La Juge Prévost-Desprez et le cerveau de Jawad, par Sarah Cattan

Depuis ce 26 janvier, j’ai la plus grande estime pour Isabelle Prévost-Desprez, la Présidente de la 16e chambre correctionnelle, la chambre qui va, du 24 janvier au  14 février , juger celui que toute la France appelle le logeur des terroristes,  mais aussi deux autres individus bien moins people.
Crédit Twitter

La Présidente, je lui tire mon chapeau, parce que gérer Jawad Bendaoud, procéder à l’instruction de son procès, devant   350 parties civiles, 150 journalistes de 60 médias,  quelque 80 avocats, eh ben comment dire : c’est space.

Space avec un enjeu ô combien important : le logeur des terroristes du 13-Novembre devra convaincre qu’il ignorait avoir hébergé des djihadistes. Et Isabelle Prévost-Desprez, elle va devoir assurer grave.

Notre Jawad, voilà qu’il se pointe, affublé de lunettes rectangulaires noires qu’il retirera parfois pour essuyer des larmes et d’un survêt vêtu : il le portait le 18 novembre 2015, le jour où le RAID donna l’assaut au squat de Saint-Denis après les tueries du 13 novembre. Jour où Jawad, en un même instant, devint célèbre et se vit passer les menottes aux poignets.

Jawad, ce qui frappe en lui, c’est qu’il l’a perdue, sa superbe. Le voilà, tour à tour en sueur puis tremblant de froid,  parlant, parlant à toute vitesse, se reniflant élégamment les aisselles, tout ça dans un grand désordre : Ça fait vingt-sept mois qu’il est à l’isolement, plaidera-t-il, son cerveau, des fois, il lui joue des tours.

Jawad a donc un cerveau, que son avocat, Maître Xavier Nogueras, va avoir du mal à juguler tant son client part en vrille. Jawad, maintenant, ça suffit, lui dira-t-il à un moment.

La juge. Quel talent. Quelle patience. Quelle maîtrise : garder dans les rails de l’interrogatoire cet hurluberlu, ça va être costaud.

Comme dans tous les procès venus ou à venir, il y a ici l’absente. Entendez ici Hasna. Tuée avec deux des terroristes. C’est elle qui était chargée de trouver une planque pour les terroristes. Puis y a les deux autres prévenus : le frère de la belle, et un troisième qui répète à l’envi que lui est là par le plus grand des hasards.

Ambiance.

Niveau intellectuel.

Les deux premiers loulous, en racontant leur périple, forcément ils nous parlent de Jawad. Son squat. La coke qu’il fume en galante compagnie. Ses deux métiers: la coke et l’immobilier. Jawad, c’est avant tout un vendeur de sommeil. Lui qui a déjà à son actif 10 ans de prison, ses affaires il les gère depuis sa cellule. Sa cellule dénommée coffee-shop, ornée de posters de cul, comme il la décrira avec classe.

Pendant que les deux autres parlent de lui, Jawad a la tête baissée : il lit son dossier et en surligne des passages.

Ça y est : il prend la parole. Jawad, il vous dit qu’il n’a rien d’un islamiste. Quoi il était copain avec un type soupçonné d’avoir voulu faire sauter la DCRI ? C’est juste qu’ils faisaient des petits sketchs ensemble. Parce que toi, tu sais pas, mais Jawad, il imite Sarko. Tu comprends pas le rapport ? La juge non plus.

La Juge Prévost-Desprez, elle insiste et cite les déclarations d’un codétenu, qui décrit Jawad Bendaoud comme un homme radicalisé, antisémite, admirant Mohamed Merah : Madame, balaie l’artiste, vous voulez que je vous cite le nombre de détenus qui crient Allah Akbar, quand je sors je vais tout faire péter et quand ils sortent, ils se tapent un mojito et une escort girl?

Il en convient, Jawad : quand Hasna en référa à lui pour héberger deux types, pour deux ou trois jours, bien sûr qu’il a accepté. Ok, commence-t-il, il est arrivé un truc grave, le plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais le business continue. Même qu’après les avoir installés, le taulier se souvient être allé chez son père manger des lentilles au bœuf. Et ça, c’est pour te donner le La : t’auras droit à tout ce qui lui passe à l’esprit, à Jawad.

Il croyait qu’ils étaient tous morts, les auteurs des attentats, savait pas que deux encore étaient en cavale. Tu veux répondre quoi à ça dis-moi ? Surtout quand tu remets tout ça dans le cerveau embrouillé de l’homme d’affaires, qui dit avoir, ce soir-là, ingéré encore un zeste de coke pour réfléchir : il avait mis une de ses copines enceinte. Ça craignait grave parce que Jawad, il était déjà en couple. Deux enfants.

Jawad, il apprend par ses potes que le RAID donne l’assaut à son squat. En homme responsable, il se rend sur les lieux. Se fait connaître. Et la suite, tu la sais : et que je donne une interview ubuesque sur BFM-TV. Et qu’on lui passe sous les yeux ébaubis de tous les menottes. En live.

Jawad, ou bien il est très con, ou bien il est très con : il campe sur ses positions et assure n’avoir compris qu’en prison ce qu’on lui reprochait. On m’a dit t’es dans la merde, t’as hébergé le croque-mort de Daech.

Te pince pas : Welcome au Jawad Show. Au sein du Tribunal. Cet exalté, hâbleur et bavard, va dérouler son numéro. Le Richard Virenque du terrorisme va enchaîner les punchlines à l’insu de son plein gré. Et dans la salle alterneront rires de l’assistance et onomatopées de consternation.

Faites-le taire.

Mais non. Cette boule de nerfs, bombant le torse, parle avec les mains. Oublieux qu’il comparaît devant la Cour, il s’exprime dans le seul langage que sans doute il sait : la tchatche des cités. Ses métaphores et ses néologismes. Sa presque poésie, te diront ceux qui te chantent ce 93 qu’ils ont fantasmé parce qu’ils n’y vécurent jamais.

Mohamed Soumah qui me ramène des terroristes, c’est comme Joey Starr qui rentre à Daech ! Balance l’artiste. Moi, ramener des terros ? C’est comme si Snoop Dogg faisait des soirées avec Ben Laden. S’il avait su que c’étaient des terroristes, jamais Jawad ne leur aurait offert du Coca cherry et de l’Oasis.

C’est ça Jawad. Tu l’avais découvert un 18 novembre en quelques images surréalistes qui firent et font encore la risée des réseaux sociaux. Jawad ou la bêtise tapissée de l’absolue inconscience. Jawad ou l’imposture bouffonne. Jawad ceint d’un costume trop grand. Embarqué qu’il est dans un drame too much pour lui. Sait-il seulement la sentence qui lui pend au nez.

Toi, forcément, tu penses aux familles présentes. Confrontées à la feinte empathie du loustic: Y a eu 130 morts et 400 blessés, je vais pas raconter les choses comme si c’était un vol de sac à main. Les familles des victimes des attentats, elles assistent, consternées, sidérées, à la logorrhée de celui qui y va franco, sans filtre aucun. Il leur assène des détails qu’elles ne veulent pas plus que toi savoir : J’étais dans ma salle de bain, tout nu et rempli de mousse. La cocaïne, je ne sais pas s’il y a des consommateurs ici, mais c’est terrible : je prends un gramme, deux grammes, et pic et pic et colégram.

Faites-le taire.

Ou rappelez-lui, à cet artiste raté, que ce procès, qui certes n’est pas le procès du 13 Novembre, est pourtant intrinsèquement lié aux attentats et que la justice devra déterminer son niveau de responsabilité. Qu’il cesse de s’intéresser au crobard du dessinateur de presse et feigne au moins de s’intéresser au rapport de la Présidente. Dites à cet imbécile que c’est de lui qu’elle parle. Quand elle annonce que les parties civiles demandent une requalification des faits en association de malfaiteurs terroriste, avec adhésion aux objectifs de cette entreprise. Lui ne réalise pas l’endroit où il se trouve. Il alpague les journalistes. Se retourne dans le box pour s’adresser à une victime dans le public. Commence à s’embrouiller avec un gendarme. Tout ça sous le regard désespéré de son avocat. Son avocat, il lui a pas dit de se tenir ? Regardez-le. Il enfile puis défait son blouson noir. Remet l’élastique de ses cheveux que désormais il porte longs.

Quel spectacle. D’autant que, imperturbable, la Présidente, pendant ce temps, lit ses déclarations.

Toi tu t’évades en pensée. Tu te souviens que celui qui est aujourd’hui raillé de toutes parts pour son inénarrable J’ai rendu service, monsieur, avait de sa cellule écrit aux magistrats[1]. Leur expliquant le grand malheur qui était le sien. Mon nom a été sali, je fais l’objet de parodie, de blague. Plus jamais de ma vie je referais quoi que ce soit d’illégal, quitte à manger des conserves aux Restos du cœur, la poisse me colle à la peau. Les enjoignant d’imprimer ça dans leurs cervelles.

Certes, ceux qui le suivirent de procès en procès le trouveront peut-être aujourd’hui assagi. C’est qu’il avait déjà insulté et menacé des policiers, mis le feu à sa cellule. Hurlant, en plein tribunal, qu’on l’avait incarcéré pour rien du tout, qu’on avait fait de lui un coupable. Lui qu’était au courant de rien. Qui plaide avoir pété les plombs à force de l’injustice qui lui était faite.

Les 350 parties civiles, elles vont devoir faire avec le comportement éruptif de ce principal prévenu. Arrogant. Surréaliste. Celui qui fut expulsé jadis pour son verbe haut. Inadapté aux salles de la Justice. Il avait perdu ses nerfs à Bobigny. Je ne suis pas terro ! Avait-il pleuré, avant que la présidente du Tribunal, qui devait le juger pour trafic de drogue, ne demande à l’escorte de le reconduire au dépôt.

Attends : ce délinquant multirécidiviste, le voilà qui se présente comme un père attentionné. Le téléphone qu’il s’était procuré ? C’était avant tout pour appeler son fils qui rentrait en CP. Ok, c’était aussi pour aller chatter.

Rendons à Jawad qu’avec lui, tous les malades que nous étions avions revisité la fonction cathartique du rire grâce à cette vidéo de BFMTV qui fit l’objet de tant de détournements. Attends, écoute-le encore. Il raconte avoir demandé à Mohamed Soumah : Tu connais les mecs ? Parce qu’on pense que c’est l’auberge espagnole, que tout le monde rentre, pump et lup. C’est la fête! Non, je vérifiais tout !  […] Je n’ai même pas préparé un repas et vous me parlez de préparer des attentats ? Vous croyez que je suis profilé pour savoir ce qu’il a fait avant d’arriver chez moi ? Assurant qu’il ne savait rien des personnes qu’il hébergeait, le voilà qui conclut: On m’a vendu un bœuf bourguignon, j’ai fini avec un couscous. Sur la tête de mon fils, je ne savais pas que c’était des terroristes. À la barre, Jawad continuera : les terroristes, je suis aussi éloigné d’eux que le Nord du Sud.

Parents de victimes, excusez-le : il ne sait pas ce qu’est l’indécence. Le voilà reparti : Les mecs ils voulaient que de l’eau, dormir et faire la prière. Je suis rentré chez moi. J’ai vu ma femme dormir à côté de mon fils. J’ai roulé un gros joint, je suis allé sur la terrasse, j’étais bien. J’ai mangé mon sandwich escalope-Boursin. Je regarde Netflix. J’invite un pote à regarder un film en 3D. Et j’ai des terroristes chez moi. Et là, Jawad il fait des gestes pour mimer quelqu’un de stupide et poursuit : Non mais,  faut avoir de la glace dans les veines pour rentrer chez soi et manger un sandwich comme ça, tranquille, alors qu’il y a des terroristes chez soi.

La présidente, au regard des SMS échangés avec Hasna, pense que Jawad savait que la jeune femme voulait héberger des terroristes. Ces SMS utilisent à l’évidence un langage codé, évoquant Les Feux de l’amour pour parler des attentats. Mais Jawad, il fait l’andouille. Et ses réponses déconcertantes, il les ponctue par des nananinana. Que toi t’as envie de le baffer. Faites-le taire.

Il parle à la présidente comme s’il était avec ses potes. Il finit par se perdre dans ses explications. J’en étais où déjà? demande-t-il au tribunal. Il lance à la proc, en pleines réquisitions, qu’elle est complètement toc-toc.

Faites-le taire. Surtout là, quand il parle de ses projets de réinsertion. Je vais sortir, je vais faire quoi? Je peux plus rien faire en France. Tout le monde me regarde bizarre, les infirmières, les jeunes en garde à vue. Hier j’ai regardé le Jamel Comedy Club à la télé et ils se foutaient de ma gueule. Tout le monde se fout de ma gueule. Toi, tu le supportes plus. Et là tu l’entends dire que y a bien quelque chose qui lui plairait… Créer une association pour aider les jeunes.

Son avocat monte au créneau. Faut l’aider le gamin. L’empêcher de se suicider. Là-bas, on crie encore à ses fenêtres Century 21. Stéphane Plaza.

Faites taire ce gougnafier. Déjà condamné en 2006 à huit ans de prison pour coups mortels sur son meilleur ami, qu’il tua accidentellement. A coups de hachoir. Pour un simple portable.

Une avocate des parties civiles s’approche de nous et, faisant référence à Jawad Bendaoud, elle nous dit qu’aujourd’hui, on avait du biscuit, mais que le meilleur biscuit était peut-être à venir.

Toi, tu te dis que le procès de Jawad Bendaoud est décidément le symbole d’un système judiciaire en perte d’autorité.

[1] Octobre 2016.

Sarah Cattan

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