie les raisons de son engagement.

On ne vous associe guère à la famille des écrivains israéliens engagés qu’incarnent Amos Oz, David Grossman ou A.B. Yehoshua. Pourquoi avez-vous rejoint Les Femmes font la paix ?

Zeruya Shalev : Cela faisait des années que j’attendais la création d’un tel mouvement. Dans l’absolu, je ne suis pas quelqu’un de militant. Mais je souhaitais être plus active, et aucune organisation existante ne me correspondait. Je cherchais un cadre susceptible de refléter à la fois la complexité des enjeux et ma vision du conflit. Et l’occasion s’est présentée il y a deux ans. Je donnais une interview dans un café de Jérusalem, situé en face de la résidence du Premier ministre, et une femme en blanc m’a invitée à me rendre sous la tente que le mouvement avait plantée. J’y ai rencontré des Israéliennes juives et arabes, de gauche comme de droite, religieuses ou laïques, des habitantes des colonies juives et des Palestiniennes. Des femmes capables d’entendre des opinions différentes des leurs, de se parler avec bienveillance. J’avais enfin trouvé une adresse.

Une majorité d’Israéliens ne sont pas des extrémistes mais des modérés qui veulent la paix et la sécurité !

En quoi ce mouvement de terrain peut-il réussir là où d’autres mouvements de paix ont échoué ?

Je ne suis pas naïve mais Les Femmes font la paix représente, selon moi, une chance pour changer graduellement la réalité. Il créé une dynamique qui rassemble, là où le débat politique en Israël divise et se nourrit de haine. Le fait de pouvoir dialoguer avec des Palestiniennes m’emplit d’espoir. Si, des deux côtés du conflit, des mères peuvent échanger, se mettre à la place de l’autre, cela veut dire que leurs enfants pourront aussi nouer des liens. Pendant la dernière marche, j’ai entendu une Palestinienne de Hébron évoquer la détresse des mères israéliennes qui vivent dans la crainte de perdre un fils lors d’une opération militaire. J’ai aussi entendu une résidente d’une colonie de Cisjordanie dire qu’elle serait prête à quitter sa maison en l’échange d’un accord de paix négocié.

Les personnalités du monde culturel israélien semblent sous-représentées au sein de cette initiative ; pourquoi ?

Les Femmes font la paix vise le grand public. Une majorité d’Israéliens, et donc une part importante des électeurs de Benyamin Netanyahou, ne sont pas des extrémistes mais des modérés qui veulent la paix et la sécurité ! Il faut sortir du cliché selon lequel seule la gauche radicale israélienne souhaite la paix. Donc, oui, il est dommage que l’on ne trouve pas plus de représentants du monde de la culture dans ce mouvement. Cela tient, je pense, à un effet d’usure, et aussi au fait que l’élite bohême de Tel-Aviv, bastion de la gauche radicale, rechigne à dialoguer avec des gens de droite ou des résidents des colonies. Mais je pense que les mentalités finiront par évoluer et que l’on sortira de ce schéma réducteur.

Vos romans se tiennent généralement à l’écart du politique. Est-ce en train de changer ?  

Oui, je tends à penser que le politique va prendre plus de place dans mon œuvre. C’est assez paradoxal, car pendant des années j’ai voulu fuir cette dimension. Je voyais la politique israélienne comme une menace sur ma liberté de création, mais il me semble désormais qu’elle peut s’intégrer à mon œuvre sans lui nuire. Je recherche avant tout l’authenticité dans l’écriture, et c’est vrai que souvent la politique est trop simpliste pour la littérature. Mais cette réalité complexe – celle de la société israélienne et des circonstances qui nous entourent – peut aussi trouver sa place mon œuvre, quand elle s’insère de manière authentique. En tout cas, je ne lutte plus pour la tenir à l’écart.

Vous venez de quitter Jérusalem, Ville sainte et épicentre du conflit israélo-palestinien, pour Haïfa, réputée pour sa tolérance. Cela va-t-il influencer votre écriture ?

J’ai effectivement quitté une ville qui se radicalise, et où la peur des attaques terroristes reste très forte, pour une ville de coexistence où juifs et Arabes semblent pouvoir vivre côte à côte dans une certaine harmonie. C’est un peu l’Israël idéal. Il est possible que cela exerce une influence sur mon prochain roman. Je suis à mi-parcours dans l’écriture, donc c’est encore trop tôt pour en parler. Mais cette histoire sera la rencontre entre de deux époques, l’une antérieure à la création de l’Etat d’Israël et la période actuelle. Et elle intègrera des éléments de coexistence…

Lors d’une récente cérémonie au cours de laquelle l’ambassadrice de France en Israël vous a remis les insignes de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, vous avez confié que la France occupait une place particulière dans votre histoire familiale…

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